Armes à feu

Vie et mort d’une arme de guerre

Simple passe-temps en Occident, les armes et les munitions de guerre comme celles que notre journaliste a achetées légalement au Québec ont une vie bien différente entre les mains de soldats dans les zones les plus troublées de la planète. Enquête sur les origines d’une arme à feu très populaire au Québec, et sur les étapes à franchir pour posséder des armes semblables, restreintes ou non.

UN DOSSIER DE TRISTAN PÉLOQUIN

De l’arsenal à la fonderie

Aperçue à quelques occasions en Syrie et en Irak entre les mains de combattants du groupe armé État islamique, la SKS est une arme encore utilisée pour la guerre, surtout dans des conflits en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. 

D’après son numéro de série, notre SKS a vu le jour en 1952 à l’arsenal de Tula, en Russie, un célèbre centre industriel militaire situé à 200 km au sud de Moscou.

« Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai vu au Niger une carabine SKS aussi produite en 1952 à l’arsenal de Tula qui a été saisie pendant une opération antiterroriste au centre du pays, affirme Mike Lewis, chercheur spécialiste des mouvements d’armements affilié à l’organisme non partisan Conflict Armament Research. Malheureusement, je ne peux pas communiquer plus d’informations puisque l’arme est sous scellés judiciaires. »

« Ce que nous faisons, c’est un travail de fourmis. Nous documentons chaque arme une par une, pour essayer de comprendre par les mains de qui elles sont passées avant d’arriver dans un conflit. Nous croyons que c’est important pour comprendre la dynamique des guerres », précise M. Lewis, dont l’organisme est financé par l’Union européenne.

Les 700 balles à cœur d’acier que nous avons achetées pour ce reportage proviennent aussi de Tula. Elles ont été produites en 1973 par Tula Cartridge Works, révèlent les codes inscrits sur la boîte de métal scellée dans laquelle elles ont été conservées pendant plus de 40 ans. « D’après notre base de données, les cartouches 7,62 mm x 39 Tula de 1973 [qui portent la même inscription « 539 73 » que les nôtres sur le culot de chaque douille] ont notamment été saisies auprès de soldats de l’État islamique à plusieurs endroits en Irak et en Syrie, ainsi qu’en Libye lors d’une opération à Syrte en 2015 », précise M. Lewis.

« Plusieurs millions de cartouches semblables ont été produites par les manufactures de l’ère soviétique, et elles sont en circulation licite ou illicite partout dans le monde. »

— Mike Lewis

Comment ces armes et munitions, qui sont vendues par ailleurs légalement au Canada, ont ainsi pu se retrouver entre les mains de combattants de l’EI ? Des dizaines d’importateurs d’armes de partout dans le monde se chargent de cette besogne, laissant généralement peu de traces de leurs transactions.

En 2008, une enquête du Congrès américain a révélé que des cartouches de calibre 7,62 x 39 fournies par le Pentagone aux forces de l’ordre afghanes provenaient en grande partie de dépôts militaires de l’ancien bloc communiste, ainsi que de dépôts chinois. Plusieurs de ces munitions, dont des balles de Tula Cartridge Works, ont ensuite été détournées aux talibans vers 2009, possiblement par des policiers afghans corrompus, ont avancé des officiels de l’armée américaine dans un article du New York Times.

Des balles produites par Tula Cartridge Works qui étaient « à l’origine vendues sur le marché civil américain sous le nom de “ Wolf Performance Ammunitions ” » ont aussi été retrouvées en 2016 à Mossoul entre les mains d’insurgés de l’État islamique, indique un rapport de signalement de Conflict Armament Research consulté par La Presse. « La chaîne de possession entre le transfert original par le manufacturier et l’acquisition par les forces de l’EI est inconnue », précise le rapport.

Un autre rapport de signalement suggère que les balles de Tula 1973 semblables aux nôtres retrouvées entre les mains de militants du groupe État islamique en Libye ont été fournies « soit par des milices ethniques prédominantes (Toubou, Touareg, Awlad Suleiman et Kadhadhfa) ou par des contrebandiers au sud de la Libye ».

