Chronique Lysiane Gagnon

La parité et le néo-paternalisme

Il y a plusieurs sortes de féminisme : le féminisme humaniste, qui inclut les hommes, le féminisme radical, fondé sur l’aversion des hommes… Et il y a aussi ce que j’appellerais le féminisme de comptables, qui se cristallise ces jours-ci autour de l’objectif de la parité hommes-femmes.

Parité partout, 50-50 idéalement, imposition de quotas pour forcer la société à se plier au nouveau credo. Une distribution arithmétique des postes, à partir du critère de l’identité sexuelle… qui est pourtant un attribut bien secondaire, quand il s’agit de fonctions d’ordre professionnel.

Malgré les bonnes intentions qui la motivent, la parité est un objectif réducteur et simpliste, parce qu’il ne tient pas compte des réalités complexes et mouvantes qui orientent la vie en société et les choix de carrière des hommes et des femmes.

Même à supposer que la parité puisse être appliquée dans tous les domaines, ce serait un pansement illusoire, qui ne ferait pas disparaître le sexisme d’un coup de baguette magique.

Les conseils de ministres paritaires, qui sont devenus la norme depuis le gouvernement de Jean Charest, en sont un bon exemple. Le bilan : de la poudre aux yeux.

Ce furent dans tous les cas des opérations de camouflage cosmétique qui n’ont pas fait avancer la cause des femmes d’un iota, et qui se sont déroulées de la même façon, tant à Québec qu’à Ottawa.

Comme les députées n’étaient pas assez nombreuses et pas toutes extraordinairement qualifiées, et qu’il fallait aussi tenir compte des facteurs régionaux, les chefs de gouvernement ont morcelé les responsabilités ministérielles, créé de nouveaux postes de ministres délégués et des « mini-ministères » (tourisme, aînés, etc.) dans le but de caser le plus grand nombre possible de femmes dans l’organigramme.

Quand Justin Trudeau a formé son conseil des ministres, des critiques ont découvert que cinq de ses nouvelles ministres seraient moins bien rémunérées que les autres car elles n’étaient pas ministres en titre. Il a réglé l’affaire en augmentant arbitrairement leur salaire !

Double injustice : non seulement un député avait trois fois moins de chances que sa consœur députée d’accéder au Conseil des ministres (la députation libérale comptait 50 femmes et 134 hommes), mais ces ministres féminines « juniors » bénéficient des mêmes privilèges que les « vrais » ministres sans avoir les mêmes responsabilités !

Quand on construit une maison, on commence par les fondations. Pas par le toit.

Si l’on veut augmenter le nombre de femmes en politique, c’est en amont qu’il faut travailler : en incitant les femmes à se porter candidates aux élections, et ce, dans des circonscriptions « gagnantes ». Ce n’est pas en fabriquant artificiellement des conseils de ministres prétendument paritaires à partir d’un caucus très majoritairement masculin.

De la même façon, si l’on veut augmenter le nombre de femmes dans des postes de direction, c’est en facilitant leur promotion au sein des entreprises, de manière à élargir le bassin de gestionnaires compétentes.

Les femmes bénéficient-elles des quotas imposés par le haut ? Selon des enquêtes du Figaro et du magazine The Economist, les quotas imposés aux conseils d’administration, dans certains pays d’Europe de l’Ouest, n’ont pas amélioré la situation des employées des échelons inférieurs de la pyramide.

En Norvège, les quotas, en vigueur depuis 2003 dans les conseils d’administration de toutes les sociétés publiques et privées, n’ont pas fait augmenter le nombre de femmes dans les postes de cadres au sein des entreprises, ni réduit les écarts de salaire entre les employés masculins et féminins, ni modifié les modes de gestion des entreprises.

« Question business, rien n’a changé, se félicite une administratrice norvégienne qui est aussi directrice d’une société pétrolière, c’est la rentabilité qui compte ! ».

Le gouvernement ultra-féministe de Justin Trudeau oblige les organismes qui subventionnent la recherche universitaire à promouvoir la diversité, en privilégiant non seulement les femmes, mais des minorités qui sont pratiquement absentes du monde de la recherche avancée, comme les autochtones, les trans ou les handicapés.

Encore une initiative inspirée par les bons sentiments plutôt que par une approche scientifique ou par l’intérêt national. L’évaluation au mérite ne devrait-elle pas primer sur toute autre considération dans le domaine de la recherche universitaire ?

S’il fallait qu’en plus la politique des quotas soit imposée aux organismes subventionnaires des arts, ce serait encarcaner la création, domaine qui, plus encore que tout autre, se refuse aux carcans rigides de l’idéologie.

Cela serait injuste, non seulement pour les hommes de talent qui se trouveraient écartés, l’argent n’étant pas élastique, mais aussi pour les femmes elles-mêmes, qui risqueraient d’être vues comme des femmes-alibis.

Qu’y a-t-il de plus insultant, pour une femme, que de se voir soupçonnée de devoir sa promotion ou sa subvention à des quotas plutôt qu’à ses propres mérites intellectuels ou artistiques ?

Sans compter que la parité, cela joue dans les deux sens. Faudrait-il, pour rétablir la parité, bloquer l’entrée des filles dans les facultés de médecine ou en droit parce qu’elles y sont largement majoritaires ? Instituer des politiques de discrimination positive pour la formation des infirmières afin que les hommes puissent y accéder en plus grand nombre ?

Le corps étudiant des universités est maintenant majoritairement féminin, et l’écart continue de s’accroître en faveur des femmes. Elles n’ont pas eu besoin, pour cela, de traitements de faveur.

Les femmes peuvent faire leur chemin toutes seules, décider d’aller ou non en politique, de solliciter ou non un poste de cadre, sans se faire chouchouter par des règlements inspirés de ce néo-paternalisme qui les présente comme des petites choses fragiles et impuissantes.

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