Le réquisitoire de Comey contre Trump
Dans une entrevue très attendue diffusée à ABC, l’ancien chef du FBI a déclaré que Donald Trump était « moralement inapte à la présidence »
New York — Il n’a pas pu s’empêcher de critiquer Hillary Clinton lorsque le FBI a décidé de ne pas recommander de chefs d’accusation contre l’ancienne secrétaire d’État à l’issue de l’enquête sur ses courriels, en juillet 2016.
Il s’est senti forcé de parler à nouveau lorsque le FBI a rouvert son enquête sur cette même affaire, à moins de deux semaines de l’élection présidentielle de 2016.
Et le voilà qui récidive dans un livre et une série d’interviews, dont la première a été diffusée hier soir sur la chaîne de télévision ABC. Une interview au cours de laquelle il a prononcé un véritable réquisitoire contre Donald Trump, qui l’a congédié avec fracas en mai 2017.
« Notre président doit incarner le respect et adhérer aux valeurs qui sont au cœur de ce pays, la plus importante étant la vérité », a déclaré James Comey au chef d’antenne d’ABC, George Stephanopoulos. « Le président n’est pas capable de faire ça. Il est moralement inapte à la présidence. »
L’ancien directeur du FBI a également accusé Donald Trump de traiter les femmes « comme si elles étaient des morceaux de viande », de mentir « constamment » et de « salir » tout le monde dans son orbite.
Il a ajouté qu’il incombait au peuple américain de l’expulser de la Maison-Blanche en 2020.
« Vous ne pouvez pas avoir, en tant que président, quelqu’un qui ne reflète pas les valeurs que les républicains, les démocrates et les indépendants chérissent, à mon avis. C’est l’essence de ce pays. C’est notre fondement. Et, d’une certaine façon, l’impeachment court-circuiterait cela », a-t-il dit.
Cette nouvelle intervention de James Comey aura-t-elle un effet aussi important sur la politique américaine que les deux premières durant la campagne présidentielle ? L’ancien directeur du FBI en sortira-t-il grandi ou diminué ?
Rupture avec la tradition
Son livre, Une loyauté à toute épreuve – Mensonges et vérités, offert en français dès demain au Québec, rompt autant avec la tradition que ses sorties publiques à titre de directeur du FBI durant la campagne présidentielle de 2016. Avant lui, aucun protagoniste d’un scandale politique américain n’avait publié un livre en plein cœur d’une enquête dont il était un suspect ou un témoin clé. Cela vaut notamment pour John Dean (Watergate), Oliver North (Irangate) et Monica Lewinsky (Monicagate), qui ont tous attendu la fin des procédures judiciaires ou politiques avant de monnayer leurs souvenirs.
Dans ses mémoires, dont La Presse a obtenu un exemplaire, James Comey justifie sa décision de prendre la plume en mentionnant « une raison fondamentale : notre pays traverse une époque dangereuse, dans un environnement politique où les faits les plus élémentaires sont contestés, la vérité fondamentale est remise en question, le mensonge, normalisé, et où les comportements inappropriés sont ignorés, pardonnés ou récompensés ».
« Ainsi, s’il y a jamais eu un moment où il serait utile de se pencher sur l’éthique du pouvoir, c’est aujourd’hui », ajoute-t-il avant de se lancer dans le récit d’une vie et d’une carrière qui lui a notamment permis de servir trois présidents.
Controverses et contradictions
Les leçons d’éthique de James Comey risquent cependant de se perdre dans les controverses et les contradictions. Dans son livre et en entrevue, l’ancien directeur du FBI reconnaît notamment que des considérations politiques ont pesé dans sa décision d’annoncer la réouverture de l’enquête sur les courriels d’Hillary Clinton à 11 jours du scrutin présidentiel.
« Elle allait être élue présidente des États-Unis, et si je cachais cela au peuple américain, elle serait perçue comme illégitime dès que cela sortirait après l’élection », a-t-il dit à George Stephanopoulos en décrivant son état d’esprit de l’époque.
Or, les règles du FBI auraient dû lui interdire un tel calcul, comme Donald Trump n’a pas manqué de le souligner hier matin dans un de ses tweets incendiaires contre James Comey : « Il prenait ses décisions en pensant qu’elle allait gagner, et il voulait un travail. Raclure ! [Slimeball !] »
Hillary Clinton n’emploierait jamais publiquement un tel mot pour qualifier James Comey. Mais elle fait sans doute partie des démocrates qui se passeraient volontiers de ses leçons d’éthique. Après tout, elle est persuadée que l’intervention de l’ancien directeur du FBI a stoppé son élan vers la Maison-Blanche et causé sa défaite.
« L’idée même que ma décision ait pu avoir un impact sur le résultat me donne légèrement la nausée. »
— James Comey, dans Une loyauté à toute épreuve
Reste maintenant à voir quel sera l’effet de ce livre et de la tournée de promotion qui accompagnera sa sortie. En attendant, l’attention des médias et du public se porte naturellement sur les parties plus croustillantes de l’ouvrage, dont celles où l’auteur compare le leadership de Donald Trump à celui d’un chef mafieux.
Comparaison d’autant plus frappante que l’auteur a bien connu la Cosa Nostra à l’époque où il était procureur fédéral à New York. C’est d’ailleurs l’intronisation de Salvatore (Sammy the Bull) Gravano au sein du clan Gambino de John Gotti qui lui est venue à l’esprit lorsque Donald Trump lui a demandé sa loyauté lors d’un dîner en tête à tête.
À l’opposé, James Comey brosse un portrait des plus flatteurs de Barack Obama. Selon lui, le 44e président possède, au-delà de son intelligence, deux des plus grandes qualités d’un dirigeant éthique : l’humilité et l’assurance.
Il reviendra à ses lecteurs de juger si James Comey possède, lui aussi, ces qualités, ou s’il n’est pas plutôt « amoureux de [sa] propre rectitude, de [sa] vertu », ce dont il se défend.