« L’élément central à retenir quand on cherche à déterminer comment une arme ou une cartouche est arrivée en zone de conflit, c’est que son manufacturier est rarement l’élément le plus significatif, précise M. Lewis. C’est presque toujours un utilisateur subséquent qui les a détournées pour un usage illicite. »

Stockées dans des bunkers

Produites à Tula à partir de 1949, les SKS russes ont très peu servi sur les lignes de front pendant la guerre froide. La Fédération russe en a cependant stocké des centaines de milliers dans des dépôts partout sur son territoire. Des milliers d’entre elles ont été distribuées par la Russie à des pays alliés pendant la guerre froide : notamment au Liban, au Viêtnam et en Indonésie, indique le livre The SKS Carabine, écrit par Steve Kehaya et Joe Poyer.

« Les SKS qu’on trouve aujourd’hui dans les zones de guerre ont pour particularité d’avoir été détournées récemment. On les voit de temps à autre en terrain hostile. Ce ne sont pas des armes obsolètes, mais elles ne sont pas beaucoup utilisées sur les lignes de front », explique M. Lewis. « En règle générale, la plupart du matériel qu’on trouve est très vieux, mais ce n’est pas nécessairement le cas de ces armes, qu’on trouve souvent dans des caches qui ont été mises en place par des États, ou parfois illicitement mais avec la complaisance des politiciens », souligne M. Lewis. Peu importe leur type, elles sont généralement importées en très grandes quantités d’un coup, mais « les soldats voyagent aussi d’un pays à l’autre avec leurs armes », ajoute le spécialiste.

Plusieurs armes provenant de ces dépôts russes sont vendues pratiquement intactes en Occident, encore enduites de « cosmoline », un gel graisseux qui les a protégées de l’humidité des bunkers où elles ont été stockées pendant plus d’un demi-siècle. À l’effondrement du bloc soviétique, en 1991, plus de 1 million de ces SKS ont été importées par les États-Unis et le Canada pour les marchés civils, toujours selon The SKS Carabine.

Direction la fonderie

Par choix et question d’expliquer comment se débarrasser d’une arme à feu en toute légalité et en toute sécurité, nous avons décidé que la petite histoire de notre SKS s’arrêterait avec ce reportage. La neutralisation d’une arme à feu est un processus légal nécessitant plusieurs étapes, dont une enquête en bonne et due forme sur l’arme et ses papiers d’enregistrement.

« Lorsqu’un citoyen trouve une arme et qu’il ne sait pas qui en est le propriétaire (par exemple, si l’arme est trouvée dans une poubelle), le citoyen doit immédiatement appeler le 9-1-1 afin que des policiers patrouilleurs viennent récupérer l’arme. Il peut également se rendre dans un poste de quartier pour la remettre », précise la porte-parole du SPVM Sandrine Lapointe.

Comme n’importe quel propriétaire d’arme qui souhaite s’en départir (et qui possède les autorisations de transport nécessaires s’il s’agit d’une arme à autorisation restreinte), nous n’avons eu qu’à nous rendre au poste de police le plus près pour entamer le processus et recevoir un certificat de « désistement d’arme à feu ». Dans les prochains jours, notre SKS sera transportée par un policier vers un des quatre centres opérationnels du SPVM, et entreposée dans un dépôt spécial. Les policiers procéderont alors à l’enquête sur la carabine, et si tout est conforme, celle-ci sera transférée à la Sûreté du Québec. De là, le bureau du Contrôleur des armes à feu rédigera les formulaires nécessaires « afin de laisser une trace des armes dans les archives », indique le SPVM. En cas de doute, les policiers pourraient l’envoyer au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec, pour que des traces de balles et de douilles soient conservées.

