enfants séparés de leurs parents

Une catastrophe humanitaire à la frontière américano-mexicaine

Depuis que l’administration Trump a lancé sa politique de « tolérance zéro » à la frontière avec le Mexique, il y a un mois, des centaines d’enfants ont été arrachés à leurs parents, qui ne savent ni où ils se trouvent ni comment les retrouver. Les défenseurs des droits ont beau protester contre cette politique inhumaine, Washington reste inébranlable.

Quand ils sont interceptés près de Brownsville, au Texas, après avoir traversé le Rio Grande, les migrants subissent un premier interrogatoire dans une cellule qu’ils ont surnommée hielera – la « glaciaire » – tellement il y fait froid.

C’est là que María Andrés de la Cruz a atterri le 22 mai dernier, avec ses trois enfants âgés de 11, 8 et 7 ans. Les agents frontaliers qui les ont identifiés n’ont même pas pris la peine de lui demander pourquoi elle avait fui le Guatemala, pays où elle craignait pourtant pour la sécurité de sa famille.

Ils ont ensuite emmené les trois enfants de María, sans l’ombre d’une explication. Se contentant d’assurer qu’elle les retrouverait « à un moment donné », après son audience à la cour.

Elle ne les a jamais revus depuis.

María Andrés de la Cruz fait partie des centaines de demandeurs d’asile victimes de la nouvelle politique antimigration déployée depuis un mois par l’administration de Donald Trump.

Le changement de cap a été annoncé début mai par le procureur général Jeff Sessions, qui a décrété la mise en place d’une approche de « tolérance zéro » à l’égard des migrants qui entrent aux États-Unis de manière irrégulière depuis le Mexique.

Dorénavant, ceux-ci sont systématiquement poursuivis pour entrée illégale sur le sol américain et traduits devant un tribunal sous une accusation criminelle. Ce qui implique un passage obligé dans une prison où les enfants ne sont pas admis.

Conséquence directe de cette approche de criminalisation généralisée : leurs enfants tombent automatiquement sous la tutelle du Bureau de réinstallation des réfugiés, ou ORR, selon son acronyme anglais.

Aucun mécanisme ne prévoit de les réunir avec leurs parents même une fois que ceux-ci ont fini de purger leur peine, souvent limitée à quelques jours d’incarcération.

Les adultes sont ensuite transférés vers un centre de détention de l’immigration, d’où ils peuvent entreprendre leurs démarches d’asile. Leurs enfants, eux, se retrouvent dans un refuge ou dans une famille d’accueil. Coupés de tout contact avec leurs parents.

Les séparations familiales ne se limitent pas aux migrants irréguliers. De nombreuses familles qui se présentent en toute légalité à un poste-frontière pour demander l’asile politique aux États-Unis subissent le même sort.

« J’ai rencontré plusieurs parents qui avaient tous leurs documents, et qui se sont présentés eux-mêmes aux agents frontaliers pour faire une demande d’asile tout ce qu’il y a de plus légal, et qui ont été séparés de leurs enfants. »

— Brian Griffey, chercheur régional pour Amnistie internationale

Ces parents, s’indigne-t-il, subissent un « niveau d’angoisse psychologique inimaginable ».

Les séparations familiales relèvent d’une « stratégie délibérée visant à punir les demandeurs d’asile et à les dissuader de venir aux États-Unis », résume Brian Griffey.

Une stratégie qui ne fonctionne pas, puisque le nombre d’arrivées ne cesse d’augmenter.

Et qui crée du chaos et de la détresse dans les États voisins du Mexique.

Ressources sous pression

Un mois après la mise en place de cette politique, les refuges pour mineurs débordent, au point que les autorités envisagent de convertir des bases militaires en centres d’accueil temporaires pour ces enfants qui ont été arrachés à leurs parents.

Les tribunaux craquent eux aussi sous la pression. À la Cour fédérale de Brownsville, l’un des principaux points d’entrées vers le Texas, des juges ont opté pour des procès collectifs où des dizaines d’accusés en uniformes orange sont traités en bloc, à la vitesse de l’éclair.

Mais surtout, cette politique a transformé la vallée du Rio Grande en une vallée de larmes.

« Une catastrophe humanitaire se déroule aux portes de notre pays », dénonce le Projet du Texas pour les droits civiques, organisation humanitaire qui documente ce phénomène.

