Le contrôle par le comptant

Vicky Payeur n’avait que 21 ans quand elle s’est retrouvée dans une situation financière délicate : elle avait accumulé 18 000 $ de dettes en recourant trop généreusement à sa marge de crédit.

Quatre ans plus tard, elle est une adepte du « minimalisme », à ne pas confondre avec la simplicité volontaire, et n’utilise que de l’argent comptant pour ses dépenses au quotidien. Ses dettes ont été remboursées.

Son système est simple : elle retire quelques centaines de dollars chaque semaine, qu’elle répartit avec de petits cartons dans son portefeuille. Elle a établi ses postes budgétaires – épicerie, restaurant, essence, esthéticienne et son chat Elliott – et ne déroge presque jamais aux montants prévus.

« J’ai quand même des cartes de crédit, et les grosses dépenses comme le loyer, Hydro, le cellulaire, bref, les factures, ne sont pas payées comptant », précise la jeune fille.

Elle décrit sa méthode, ses coups de cœur et ses découvertes sur son blogue intitulé Vivre avec moins. Elle compte en outre près de 23 000 abonnés sur YouTube. « Pendant plusieurs années, j’ai surconsommé dans tout, peut-on notamment lire sur son blogue. Vêtements, chaussures, produits d’hygiène personnelle, restauration, nourriture, boissons, et encore plus […]. C’est un environnement stressant qui n’a rien de bon pour l’humain, à part nous rendre plus lâches. »

Éliminer le superflu

L’avantage de sa méthode, c’est qu’elle sait maintenant combien elle dépense tous les jours. « C’est plus visuel. Quand j’ai mis 60 $ dans mon enveloppe pour l’épicerie, je m’arrête là. » À contrario, elle attribue son endettement passé à une surconsommation causée, en bonne partie, par la facilité de dépenser l’argent qu’on ne voit jamais.

« Avec les cartes, on perd le contrôle, ça devient tellement facile de dépenser. »

— Vicky Payeur

Dans la foulée du remboursement de ses dettes, qui a duré 23 mois, elle a appris à resserrer ses finances et à éliminer certaines dépenses superflues. L’effet s’en fait encore sentir. « Ç’a été compliqué, c’est un long cheminement, explique-t-elle. J’ai été très intense pour couper dans beaucoup de dépenses, je me suis débarrassée de 80 % de mes possessions, je suis passée d’un six et demie à un trois et demie. »

Ce qu’elle n’achète plus ? La liste est longue et compte 25 paragraphes sur son blogue. Papier essuie-tout, maquillage « conventionnel » auquel elle préfère les ingrédients naturels, savons industriels, télévision par câble, gadgets de cuisine sont quelques exemples. En règle générale, elle va préférer confectionner elle-même les produits. Les DVD et les livres ? Les bibliothèques publiques sont là, et « Netflix et YouTube sont mes meilleurs amis », écrit-elle.

Caissiers déstabilisés

Payer comptant en 2018 dans certains endroits est devenu inusité, constate- t-elle. « À l’épicerie, les caissiers sont déstabilisés. Je le vois, les gens ne sont plus habitués à être payés en argent. » Parfois, elle a l’avantage d’être la seule de son groupe à avoir le comptant pour de petites dépenses. « Queues de castor au Vieux-Port, la cueillette des pommes, les parcomètres à Trois-Rivières… Il m’est arrivé de payer pour toute la famille ! »

« On ne peut pas revenir en arrière »

« Presque jamais de cash ou de liquide… et je n’ai pas toujours mon portefeuille sur moi. »

Anass Toum-Benchekroun, un Lavallois de 43 ans travaillant dans le milieu de la finance, montre le fond de ses poches : vides. Il trouve très pratique et sûr de tout payer de façon électronique. Son outil préféré : Google Pay, installé sur son téléphone, qui lui permet de passer à la caisse dans pratiquement tous les commerces au quotidien. « McDonald’s, Metro, Jean Coutu », énumère-t-il en affichant son téléphone.

« C’est facile, tellement pratique de ne pas se balader avec 1000 $ en poche. »

— Anass Toum-Benchekroun

Entre les cartes de crédit et son téléphone, tout ou presque est réglé sans qu’un billet de banque soit nécessaire. Les seuls commerçants avec lesquels il fait régulièrement affaire et qui n’acceptent que l’argent comptant, c’est son coiffeur et son nettoyeur. C’est à cause d’eux qu’il doit encore aller faire un tour au guichet automatique une dizaine de fois par année.

« Quand elle a su que je rencontrais des journalistes, ma femme m’a dit : “Dis-leur qu’il faut avoir de l’argent comptant pour les nécessiteux !” Mais j’habite à Laval et je travaille dans l’arrondissement de Saint-Laurent, j’avoue que je n’en croise pas souvent… »

Que fait-il dans les petits commerces qui demandent un montant d’achat minimal, généralement 5 ou 10 $, pour pouvoir utiliser la carte de crédit ? « Il y en a de moins en moins, de ce genre de magasins là… Je vais acheter deux paquets de gommes au lieu d’un, en profiter pour ajouter des petites choses pour la maison. »

Non aux enveloppes

Arrivé au Québec en 2009, M. Toum-Benchekroun a plongé avec enthousiasme dans le paiement électronique, bien plus répandu ici qu’au Maroc et en France où il a vécu. Il convient cependant qu’il a été porté à être plus dépensier, « surtout au début ».

« Il faut une bonne éducation budgétaire pour ne pas tomber dans le piège, estime le professionnel en finance. Laisser les gens apprendre de leurs erreurs, ce n’est pas bien, il faut les informer. » Même s’il convient que l’argent dématérialisé l’a encouragé à dépenser plus, il ne croit pas que la solution consiste à revenir à l’argent comptant. « Classer ses dépenses dans des enveloppes, il me semble que c’est ce qu’on faisait dans les années 60 au Maroc. Ce n’est pas comme ça qu’on va avoir une société moderne. On ne peut pas retourner en arrière. »

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