Ultimement, une fois toutes ces étapes franchies, l’arme sera détruite dans une fonderie. C’est le sort qui attend notre SKS d’ici environ un mois, une fois toute la paperasse approuvée. Mais avec 15 millions de SKS du même modèle produites par l’URSS, dont des dizaines de milliers en circulation au Canada, ce n’est qu’une infime fraction qui disparaîtra de l’arsenal mondial.

Les étapes pour obtenir un permis

Obtenir un permis d’arme à feu à autorisation restreinte permettant de tirer au pistolet et aux armes longues contrôlées comme l’AR-15 n’est pas nécessairement très difficile. Mais la démarche est longue, relativement coûteuse, et suscite des malaises dans certains milieux. Journal de bord.

3 novembre 2017

Cours canadien de sécurité et de maniement des armes à feu à autorisation restreinte

Durée : 1 jour

Coût : 108,14 $

Une douzaine de participants sont présents, dont une femme portant le hijab qui suivait le cours pour devenir agente de douane, un homme habillé en western portant un bandana aux couleurs du drapeau des États-Unis et un travailleur humanitaire international qui doit occasionnellement manier des armes quand il se trouve en région très éloignée.

En expliquant qu’il faut avoir un permis de transport du Bureau du contrôleur des armes à feu pour déplacer une arme restreinte jusqu’au champ de tir, l’instructeur lance ceci : « Si un policier t’arrête en sortant d’un restaurant et te demande t’arrives d’où, tu ne dis pas “un club de tir”. Es-tu obligé de dire à un policier que t’as une arme ? Non. Tu te mets pas dans le trouble. »

Les instructeurs se montrent très stricts avec les règles de sécurité entourant la manipulation des armes.

15 novembre

Les résultats de l’examen arrivent par la poste

Devant ma conjointe, je me réjouis d’avoir obtenu 96 % au test théorique et 92 % à l’examen pratique de manipulation. Elle soupire : « Peux-tu ne pas en parler devant les enfants ? Ce n’est pas quelque chose que tu devrais célébrer », me reproche-t-elle. Puisqu’elle est très mal à l’aise avec l’idée qu’une arme à feu sera bientôt entreposée dans la maison, je lui explique qu’on devra inévitablement aborder la question avec les enfants. Les instructeurs de tir suggèrent même de montrer l’arme aux enfants et d’en expliquer le fonctionnement, pour éviter qu’ils jouent avec par curiosité. La question reste en suspens.

Autour de moi, la plupart des amis et collègues masculins à qui je parle de ma démarche se montrent curieux et aimeraient m’accompagner au champ de tir une fois que j’aurai le permis. Les femmes sont généralement plus réfractaires à l’idée.

21 novembre 2017

Cours « loi 9 »

Unique au Québec, obligatoire pour obtenir le permis restreint

Durée : 4 heures

Coût : 49,69 $ + 20 $ pour l’achat de cartouches et la location d’un pistolet

Imposé par Québec à la suite de la tuerie de Dawson, ce test d’aptitude oblige les participants à tirer 20 cartouches de pistolet de façon sécuritaire dans un champ de tir. On reçoit le questionnaire de l’examen théorique avant même le début du cours, ce qui nous donne amplement le temps de lire les questions avant d’écouter les explications de l’instructeur. L’examen se fait à livre ouvert.

Comme pour la plupart des participants, c’est la première fois que je tire à une arme à feu. Mes mains sont moites et tremblantes au moment où je charge le pistolet 9 mm, mais je me surprends à constater à quel point j’atteins facilement la cible. Avant de partir, l’instructeur m’indique que j’ai réussi le cours.

24 novembre 2017

Cours canadien de sécurité et maniement des armes à feu (non restreintes)

Obligatoire pour obtenir le permis restreint

Durée : 1 jour

Coût : 76 $

Située dans un magasin d’armes à feu de Laval, la salle de cours est pleine. Un mineur se trouve parmi les 15 participants. « Il a la sécurité à cœur », assure sa mère à l’instructeur, juste avant de s’éclipser. « Il est à l’endroit le plus sécuritaire en ville. Ça va bien aller », réplique l’instructeur. Vérification faite, la GRC attribue une cinquantaine de permis d’utilisateur d’armes à feu non restreintes à des mineurs chaque année au Canada. Ceux-ci doivent être âgés de plus de 12 ans, mais il leur est interdit de posséder une arme avant leurs 18 ans.

