Famille

COMPRENDRE LE MUTISME DES ENFANTS

Se retrancher derrière un mur de silence est une stratégie de protection adoptée par certains petits anxieux. Après avoir elle-même été aux prises avec le mutisme sélectif d’un enfant, l’orthopédagogue Geneviève Bérubé propose un guide pratique pour aider parents et éducateurs à faire face à ce défi délicat.

Qu’est-ce que le mutisme sélectif ?

C’est un trouble anxieux relativement rare qui se caractérise par l’absence de parole dans certaines situations – à l’école ou à la garderie, par exemple – alors que l’enfant parle dans d’autres situations où il se sent à l’aise, comme à la maison.

Comment savoir que ce mutisme va au-delà de la timidité ?

La grande différence, c’est que lorsque l’enfant est gêné, l’absence de parole va finir par passer et ça n’interfère pas dans son fonctionnement quotidien. L’enfant qui souffre de mutisme, lui, ne va pas se mettre à parler par lui-même et ça entrave son quotidien. Il ne fonctionne pas bien socialement. Il va peut-être pointer, faire des gestes, s’appuyer sur le non verbal – ce qui fait que ça passe parfois inaperçu –, mais s’il doit vraiment répondre, ça devient problématique dans certaines situations.

Qu’est-ce qui fait que la parole est perçue comme un danger par ces enfants ?

En fait, je crois que ça vient plus de la situation elle-même qui rend l’enfant anxieux. Parce que c’est de l’anxiété. Le mécanisme de défense de notre cerveau est de fuir ou de combattre. Cet enfant-là, il fige.

Avec quoi peut-on confondre le mutisme ?

Avec le trouble du spectre de l’autisme ou des troubles du langage. Il partage des caractéristiques avec le TSA comme l’hypersensibilité, le regard fuyant, peu de contact visuel, afficher un visage sans émotion et l’absence de parole. La différence entre les deux, c’est que l’autiste va avoir ces comportements – comme l’absence de parole – dans toutes les sphères de sa vie, tandis que l’enfant qui souffre de mutisme sélectif va parler normalement dans certains contextes où il est à l’aise.

Qu’est-ce que le parent doit faire ou éviter ?

Peu importe l’adulte que l’enfant va côtoyer, la priorité, c’est la relation. Ce qu’on doit éviter comme parent, c’est de le punir pour son silence ou l’obliger à parler. Il ne faut pas non plus éviter de lui poser des questions, faire comme s’il n’était pas là ou répondre à sa place. Ce sont des interventions qui pourraient maintenir ou même aggraver le mutisme. Il faut miser sur des interventions graduelles, bienveillantes, pour lui faire vivre des réussites. […] L’adulte doit prendre soin de lui, pour rentrer à la maison calme et éviter de déverser ses émotions sur l’enfant. S’il rentre avec son propre contenant d’émotions rempli, il lui sera difficile d’accompagner l’enfant de façon bienveillante.

Est-ce à dire que ça peut être « la faute  » du parent ?

Il n’y a pas de cause clairement identifiée. On parle plutôt de facteurs de risque : si l’enfant a un tempérament timide, c’en est un, si un des parents ou des grands-parents a déjà vécu du mutisme ou un trouble anxieux, c’en est un autre. Est-ce qu’il a un trouble du langage ou un trouble associé ? […] Les interventions parentales [comptent] aussi. Si on punit l’enfant, il va s’enfoncer dans le mutisme, alors que si on le soutient et on lui donne des objectifs graduels, on a une emprise là-dessus comme adulte.

On peut s’en sortir ?

Le psychologue américain Steven Kurtz, spécialiste du mutisme sélectif, dit que si on intervient tôt, entre 4 et 7 ans, 90 % des enfants guérissent. Savoir ce que c’est et intervenir rapidement, de la bonne façon, donne plus de chances de guérir rapidement. Sinon, l’enfant entre dans un cycle d’évitement. […] Il y a beaucoup de situations dans une journée qui peuvent renforcer le mutisme. Plus on attend, plus l’enfant évite et renforce son mutisme. Il faut intervenir dans le milieu scolaire ou préscolaire pour désensibiliser l’enfant, mais il reste que c’est un trouble anxieux. Il faut aussi intervenir sur l’anxiété.

10 questions sur… Le mutisme sélectif chez l’enfant

Geneviève Bérubé

Éditions Midi Trente

126 pages

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