Opinion TransMountain

Symptôme de notre dépendance au pétrole 

En octobre dernier, TransCanada annonçait qu’elle renonçait à son projet de pipeline Énergie Est. Cette semaine, c’est Kinder Morgan qui a annoncé la suspension des activités du projet Trans Mountain. 

En gestation depuis 2012, ce projet a été approuvé par l’Office national de l’énergie en mai 2016, à la suite de 29 mois d’études, avec l’exigence de satisfaire à 157 conditions. Les 7,4 milliards d’investissements devaient permettre d’augmenter à 890 000 barils de pétrole par jour la capacité d’un oléoduc existant reliant Edmonton à Vancouver. Il fonctionne depuis 1951 et transporte quotidiennement 300 000 barils de pétrole albertain vers l’océan Pacifique, où il y est transformé en essence et autres produits pétroliers dans les raffineries de la région. 

Pour comprendre et se faire une idée des forces sous-jacentes à ces projets de pipelines et à leur opposition, deux éléments sont centraux à saisir. Le premier concerne la demande mondiale de pétrole, et le second la lutte contre les changements climatiques. 

Du côté de la demande, celle-ci est en croissance continue. L’Agence internationale de l’énergie prévoit une croissance annuelle de 1,2 million de barils par jour d’ici 2023. Cela signifie que chaque année pour les cinq prochaines années, cette quantité de pétrole s’ajoutera à la consommation mondiale, qui approche les 100 millions de barils par jour. Le Canada n’échappe pas à cette tendance : nous avons brûlé 14 % de plus produits pétroliers en 2017 qu’en 2000. Cette tendance est la même au Québec (+ 12 %) et en Colombie-Britannique (+ 12 %), où se sont récemment exprimées les oppositions les plus vives aux pipelines. La demande d’essence est particulièrement en croissance (+ 20 % entre 2000 et 2017), et 2017 a même été une année record pour les ventes d’essence. 

Dans ce contexte de marché en croissance, les producteurs albertains ne veulent simplement pas rester les bras croisés et laisser la place à leurs concurrents américains, brésiliens, irakiens, iraniens et autres.

Tous ces pays ont des productions en croissance et sont prêts à livrer cet or noir. Il est important de savoir que l’essentiel de la croissance de la production de pétrole n’est pas du pétrole « conventionnel », moins polluant à produire, mais du pétrole de schiste (États-Unis) ou du pétrole lourd exploité en mer (Brésil). La notion que le pétrole albertain est le plus polluant du monde doit être mise dans le contexte des pétroles alternatifs qui peuvent être produits : hydrocarbures de schiste et pétrole lourd extracôtier, liés à une série de problèmes environnementaux qui ne sont pas forcément moins sérieux que ceux liés aux sables bitumineux. 

Dans le camp opposé aux pipelines, la lutte contre les changements climatiques domine. Celle-ci nous impose de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 % d’ici 2050. Le principal GES est le CO2. La première cible devrait être le charbon, responsable de 45 % des émissions globales de CO2, avec ensuite le pétrole (35 %) et le gaz naturel (20 %). À défaut d’atteindre cet objectif de réduction, nous n’éviterons pas les pires changements climatiques ni ne contiendrons le réchauffement planétaire moyen à 2°C ou moins. Agrandir un pipeline, comme le TransMountain de Kinder Morgan, pour qu’il transporte davantage de pétrole, ne va évidemment pas dans le sens de la réduction des GES. C’est là que se trouve le cœur de l’argumentaire de l’opposition aux pipelines, même s’il existe une foule d’autres raisons évoquées contre eux (risques de déversement, pollution de l’eau, respect et consultation des Premières Nations, etc.). 

Les pipelines ne sont cependant qu’un symptôme de notre dépendance au pétrole. Éliminer les symptômes n’a jamais été une manière de guérir.

Notre maladie se ne trouve pas dans la production de pétrole, qui émet certes des GES, mais dans la consommation – qui est responsable de cinq fois plus de GES que la production. L’humanité s’approchera de la victoire contre les changements climatiques quand on aura éliminé le charbon et la consommation de pétrole comme carburant. Aujourd’hui, si le défi du charbon est largement gagné au Canada, nous continuons de nous éloigner d’une moindre consommation de pétrole. Ce ne sont pas que les gouvernements qui sont à blâmer. Nous avons aussi notre responsabilité : dans nos véhicules quotidiens, nos voyages en avion et le désir d’avoir toujours plus de produits de partout dans le monde « juste à temps » dans un magasin pas si près de chez nous. Nous créons la demande de pétrole. 

Au lieu de nous battre pour ou contre un pipeline, et de passer à côté du cœur de l’enjeu (la consommation de pétrole), nous devrions laisser ce pipeline se construire, si des investisseurs privés sont prêts à prendre le risque. Par ailleurs, nous devrions mettre toutes nos énergies à montrer à ces investisseurs qu’ils font une erreur, que le marché est en déclin. Tant que ce ne sera pas le cas, Kinder Morgan et les autres entreprises du secteur placeront leurs capitaux quelque part. Si ce n’est pas ici, le Canada sera perdant, et nous n’aurons pas avancé dans la réduction des GES.

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