Deux participants avec qui je fraternise, un homme et une femme, pensent avoir échoué à l’examen de manipulation sécuritaire qui se déroule seul à seul devant l’instructeur. La chose est peu fréquente : « Sur 850 élèves, j’ai 10 ou 15 échecs par année », indique Michel Fortin, président du Club de tir de Sainte-Agathe, qui est aussi formateur pour ce cours.

5 décembre 2017

Identification au poste de police

Il est obligatoire de faire remplir un formulaire d’identification par un policier du poste de police local pour obtenir le permis restreint, mais cette formalité n’est pas obligatoire pour les armes longues non restreintes. En prenant rendez-vous au téléphone, le policier m’indique qu’il ne sait pas exactement comment fonctionne le protocole, car ces demandes sont plutôt rares à Montréal. Sur place, le policier me pose une seule question : « Pourquoi vous voulez un permis restreint ? » Une seule réponse est possible : faire du tir sur cible. Le formulaire est signé et estampillé par le policier en moins de six minutes.

8 décembre 2017

Dépôt de la demande de permis

Coût : 60 $ pour le permis non restreint ou 80 $ pour le permis restreint

Le formulaire de demande de permis de possession et d’acquisition d’arme à feu exige la signature de ma conjointe et de deux répondants. « Si vous ne fournissez pas la signature de votre époux ou épouse antérieurs, de votre conjoint de fait ou de tout autre partenaire conjugal, le contrôleur des armes à feu a le devoir de les informer de votre demande », précise le document.

Le formulaire requiert aussi d’indiquer si j’ai des antécédents criminels, si j’ai vécu un divorce, une rupture ou si j’ai perdu mon emploi au cours de la dernière année. « Répondre oui à l’une des questions ci-dessous ne veut pas dire que votre demande sera rejetée ; cela peut entraîner un examen plus approfondi », précise le formulaire.

15 mars 2018

Vérification auprès de mes répondants

Une employée du Bureau du contrôleur des armes à feu appelle mes deux répondants. Elle veut savoir s’ils ont bien signé ma demande et s’ils ont subi de la pression pour le faire. Elle demande également si j’ai un « intérêt marqué pour des actes de violence concernant les armes à feu, le terrorisme ou des groupes précis en lien avec la race ou la religion ». Elle veut savoir si j’ai déjà manifesté un comportement violent ou si je pourrais approuver l’utilisation de la violence pour résoudre un problème.

29 mars 2018

Réception du permis par la poste

Temps requis pour obtenir le permis de possession et d’acquisition d’arme à autorisation restreinte 

4 mois et 26 jours

Coût total 

333,83 $ pour un permis restreint

136 $ pour un permis non restreint

Fou de ses armes

Gabriel Pasquier l’admet d’emblée : il est un maniaque des armes à feu. Amoureux des siennes au point de garder son pistolet Glock déchargé près de lui lorsqu’il est à la maison. Convaincu de sa mission de « promouvoir l’armement civil au Québec » au point d’en perdre des amis et des membres de sa famille.

« Je ne crois aucunement au contrôle des armes à feu », affirme l’homme de 29 ans, qui possède en tout une dizaine d’armes à feu, dont trois carabines d’assaut AR-15 à autorisation restreinte, une carabine SKS semblable à celle que s’est procurée La Presse pour cette série de reportages et plusieurs armes militaires.

