Cinéma

Les métamorphoses de Renée Zellweger

Dans le rôle de Judy Garland, elle apparaît en alcoolique décharnée, à l’opposé de la rondelette Bridget Jones. Au-delà de son apparence, elle peut transmettre toutes les émotions.

Elles sont uniques toutes les deux. C’est leur seul point commun, cinquante ans après la mort tragique de Judy Garland. L’enfant star, ravagée par l’alcool et la dope, détruite à 47 ans par Hollywood, en 1969, revient sur les écrans grâce à Renée Zellweger. Pour elle aussi, c’est un come-back. Elle sort d’un silence volontaire de six ans qu’elle a consacrés à des études de politique internationale, à des actions humanitaires en Afrique et à l’écriture. « À vivre, résume-t-elle. Je ne savais plus qui j’étais. Il était temps de me retrouver. » Hollywood rend hommage aujourd’hui aux quarante ans de règne de cette idole qu’il avait brûlée. 

Elle est si fine qu’elle pourrait passer derrière l’affiche de son film. Montée sur échasses, jean déchiré, Renée Zwelleger n’a vraiment rien d’une star. 

Son occupation du moment ? Se limer les ongles. Ni les compliments – elle est inouïe de justesse dans son interprétation de Judy Garland, une des plus grandes chanteuses du XXsiècle – ni les questions que je lui pose, auxquelles elle répond avec une grande gentillesse mais souvent à côté, ne semblent pouvoir la distraire.

Il faut dire que, depuis quelques semaines, elle ne touche plus terre. Dans la course aux Oscars, elle rafle tout sur son passage. Elle ne fait pas semblant d’être Judy Garland : elle est Judy Garland. Elle en a capturé l’essence, la démarche, les manières et la voix !

Elle est, me dit-elle, la première à se demander pourquoi on est venu la chercher pour le rôle. Avec sa voix de Mickey qui aurait sniffé de l’hélium, il est difficile, en effet, de l’imaginer chantant le mythique Over the Rainbow. Et pourtant ! Son interprétation magistrale de la chanson, dans la dernière scène de Judy, donne le frisson. « J’ai découvert qu’il y a une connexion directe entre la voix et l’âme. En apprenant à m’ouvrir, des émotions enfouies en moi sont ressorties et, comme par enchantement, ma voix s’est mise en place. »

C’est sa vulnérabilité dans Jerry Maguire, aux côtés de Tom Cruise, et son abattage dans la comédie musicale Chicago, pour laquelle elle a déjà été nommée aux Oscars, qui ont retenu l’attention du réalisateur Rupert Goold.

Broyée

Cornaquée par sa mère, Judy Garland a, dès son plus jeune âge, été victime de la machine hollywoodienne. On lui disait ce qu’elle devait porter, dire ou manger, puis, plus tard, qui elle devait fréquenter. Ou pas. 

Pour qu’elle reste mince dans Le magicien d’Oz, Louis B. Mayer, le patron légendaire de la MGM, ordonne même que la cantine ne lui serve que du bouillon ! Nourrie aux amphétamines et aux barbituriques, elle est de plus en plus terrifiée à l’idée de faire face au monde, et se présente elle-même comme la reine du come-back. 

Cinq maris – et beaucoup d’alcool et de drogue – plus tard, ruinée, Judy accepte un dernier engagement de cinq semaines, à Londres, pour se remettre à flot. Elle n’y survivra pas. Une overdose de barbituriques provoque sa mort, le 22 juin 1969, à 47 ans. 

« Je ne l’ai jamais vue comme une figure tragique, dit Renée Zellweger. Ce qui me frappe le plus, c’est que, malgré ce qu’elle a traversé, elle est restée jusqu’au bout joyeuse, optimiste. En étudiant mon personnage, j’ai réalisé à quel point je m’étais imposé des limites là où je n’aurais jamais dû ! » 

Comme une journaliste d’investigation, elle enquête pendant des mois et va jusqu’à faire réaliser des robes spéciales pour atténuer la posture due à la courbure de sa colonne vertébrale ! 

Ne fut-elle pas elle-même, à un moment de sa vie, prise dans un tourbillon à en perdre la tête ? Alors que Le journal de Bridget Jones a fait d’elle une star, elle envoie tout balader. 

« La perception que les gens avaient de moi n’était pas la réalité. À force de vivre dans la peau des autres, au bout d’un moment, on ne sait plus qui l’on est. J’avais simplement besoin de me retrouver. »

— Renée Zellweger

« À cette époque, poursuit-elle, tout tournait autour de mon travail. Je suis passée à côté de beaucoup de choses à cause de mon métier. Je n’avais personne dans ma vie, je ne voyais plus ma famille ni mes amis. J’ai senti que j’étais en danger et qu’il était peut-être temps de prendre du recul. Je n’ai pas trouvé d’autre moyen. » 

Elle veut vivre de nouvelles expériences, écrit des poèmes, des nouvelles, de la musique et rédige le pilote d’une série télé sur des musiciennes des années 1960 qui ne verra pas le jour. Cette parenthèse loin des plateaux durera six ans. C’est long ! Elle s’étonne de mon étonnement : « Daniel Day-Lewis a fait la même chose et ça ne surprend personne ! » 

Elle préfère parler politique plutôt que de son bref mariage, en 2005, avec le chanteur de country Kenny Chesney, ou de son aventure avec Jim Carrey. Polissonne à certains moments, sexy à d’autres, elle peut aussi bien jouer les femmes au foyer hassidiques que les prostituées. 

Elle n’est ni sur Twitter ni sur Instagram, avoue ne jamais lire ce qu’on écrit sur elle. Ce qui ne l’a pas empêchée, en 2016, dans un essai au vitriol, de démolir les tabloïds qui critiquent le corps des femmes, en commençant par le sien. 

Née au Texas, Renée Zellweger est la première Américaine de la famille. Son père, ingénieur suisse, et sa mère, infirmière norvégienne, étaient des globe-trotteurs aventuriers. Elle se voyait écrivaine ou journaliste. Tout sauf actrice ! 

Pour payer ses études à Austin, elle travaille comme serveuse dans un restaurant. Mais c’est en faisant de la figuration dans un film de Richard Linklater, Génération rebelle, en 1993, qu’elle fait une rencontre déterminante pour la suite de sa carrière : Matthew McConaughey. 

Vingt-sept années ont passé, et elle se réjouit d’être maintenant quinquagénaire. « C’est une renaissance. Dans ce nouveau chapitre de ma vie, je me sens comme une enfant. Je m’autorise enfin des choses que je n’aurais jamais faites avant. » 

« Moi qui me suis toujours sous-estimée, je me sens enfin libre. Je n’ai plus peur de rien. Sauf pour les problèmes de cartilage, j’adore l’idée de vieillir ! » 

— Renée Zellweger

Y a-t-il une chose dont elle est sûre désormais ? « Je ne suis sûre de rien, mais ça me va comme ça. » Est-elle aussi douée pour l’amour que pour l’art dramatique ? « Dans ce domaine, me dit-elle en riant, je suis une enfant gâtée ! Mais ma priorité dans la vie, aujourd’hui, ce sont mes deux chiens, dont un qui doit bientôt être opéré d’une hanche. Mon rêve serait de pouvoir, un jour, les amener avec moi sur le tapis rouge ! »

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