« Je suis fatigué »
Invoquer la fatigue est, aux yeux de certains ados, un argument massue. Qu’on leur propose un tour de vélo ou simplement de s’extirper du canapé, ceux-là ont une réplique toute trouvée : « Je suis fatigué. » Et si on leur demande de l’aide pour les tâches ménagères, c’est pire : ils sont « très » fatigués ! Est-il possible de manquer d’énergie à ce point à 12, 14 ou 16 ans ? S’agit-il d’une ruse peu subtile ou d’un problème de santé réel ?
Qu’un ado se plaigne de fatigue n’a rien d’exceptionnel, selon Richard Bélanger, pédiatre spécialiste des adolescents au CHU de Québec. « Un peu moins d’un jeune sur deux se décrit comme fatigué selon les études, dit-il. Quand on parle de fatigue significative, qui est soit prolongée dans le temps – plusieurs mois –, soit associée à de l’incapacité, les chiffres baissent : on est en bas de 10 %. »
Ce n’est pas un symptôme à prendre à la légère pour autant. « Il ne faut pas tenir pour acquis [qu’un ado fatigué,] c’est correct, estime en effet la Dre Kateri Champagne, pneumologue et épidémiologiste aussi formée en médecine du sommeil. Si on constate une discordance avec les pairs, il faut creuser. »
« Est-ce qu’il peut y avoir une cause médicale ? Oui, dit aussi le Dr Alex Desautels, du Centre d’études avancées en médecine du sommeil. Quand est-ce que la fatigue devient un symptôme médical ? Quand il y a une atteinte fonctionnelle. » Avant de spéculer ou même de sauter aux conclusions, les parents doivent d’abord observer si cette fatigue a un impact sur les activités sociales et le rendement scolaire de leur ado.
« Les professionnels de la santé n’abordent jamais un adolescent fatigué avec la notion que cette plainte-là n’est pas véridique, sinon on ne fait pas notre travail. »
— Richard Bélanger, pédiatre spécialiste des adolescents
Autre aspect à vérifier : le temps de sommeil. Selon l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, un enfant a besoin de dormir entre 9 et 11 heures par nuit, en moyenne, jusqu’à 13 ans, puis entre 8 et 10 heures de 14 à 17 ans. Il est aussi important d’évaluer l’utilisation des appareils électroniques et des nouveaux médias en soirée, puisqu’ils touchent de manière grandissante la quantité de sommeil des ados et sa qualité, souligne le Dr Olivier Jamoulle, du CHU Saint-Justine, dans un document datant de l’automne 2017.
Une fois qu’il est établi que le sommeil de l’adolescent est adéquat, il est temps d’enquêter un peu plus. La fatigue, du point de vue médical, peut être le signe d’une foule de choses : hypothyroïdie, anémie, maladie inflammatoire (maladie cœliaque), infections (mononucléose, notamment), leucémie, etc. « Ça prend un bilan de base », résume la psychiatre Johanne Renaud.
Les adolescents de sont pas à l’abri de l’apnée du sommeil, fait valoir Alex Desautels, qui rappelle également que la narcolepsie – maladie qui provoque une irrépressible envie de dormir, peu importe l’heure ou l’endroit – se déclare souvent à l’adolescence. Le médecin de famille ou le pédiatre sera en mesure d’effectuer un bilan physique complet. S’il ne trouve rien, la fatigue est peut-être d’origine psychologique.
Le stress, l’anxiété et les troubles alimentaires peuvent se traduire par une grande fatigue, dit la Dre Kateri Champagne. La dépression aussi, souligne Johanne Renaud. « La fatigue peut être un indicateur [de dépression], convient Alex Desautels. En général, ça vient avec d’autres symptômes : isolement, tristesse, ruminations, accès de colère… »
« Un ado est censé avoir de l’entrain. Un enfant est censé avoir envie d’aller jouer dehors », résume la psychiatre Johanne Renaud. Comme ses autres collègues médecins, elle plaide pour l’activité physique et le maintien d’un climat social et familial sain. « L’activité physique est un anxiolytique, un antidépresseur. Elle fatigue physiquement, mais revigore psychologiquement et physiologiquement, dit Kateri Champagne. Ça aide à mieux dormir. L’activité physique devrait être pratiquée tous les jours. »