Chronique

Guylaine en Sinorama

Le métier d’acteur est un métier difficile et imprévisible. On peut passer sa vie à essayer de percer et échouer. On peut, au contraire, réussir à bien en vivre. Et à travers ces hauts et ces bas, un acteur peut parfois aussi boucler ses fins de mois, remplir ses périodes creuses ou rembourser ses dettes accumulées pendant ses trop longs hivers grâce à un contrat de pub providentiel.

Ce préambule est pour vous parler de Guylaine Tremblay, l’actrice la plus choyée, célébrée et primée de la télé québécoise avec ses 21 prix Artis, ses 8 Gémeaux, son Olivier et son Masque. Amen.

Or, pendant 13 semaines l’automne dernier, puis 13 autres semaines l’hiver dernier, aux heures de grande écoute, nous avons entendu Guylaine vanter mille fois les mérites de la Chine, les mérites de son amie Martine Jing et de leur robe rouge commune et, bien entendu, les mérites de Sinorama, qui lui a fait faire, et encore cette année, le plus merveilleux des voyages en Chine, comme en témoignait une autre pub et un flot de photos et de vidéos sur le site de l’entreprise.

Ajoutez à cela une immense affiche de Guylaine et Martine qui accueillait les voyageurs à l’aéroport Trudeau et leur souhaitait la bienvenue à Montréal au nom de Sinorama, et vous aviez la preuve que Guylaine en Sinorama, c’était du sérieux.

Tellement sérieux que lorsque mon collègue Francis Vailles a sorti, au printemps, une enquête révélant que Sinorama nageait en eaux troubles sur le plan financier, Guylaine Tremblay s’en est tenue à dire qu’elle était satisfaite de son association avec l’entreprise, se voulant sans doute rassurante pour les voyageurs qu’elle avait convertis aux vertus de Sinorama et à qui, avec son image de bonne fille, elle avait vendu un voyage en Chine.

Aux Échangistes, le 30 mai dernier, Guylaine s’entêtait à répéter que ceux qui avaient réservé et payé un voyage n’avaient pas à s’inquiéter. « Il n’y a pas de problème. Faites des voyages avec Sinorama, vous allez triper ! Jamais, jamais je ne serais avec eux s’il y avait le moindre problème. Voyagez en paix », avait-elle conclu.

Plus convaincant que ça, tu vends des murailles à la Chine.

Il aura fallu les grands moyens – la mise sous tutelle de Sinorama – pour que Guylaine renonce enfin à son rôle de porte-parole, sans pour autant s’excuser d’avoir entraîné ce public qu’elle se targue de tant respecter dans cette aventure douteuse.

Il y a quelques mois, avant que l’affaire n’éclate, exaspérée par le matraquage publicitaire de Sinorama, j’ai pris contact avec Guylaine. En fait, ce n’est pas elle que j’ai appelée, mais son agent, du moins celui qu’elle présente et qui, dans le milieu, est considéré comme son agent : son conjoint Christian Lebel, qui est aussi policier à la Sûreté du Québec.

Mes questions, c’est à celui qui gérait la carrière et l’image de l’actrice chouchou des Québécois que je voulais les poser. Ne trouvait-il pas qu’il y avait un danger à laisser « sa cliente » saturer les ondes publiques, risquant ainsi de lasser le public et de miner sa popularité ? Tout ce matraquage publicitaire ne le gênait-il pas ? Après tout, ce n’est pas comme si Guylaine Tremblay avait besoin d’être davantage exposée. Rien que la saison passée, Guylaine Tremblay a joué dans la nouvelle sitcom En tout cas, dans Unité 9, dans une pub pour le lait, au théâtre chez Duceppe dans une pièce de Tremblay, avant d’animer le magazine Banc public à Télé Québec.

Non seulement Guylaine ne chôme pas, mais il est difficile d’allumer sa télé sans qu’elle y soit. Je comprends qu’un acteur ait besoin de travailler pour gagner sa vie, mais il y a des limites, non ?

Finalement, ce n’est pas Christian Lebel, mais Guylaine Tremblay qui m’a rappelée. L’actrice ne comprenait pas où je voulais en venir. Pour elle, ce matraquage était quelque chose de normal. Elle l’avait déjà vécu comme porte-parole de Metro. Elle l’avait vu pratiqué dans d’autres pubs. Pour elle, il n’y avait rien de neuf sous le soleil.

Ce jour-là, Guylaine a défendu bec et ongles Sinorama et son amie Martine qui, m’a-t-elle juré, est une vraie amie. Elle m’a raconté avoir découvert la Chine avec ses parents grâce à Sinorama, mais bien avant de devenir porte-parole, sous-entendant qu’elle avait acheté le produit avant de s’y associer. Elle a aussi tenu à préciser qu’elle ignorait tout des affaires financières de Sinorama et que ça ne l’intéressait pas.

J’ai trouvé ça bizarre et un brin irresponsable.

Quand on s’appelle Guylaine Tremblay et qu’on met sa crédibilité et sa popularité au service d’une entreprise, il me semble qu’un minimum de vérifications serait de mise. Et si on n’y connaît rien, on demande à quelqu’un qui s’y connaît ou alors à son agent.

En signant son contrat de porte-parole avec Sinorama, Guylaine Tremblay savait très bien qu’elle allait entraîner un nombre important des fidèles à acheter un forfait de Sinorama. Il est d’ailleurs à parier qu’ils ont été des milliers à se précipiter chez Sinorama grâce à ses petits prix qui défiaient toute concurrence, mais aussi grâce à Guylaine Tremblay. Parce que les Québécois l’aiment, qu’ils s’identifient à elle, qu’ils ont confiance en elle et que son enthousiasme contagieux pour la Chine les a contaminés.

Évidemment, Guylaine Tremblay n’est pas responsable des finances troubles ni de la mise en tutelle de Sinorama. Mais elle s’est associée aveuglément, et sans doute à prix fort, à une entreprise aux méthodes tellement douteuses que son permis de voyagiste vient d’être révoqué. Elle a profité de sa popularité et de l’affection que le public lui porte pour faire mousser la marque de cette entreprise et faire augmenter son chiffre d’affaires et son volume de voyages. Maintenant, devant le beau gâchis de Sinorama et les voyages à l’eau de centaines de voyageurs, Guylaine Tremblay pourra toujours plaider l’ignorance, mais elle ne pourra nier sa part de responsabilité.

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