Dans la seule matinée de jeudi, Zenen Jaimie Pérez, avocat auprès de cette ONG, a vu passer 70 accusés à la Cour fédérale de McAllen, l’un des deux tribunaux du sud du Texas qui traitent les dossiers des nouveaux arrivés.

Dans le lot, 14 avaient été séparés de leurs enfants.

Le lendemain matin, le tribunal de McAllen a traité les dossiers de 30 migrants accusés d’entrée illégale. Un tiers s’étaient fait retirer leurs enfants.

« La douleur que les gens vivent est inimaginable. J’ai parlé avec des mères qui ont sangloté pendant toute la durée de notre entretien. Elles n’ont aucune idée du moment où elles pourront retrouver leurs enfants. »

— L’avocate Zenen Jaimie Pérez, en entrevue téléphonique

Les enfants qui perdent tout contact avec leurs parents et se retrouvent du jour au lendemain entourés d’étrangers subissent eux aussi un grave traumatisme, dit Marsha Griffin, pédiatre qui travaille dans une clinique à la frontière près de Brownsville, au Texas.

La séparation entraîne chez eux un syndrome de stress toxique qui peut provoquer des problèmes médicaux à long terme.

Les critiques fusent

La pratique consistant à séparer les familles n’est pas nouvelle, mais elle s’est généralisée après l’annonce de la politique de « tolérance zéro ». En deux semaines, ce sont au moins 650 enfants qui ont été séparés de leurs parents en entrant aux États-Unis. En un mois, leur nombre a pu atteindre un millier.

De nombreuses organisations de défense des droits ont dénoncé ce virage. L’ONU a accusé Washington de « violations graves des droits de l’enfant » et l’a appelé à mettre fin à cette procédure. L’Union américaine des libertés civiles a intenté une poursuite pour permettre à une demandeuse d’asile de retrouver sa fille de 7 ans, dont elle était séparée pendant plusieurs mois.

Et trois ONG texanes, dont le Projet du Texas pour les droits civiques, ont déposé une requête d’urgence devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, pour permettre à María Andrés de la Cruz et quatre autres parents de retrouver leurs enfants.

Dans un de ces cas, la mère est menacée d’expulsion et n’a pas la moindre idée si son fils de 11 ans pourra partir avec elle. Un père a cessé de s’alimenter depuis qu’on lui a arraché son fils, âgé également de 11 ans.

« Cette politique est cruelle et illégale », dénonce Denise Gilman, de la Clinique légale de l’Université du Texas, qui se joint à la démarche devant la Commission interaméricaine.

Pour Leah Chavla, de la Commission des femmes réfugiées, également partie prenante à cette cause, « c’est notre pays dans ce qu’il a de pire ».

« Certaines mères que j’ai rencontrées avaient été violées dans les jours précédant leur départ de leur pays. Elles ont fait un voyage dangereux et difficile, tout ça pour se faire arracher leurs enfants », déplore Zenen Jaimie Pérez.

« Aucun être humain ne peut subir cela sans s’effondrer », dit cet homme qui affirme n’avoir jamais été témoin d’abus aussi « intenses » à cette frontière qu’il observe depuis des années.

Demandeurs légitimes

Le pire, renchérit Sarah Pierce, de l’Institut des politiques migratoires à Washington, c’est que la vaste majorité des victimes de cette nouvelle politique sont des demandeurs d’asile on ne peut plus légitimes. « Au lieu d’écouter leur histoire, on les poursuit sur une base criminelle », déplore-t-elle.

C’est effectivement là le fond du problème, renchérit Elizabeth Kennedy, sociologue spécialiste de la situation des enfants en Amérique latine, actuellement basée au Honduras.

Selon elle, Washington refuse de reconnaître que les réfugiés du Honduras, du Guatemala et du Salvador « ont de bonnes raisons de fuir leur pays ».

« Ces familles ont tellement souffert, elles ont subi des viols, des disparitions, des meurtres, et quand elles arrivent au pays où elles croient pouvoir vivre en sécurité, elles se font carrément arracher leurs enfants des bras. »

Il n’y a qu’une manière d’expliquer le comportement des agents frontaliers à l’égard des migrants, selon la sociologue : « Ils ne les voient pas comme des êtres humains. »

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