Pour lui, posséder des carabines semi-automatiques AR-15, l’arme utilisée dans plusieurs récentes tueries aux États-Unis (Las Vegas, Parkland et plus récemment Nashville), est un geste politique : « L’AR-15, c’est l’emblème de notre communauté. Les miennes sont noires et ont l’air dangereuses, parce que ça me fait tellement chier, la volonté des groupes anti-armes de m’interdire ma passion, que ça me donne juste le goût de l’extérioriser encore plus en leur donnant une apparence méchante. » Ces armes, dit-il, ont aussi un excellent rapport qualité-prix, ce qui les rend particulièrement populaires aux États-Unis, où elles sont soumises à très peu de restrictions.

« Il n’y a pas de logique dans le contrôle des armes. Ça ne change rien, je suis convaincu de ça. Le gars qui veut faire une tuerie, rien ne va l’empêcher. Il va faire son carnage avec un camion, avec un couteau, avec n’importe quoi qui lui tombe sous la main. »

— Gabriel Pasquier

Sur les forums internet que Gabriel fréquente et administre, comme le groupe Facebook SKS Québec, un des plus radicalement opposés au contrôle des armes, plusieurs propriétaires d’armes partagent son opinion. Les membres s’échangent des photos de leurs armes modifiées et publient des blagues et des bandes dessinées tournant en ridicule les mesures de contrôle d’armes imposées par la GRC et le Contrôleur des armes à feu. Plusieurs évoquent ouvertement l’idée de ne pas enregistrer leurs armes au Service d’immatriculation des armes à feu du Québec, qui administre le nouveau registre des armes longues.

Les propriétaires d’armes qui sont favorables aux règles de contrôle actuelles y sont qualifiés de « fudds », un terme péjoratif commun dans le milieu des armes à feu, faisant référence à Elmer Fudd, le chasseur un peu niais des dessins animés de Bugs Bunny.

Respecter la loi, mais...

Cette attitude ne fait bien sûr pas l’unanimité parmi les tireurs. « Les survivalistes qui se constituent des montagnes de munitions par peur que la fin du monde arrive nuisent à notre image. Le contrôle des armes est souvent un irritant, c’est vrai, mais il y a un juste milieu, il me semble », lance Jonathan Prieur, qui possède lui-même une AR-15, plusieurs pistolets et des armes de guerre historiques.

La grande majorité des tireurs que nous avons rencontrés dans le cadre de cette série de reportages se sont dits agacés par certains aspects des lois sur le contrôle des armes à feu. Mais tous les tireurs que nous avons rencontrés ont dit tout faire pour respecter les règles scrupuleusement. Certains ont cependant admis tordre la réglementation qui limite les chargeurs d’armes semi-automatiques à cinq coups, en se servant plutôt de chargeurs de pistolets de 10 coups dans des AR-15 et d’autres armes restreintes. « C’est une grosse zone grise », reconnaît le spécialiste de la balistique judiciaire Érik Hudon, qui est appelé à témoigner en cour pour les crimes liés aux armes. « C’est stupide de faire ça », dénonce pour sa part le directeur général de la Fédération de tir du Québec, Gilles Bédard. « La loi est très claire, c’est fait pour que des personnes sans grande éducation la comprennent. Pourquoi essayer de la contourner en mettant 10 balles dans une carabine ? C’est imbécile, ça ne sert objectivement à rien, et ceux qui le font risquent des condamnations pénales et des peines d’emprisonnement », insiste M. Bédard.

Mais Gabriel Pasquier croit que les tireurs respectueux des règles « finissent tous par enfreindre la loi sans le vouloir ». « Tout le monde a déjà été dans l’illégalité, tellement il y a de petits règlements », dit-il.

Avec le prix élevé des munitions et les nombreuses contraintes légales, son passe-temps finit par lui coûter cher, tant financièrement qu’émotivement, admet-il. « Comme communauté, on vit de l’intimidation, va-t-il jusqu’à dire. Les filles, dès qu’elles voyaient sur mon profil Facebook que j’ai une passion pour les armes, c’était fini, elles partaient en peur et je ne les revoyais plus, dit-il. Heureusement, j’ai fini par trouver une fille qui est aussi maniaque que moi. »

Gabriel ne se voit pas vivre sans ses armes. « Si tu m’enlèves mon hobby, c’est clair que je vais me péter une dépression. »

Le modèle suisse comme idéal

Comme beaucoup d’amateurs d’armes à feu, Gabriel Pasquier cite en exemple la Suisse pour démontrer que la possession d’armes à feu n’augmente pas le risque d’homicides ou de tueries.

