Analyse

Le « 450 » au pouvoir

Quand on observe la répartition géographique des députés qui ont accédé hier au Conseil des ministres, cela saute aux yeux. Plus de la moitié des 26 ministres représentent des circonscriptions de la grande région de Montréal. Dix ministres en Montérégie, six dans la couronne nord : jamais le poids politique du « 450 » n’avait été aussi important à Québec.

C’est vrai si on considère le nombre, mais aussi l’importance des responsabilités. Les Finances sont allées à Éric Girard, représentant la circonscription de Groulx. Le Trésor ? Christian Dubé, élu dans La Prairie, en hérite. La responsable de la Santé, Danielle McCann, est députée de Sanguinet, la circonscription voisine. Le ministère de l’Économie est allé à Pierre Fitzgibbon, élu dans Terrebonne. Dans Chambly, là encore à proximité de Montréal, on retrouve le titulaire de l’Éducation, Jean-François Roberge. MarieChantal Chassé sera à l’Environnement, un ministère important pour la représentante de Châteauguay.

Finalement, l’homme de confiance de François Legault est apparu clairement hier dans la distribution des portefeuilles : Simon Jolin-Barrette sera au poste stratégique de leader parlementaire, responsable des dossiers chauds : l’immigration et la laïcité. Sur ce dernier dossier, la responsabilité sera temporaire. Le gouvernement espère bien refermer la boîte de Pandore avec l’adoption d’un projet de loi avant l’été 2019. La circonscription de l’homme-orchestre ? Borduas, soit les environs de Belœil et du Richelieu, aux portes de Montréal.

Les Finances, le Trésor, l’Économie, la Santé et l’Éducation : le Québec sera dirigé par des élus des banlieues nord et sud. Même le premier ministre Legault, député de L’Assomption, en bordure de Montréal.

L’île de Montréal serait-elle oubliée ? Gardons-nous de sauter aux conclusions. Éric Girard habite Mont-Royal, tout comme les libéraux Gaétan Barrette et Pierre Arcand, d’ailleurs. M. Fitzgibbon réside à Westmount, et il ne faut pas oublier que François Legault vit depuis longtemps à Outremont. Depuis leurs limousines, tous auront l’occasion de constater les problèmes, de congestion notamment, de la métropole.

Bien sûr, Legault devait composer avec les élus que la population a envoyés à l’Assemblée nationale le 1er octobre. Or, si la grande région de Montréal est surreprésentée, l’île est cruellement absente.

Aussi peut-on s’interroger sur la portion très réduite réservée à son élue vedette de l’île de Montréal, Chantal Rouleau : ministre déléguée aux Transports et responsable de la Métropole.

Elle était incontournable pour la métropole, mais cette élue municipale était en droit de s’attendre à un véritable ministère. Or, un ministre délégué n’a pas de pouvoir de signature. Elle relèvera de François Bonnardel, ministre en titre aux Transports.

Dans ses réactions hier, la mairesse Valérie Plante a peut-être donné une partie de l’explication. Mme Rouleau faisait partie de l’équipe Coderre, et à l’évidence, elle ne sautait pas de joie à l’idée de discuter avec son ancienne adversaire. Hier, Mme Rouleau soutenait être en bonne intelligence avec Mme Plante, mais cette dernière insistait plutôt sur son lien avec François Legault. « Je m’en remets à l’esprit très pragmatique de notre nouveau premier ministre », a dit Mme Plante. « Adversaire un jour, amie et complice le lendemain », clame Mme Rouleau, mais son optimisme touchant ses discussions futures avec Mme Plante n’est à l’évidence pas partagé à l’hôtel de ville.

On aurait pu confier à Mme Rouleau les Affaires municipales, mais les régions auraient peut-être protesté. Le choix d’André Laforest, député de Chicoutimi et propriétaire de CPE comme intermédiaire avec les municipalités, laisse toutefois songeur. Sylvie D’Amours, élue dans Mirabel, est un choix discutable. Il faut parler anglais pour discuter avec les autochtones au Québec – le libéral Pierre Corbeil, unilingue lui aussi, avait eu de sérieux problèmes à ce ministère. Le maillon faible du Conseil sera probablement Danielle McCann, à la Santé. Le réseau se réjouit de ce choix, ce qui n’augure rien de bon pour les contribuables. La gestionnaire McCann avait dirigé pendant six ans l’Agence de la santé de Montréal, sans imposer son leadership. Le ministre péquiste Réjean Hébert l’avait carrément congédiée.

Le Conseil compte beaucoup d’entrepreneurs. Même Nadine Girault, aux Relations internationales, a pour mandat d’insuffler un réflexe entrepreneurial à son ministère. Mais personne, hormis François Legault et Marguerite Blais, n’a géré de ministère. François Legault a rassuré ses ministres à leur première séance, en fin de journée : quand les dossiers arrivent sur la table du Conseil, « les choses sont pas mal mâchées », les argumentaires distribués pointent clairement vers les décisions à entériner.

Pour Montréal, Legault n’avait pas le choix. Il devait composer avec les décisions des électeurs de la métropole.

À Québec, sa marge de manœuvre était tout autre. Et il a manifestement voulu éviter la confrontation avec l’administration du bouillant Régis Labeaume.

Le maire est farouchement opposé à l’apparition du « troisième lien » promis maintes fois par la CAQ. Le gouvernement propose de réduire le nombre d’immigrants, mais le maire martèle qu’on manquera bientôt de main-d’œuvre. Au surplus, Legault a fait monter au Conseil des ministres Jonatan Julien, l’ancien numéro deux de la Ville qui est parti en claquant la porte, une collision personnelle avec le maire Labeaume. Pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, c’est Geneviève Guilbault, déjà vice-première ministre et responsable de la Sécurité publique, qui héritera de la responsabilité de la Capitale-Nationale.

Avec la promesse d’un gouvernement paritaire, Legault devait composer aussi avec le caucus. À l’évidence, il y avait trop d’hommes chez les élus caquistes – sans cet engagement, on peut penser que les Ian Lafrenière, Youri Chassin ou Mario Laframboise seraient ministres. Pressentant l’obstacle, François Paradis, une vedette dans la région de Québec, a choisi de briguer la présidence de l’Assemblée nationale, pour éviter d’être relégué aux oubliettes.

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