Affaire mouvement UNIS

Trudeau comparaîtra devant un comité, Morneau rembourse 41 000 $

Ottawa — Le ministre des Finances Bill Morneau a lâché une bombe en comité mercredi, en indiquant avoir signé un chèque de 41 000 $ pour rembourser des frais de voyage encourus lors de déplacements familiaux avec le Mouvement UNIS – une révélation qui a suscité des appels à sa démission. La table est mise pour un témoignage qui promet d’être le point d’orgue des travaux du comité des finances, soit celui de Justin Trudeau.

Les dépenses ont été effectuées dans le cadre de voyages remontant à 2017, alors que le grand argentier du gouvernement et des membres de sa famille se sont rendus au Kenya et en Équateur, dans les deux cas pour constater les efforts humanitaires déployés par UNIS.

Il avait déjà déboursé « environ 52 000 $ » en billets d’avion et en frais d’hébergement, mais en procédant à un examen de ses dossiers financiers au cours des derniers jours, le ministre a réalisé « avec étonnement » qu’il lui manquait des reçus. Lorsque son adjointe a contacté UNIS pour faire le point, l’organisation a chiffré le montant des dépenses non remboursées à 41 366 $.

Le ministre a donc sorti son chéquier. « Je m’attendais, et j’ai toujours eu l’intention, de payer le coût total de ces voyages, et il était de ma responsabilité de m’assurer que cela soit fait. Ne pas l’avoir fait, même involontairement, est inapproprié. Je veux m’excuser pour mon erreur », a-t-il déclaré par visioconférence, mercredi, aux membres du comité des finances.

« Même si je ne voyageais pas en ma qualité de ministre, cette erreur n’aurait pas dû se produire », a laissé tomber Bill Morneau, profitant de cette allocution pour dévoiler que sa famille avait fait deux dons de 50 000 $ à UNIS, un premier de sa femme en avril 2018 pour « soutenir les étudiants au Canada », l’autre en juin 2020 afin d’appuyer la lutte contre la COVID-19 au Kenya et au Canada.

Les deux filles du ministre, qui a fait son entrée en politique en 2015, ont des liens avec UNIS. L’une d’elles, Clare, a prononcé des discours lors de trois évènements, sans être rémunérée, tandis que l’autre, Grace Acan, est employée contractuelle au sein de l’organisme de bienfaisance.

En soirée, UNIS a réagi au témoignage du ministre dans un communiqué en anglais seulement. « Nous comprenons que, parfois, des individus doivent divulguer leur participation à ces voyages », et compte tenu de la diversité des protocoles en vigueur, s’en acquitter « est en grande partie la responsabilité des participants aux voyages », a-t-on exposé.

Les conservateurs veulent la tête de Morneau

Le député conservateur Pierre Poilievre a tiré à boulets rouges sur le témoin repentant une fois venu le temps de l’interrogatoire par les élus. « Vous venez de faire ce paiement aujourd’hui, le jour où vous étiez attendu pour témoigner ? Est-ce pure coïncidence ? », a ironisé l’élu, s’étonnant de l’« épiphanie » du ministre.

Le député néo-démocrate Charlie Angus a quant à lui remis en doute le sens éthique du témoin, en établissant un parallèle entre ses voyages et la fameuse escapade de Justin Trudeau sur l’île privée de l’Agha Khan, qui a d’ailleurs valu au premier ministre un sévère blâme du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique en décembre 2017.

La rencontre s’est achevée avec un préavis de motion du camp conservateur voulant que le comité réclame la démission de Bill Morneau.

Et peu après, le chef par intérim de la formation, Andrew Scheer, a envoyé le signal que son parti voulait voir la tête du ministre rouler. « C’est tout simplement scandaleux. C’est tout à fait inacceptable […] d’accepter des voyages illégaux, ce que M. Morneau semble avoir fait […]. Alors, nous croyons qu’il est temps pour lui de démissionner », a-t-il laissé tomber à la caméra de CBC, mercredi en fin d’après-midi.

Mais selon toute vraisemblance, Justin Trudeau n’est pas prêt à le larguer. « Le ministre Morneau a été franc et direct avec le comité et transparent avec les Canadiens aujourd’hui […]. Le ministre Morneau continue de faire ce travail sur lequel les Canadiens comptent », a écrit dans un courriel Ann-Clara Vaillancourt, attachée de presse du premier ministre.

Au Bloc québécois, le chef Yves-François Blanchet persiste de son côté à réclamer de Justin Trudeau qu’il cède les rênes du gouvernement à sa vice-première ministre, Chrystia Freeland. Lors de la période de questions en Chambre, il a argué que le premier ministre n’avait pas « l’espace mental » requis pour gérer à la fois cette controverse et la crise de la COVID-19.

Ce à quoi son interlocuteur, piqué au vif, a répondu : « Je ne voudrais pas que le député fasse des jugements sur l’espace mental dont je dispose. »

Place à Trudeau et Telford

Ce sera d’ailleurs le chef libéral qui se retrouvera à l’avant-scène pour le prochain volet du feuilleton UNIS dans le décor du comité des finances virtuel : ce sera à son tour de se prêter à l’exercice sous peu.

« Le premier ministre a accepté l’invitation du comité des finances. Les modalités quant à la date et l’heure seront connues prochainement », a-t-on signalé à son bureau dans les minutes ayant suivi le témoignage explosif du ministre Morneau.

La décision, qui a été annoncée après plusieurs jours de réflexion, a de quoi surprendre, la comparution d’un premier ministre en exercice devant un comité étant un évènement rarissime en politique fédérale.

Peu après, on annonçait que Katie Telford, la chef de cabinet de Justin Trudeau, serait aussi présente, là encore à une date et à une heure qui demeurent à déterminer. Le comité voulait aussi entendre le récit des évènements de cette proche collaboratrice.

Le clou des délibérations en comité pourrait bien être l’apparition des frères Craig et Marc Kielburger, cofondateurs de l’organisme dont les grands-messes appelées Journées UNIS sont devenues le « Super Bowl de la bienfaisance et les Oscars de la transformation du monde », selon l’expression qu’ils utilisent dans une vidéo promotionnelle d’UNIS.

Les libéraux sont sur la sellette depuis qu’ils ont accordé un contrat sans appel d’offres – l’entente a depuis avorté – de gestion d’un programme de bourses de bénévolat étudiant d’une valeur de 912 millions de dollars qui aurait pu permettre à UNIS d’empocher jusqu’à 43,5 millions de dollars.

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