Le taux de possession d’armes civiles du pays helvétique s’élève à 24 armes à feu par 100 habitants. Il se situe au 22e rang des pays les plus armés, derrière le Canada (au 12e rang avec 25 armes par 100 habitants) et les États-Unis, qui trônent loin devant avec 101 armes par 100 habitants, selon GunPolicy.org.

Une autre source fiable, le Small Arms Survey de 2007, affirme que le taux réel de possession d’armes civiles en Suisse est possiblement sous-estimé de plusieurs millions, ce qui placerait le pays au 3e rang mondial, juste derrière le Yémen. Traditionnellement, les réservistes de l’armée suisse entreposent leurs armes de service et leurs munitions scellées à la maison. Ces armes peuvent être achetées et conservées après la fin de leur engagement, « une option choisie par 57 à 75 % des anciens soldats », souligne le Small Arms Survey.

Le taux d’homicide par armes à feu de la Suisse n’est que de 0,2 par 100 000 habitants (29 % de tous les homicides), contre près de 4 par 100 000 habitants aux États-Unis (60 % des homicides).

« J’ai vécu en Suisse. J’ai vu des gens qui se promenaient avec une arme au supermarché. Tu regardes ce peuple-là, et tu vois que les gens sont heureux. Il n’y a pas les problèmes sociaux importants qu’on voit aux États-Unis. C’est une nation plus saine, fondamentalement moins violente », avance celui qui dit ne croire « aucunement au contrôle des armes à feu ».

Or, la Suisse est aussi l’un des pays qui imposent les contrôles les plus stricts aux propriétaires d’armes, à des lieues des règles ultrapermissives des États-Unis. Bien que l’acquisition d’armes de chasse à un coup ne soit pas contrôlée dans certains cantons, la vente de toute arme semi-automatique ou arme de poing doit obligatoirement être approuvée par les autorités cantonales. Le port ouvert ou dissimulé d’armes en public est autorisé, mais soumis à des permis spéciaux, pour lesquels les détenteurs doivent démontrer qu’ils font face à une menace précise justifiant qu’ils aient telle arme sur eux. Dans certains cas, ces permis doivent être renouvelés tous les trois mois. Les propriétaires d’armes doivent aussi fournir une copie de leur passeport et un extrait de leur casier judiciaire. Les personnes consommant des stupéfiants, souffrant de troubles psychiques ou ayant commis des actes de violence ne peuvent pas obtenir de permis de possession. La Suisse interdit aussi expressément la possession d’armes aux ressortissants des pays suivants : Albanie, Algérie, Sri Lanka, Kosovo, Macédoine, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Turquie.

« Bien que 60 % des meurtres commis en Suisse avec une arme à feu l’aient été avec une arme acquise de manière privée, 68 % des suicides ont été commis avec des armes de service provenant de l’armée », précise le Small Arms Survey de 2007.

*** TBALEAU ??? ***

Japon

Taux de possession : 0,6 arme à feu par 100 habitants

Taux d’homicides par arme à feu : 0,01 par 100 000 habitants (2 % de tous les homicides)

Évaluation de troubles mentaux, de dépendances et tests de dépistage de drogue obligatoires.

Vérifications d’antécédents criminels.

Les demandeurs doivent prouver qu’ils ont un motif légitime de posséder une arme.

Les autorités peuvent inspecter le lieu d’entreposage en tout temps

Australie

Taux de possession : 14 par 100 habitants

Taux d’homicides par arme à feu : 0,18 par 100 000 habitants (16 % de tous les homicides).

Armes semi-automatiques interdites aux civils.

Possession d’arme pour protection personnelle interdite.

Les détenteurs de permis doivent démontrer qu’ils sont membres d’un club de tir ou pratiquent la chasse.

Vérification complète des antécédents criminels et psychologiques, y compris la violence domestique.

Le nombre d’armes maximum qu’un individu peut posséder est précisé par son permis de possession.

Le pays tient un registre des transactions.

États-Unis

Taux de possession : 101 par 100 habitants.

Taux d’homicides par arme à feu : 4 par 100 000 habitants (60 % de tous les homicides).

Droit de posséder des armes garanti par la Constitution.

Possession d’armes semi-automatiques et armes de poing autorisée sans permis dans la plupart des États.

Interdit de posséder une arme automatique ou un fusil à canon scié sans autorisation.

Source : GunPolicy.org

Une boutique d’armes qui résiste au nouveau registre

Même si certains commerçants se chargent eux-mêmes d’inscrire les armes à feu sur le nouveau registre québécois des armes longues, la boutique Pronature de Terrebonne, où j’ai acheté la SKS, ne l’a pas fait. Le vendeur n’a même pas fait mention de l’obligation d’enregistrer l’arme avant le 29 janvier 2019.

Le gérant du magasin, Patrick Léveillé, admet qu’il y a une certaine forme de résistance politique dans cette approche : « Il n’y a pas grand monde qui croit à ça, le registre. C’est du niaisage, c’est de la politique. Le gouvernement va mettre des milliards, et au bout de la ligne, ça ne va pas changer grand-chose. Moi, il n’y a pas encore personne qui m’a démontré que ça va empêcher une tuerie », m’a-t-il justifié au bout du fil, quelques semaines après la transaction.

« Quand la loi va être en vigueur, on va l’appliquer, mais on attend de voir ce qui va se passer. On s’en va en élections, tout peut changer. »

— Patrick Léveillé

Plusieurs regroupements de propriétaires d’armes, dont le collectif Tous contre un registre des armes à feu, incitent d’ailleurs leurs membres à ne pas inscrire leurs carabines et fusils de chasse sur le registre québécois.

Pour l’heure, rien dans la loi n’obligeait la boutique à enregistrer les armes qui se trouvaient déjà dans ses stocks au début de l’année, confirme le ministère de la Sécurité publique. Rien non plus ne force les commerçants à enregistrer les armes pour leurs clients, même si cette démarche sera obligatoire en 2019. « Ils n’ont pas l’obligation de le faire. C’est un service qu’ils peuvent rendre ou pas », résume une préposée du Service d’immatriculation des armes à feu du Québec à qui j’ai posé la question. « C’est sûr que ç’aurait été plaisant de savoir ce qu’ils ont fait comme démarche », a-t-elle ajouté après avoir vérifié mon dossier et constaté que le commerce n’avait fait aucune démarche en ce sens. « On ne gère pas la façon dont les commerçants font le suivi avec les clients. Vous avez bien fait de l’immatriculer par vous-même, parce que ça n’avait pas été fait », a-t-elle ajouté.

Le policier du SPVM à qui j’ai remis l’arme pour la faire neutraliser à la fin de ce reportage (voir deuxième onglet) a par ailleurs remarqué que le numéro de série sur la facture de Pronature n’est pas le même que celui gravé sur la carcasse. Cette situation n’a pas posé de problème immédiat au moment d’obtenir un certificat de « désistement d’arme » du poste de police, mais pourrait être problématique si les policiers voulaient retracer d’où elle provient.

L’inscription sur le site web du Service d’immatriculation des armes à feu du Québec s’est faite en moins de 10 minutes. Il suffit de trouver le nom de l’arme dans une liste défilante et les détails techniques s’enregistrent automatiquement. Le plus difficile est de trouver le numéro de série de l’arme, qui est gravé sur la carcasse. L’inscription est complètement gratuite et, objectivement, sans tracas.

À la fin du mois d’avril, 62 644 armes avaient été inscrites sur le registre, soit à peine 3,7 % de toutes les armes québécoises sans restriction qui figuraient dans l’ancien registre fédéral.

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