Walter Berry

Une 45e et dernière saison pour Monsieur Berry

Figure emblématique du football étudiant au Québec, Walter Berry va entreprendre sa 45e saison à titre d’officiel l’été prochain. Ce sera la dernière.

« J’ai débuté quand j’avais 15 ans, un peu par hasard quand l’arbitre ne s’est pas présenté à un match et qu’on m’a demandé de le faire à sa place parce que j’étais le plus jeune entraîneur des deux équipes. J’ai aimé l’expérience sur le terrain et j’ai compris que ça pouvait devenir un petit boulot intéressant, les week-ends, en me laissant du temps pour mes études.

« L’un de mes meilleurs souvenirs remonte à mon premier match avec un groupe complet d’officiels. J’avais eu à prendre une décision sur un jeu et certains collègues voulaient la renverser. L’arbitre en chef a alors déclaré : “C’est lui qui était le mieux placé sur ce jeu, c’est lui qui va décider !”

« Ça m’a donné confiance en moi et j’ai toujours continué. J’ai ainsi eu la chance de gravir les échelons. En 1989, j’ai commencé à faire des matchs universitaires, puis j’ai été embauché en 1999 dans la Ligue canadienne de football [LCF], où j’ai travaillé pendant six saisons. J’ai toutefois constaté que la mentalité y était différente, que ça devenait plus un “vrai” travail, et j’ai préféré me concentrer sur le football amateur par la suite. »

Grande évolution

Le travail d’un arbitre a évidemment beaucoup évolué en 45 ans. « À ma première année universitaire, on devait faire un examen au début de l’année, qu’on remplissait tous ensemble, en se donnant les réponses, avant d’aller prendre une bière ! dit M. Berry. Aujourd’hui, on doit suivre des formations durant l’été, passer un véritable examen ; puis on se revoit avant le début de la saison pour une série de tests physiques. Ce n’est pas aussi exigeant que pour les athlètes, bien sûr, mais il y a une question d’orgueil et tout le monde veut prouver qu’il a sa place sur le terrain.

« La préparation a complètement changé. Les gens pensent souvent : “Ah, les arbitres. Ils arrivent quelques minutes avant le match, gâchent les choses, ramassent leur chèque et rentrent chez eux.” C’était peut-être vrai à mes débuts, mais ce n’est plus le cas. »

— Walter Berry

« C’est beaucoup plus rigoureux, assure Berry. Prenez la dernière Coupe Vanier [où il officiait à titre d’arbitre en chef]. J’avais préparé un plan de match pendant la semaine, car je devais coordonner le travail de tous les officiels. Nous sommes arrivés plusieurs heures avant le match pour passer en revue les choses à surveiller et nous assurer que nous étions tous sur la même longueur d’onde, puisqu’il y avait des officiels des quatre conférences canadiennes.

« Et après le match, on a pris quelques heures pour revoir tous les jeux, noter ce qu’on aurait pu améliorer et rédiger un rapport complet à nos superviseurs. Ça ressemble pas mal à ce qu’on fait toute la saison. »

Des erreurs inévitables

Avec la couverture médiatique accrue du football universitaire, la diffusion des matchs à la télé et sur l’internet, la multiplication des forums de discussion dans les médias sociaux, le travail des arbitres est évidemment soumis à plus d’attention et les erreurs sont inévitables. Toujours impliqué dans les matchs importants, Monsieur Berry est souvent la cible de vives critiques des amateurs.

« Je n’y porte pas attention, assure-t-il. Je ne suis pas sur les médias sociaux et je ne lis pas beaucoup les journaux. En tant qu’arbitre, tu ne peux pas être à l’affût de certaines choses sur le terrain ; tu dois suivre l’action et réagir à ce qui se passe.

« Là où ça change quelque chose, c’est dans les règlements. Les règles sont beaucoup plus strictes maintenant avec une attention particulière à tous les coups au haut du corps, à la tête en particulier. Nous devons pénaliser ces coups et nous le faisons, mais cela ne change pas notre façon d’arbitrer un match. Il faut aussi respecter l’esprit du jeu : on ne veut pas éliminer le football du football, mais on doit le rendre plus sécuritaire. »

La progression exponentielle du niveau du jeu au football étudiant québécois, avec des joueurs toujours plus costauds, plus forts, plus rapides, n’est pas sans imposer des défis aux officiels. Tout se passe très vite et on n’a qu’une fraction de seconde pour prendre une décision.

« Le football est un sport d’angle, de point de vue, rappelle Berry. Si tu es au bon endroit, c’est très simple, si tu ne l’es pas, ça devient plus compliqué. Tu dois prendre ta décision avec ce que tu as vu et ça arrive parfois que le geste fautif ait échappé à ton regard. »

L’arbitre reconnaît avoir commis des erreurs au cours de sa carrière. Il se souvient, par exemple, d’avoir déjà expulsé Arnaud Gascon-Nadon, du Rouge et Or de Laval, pendant la finale de la Coupe Dunsmore en 2011 contre les Carabins. L’ailier défensif ne s’était pourtant avancé sur le terrain que pour séparer deux joueurs qui allaient se battre.

« Je ne voulais pas que les choses dégénèrent, mais je me suis trompé de coupable, se rappelle Berry. Il [Gascon-Nadon] risquait d’être suspendu pour la Coupe Mitchell et j’ai tout de suite reconnu mon erreur. Après le match, quand le superviseur m’a demandé ce qu’on devait écrire dans le rapport officiel du match, je lui ai dit : “Je me suis trompé ! Personne n’a été expulsé dans ce match.” »

Ses « amis » les entraîneurs

« J’ai connu Danny Maciocia quand il était entraîneur au niveau midget et j’ai arbitré des matchs auxquels Glen Constantin a pris part en tant que joueur, explique Walter Berry. Je les connais donc depuis longtemps et nos rapports sont excellents, malgré toute la pression qu’ils subissent de nos jours à la tête de programmes de football qui sont aussi gros que ceux des équipes professionnelles. « Nous rencontrons tous les entraîneurs avant la saison pour passer en revue les règlements, les changements quand il y en a, et voir avec eux comment ils souhaitent qu’ils soient appliqués. Prenons l’exemple des punitions pour avoir retenu. Il y en a probablement sur tous les jeux et on essaie de ne pénaliser que les joueurs qui ont eu une influence sur l’action. Certains entraîneurs veulent toutefois que nous ne laissions rien passer, en prenant le temps de nous expliquer en quoi cela peut toujours avoir un impact. C’est sûr que Danny [Maciocia] ou Glen [Constantin] trouvent cela plus discutable quand on pointe un de leurs joueurs, mais ça fait partie du jeu ! »

Dans toutes les conditions

En 45 ans, Walter Berry a connu toutes les situations au football. « À mes débuts, raconte-t-il, il y avait un parc à Trois-Rivières où tous les bottés devaient être effectués à la même extrémité du terrain ; à l’autre bout, le ballon serait allé dans la rivière ! Et ça m’est arrivé d’arbitrer dans toutes les conditions climatiques, des froids de - 35, des tempêtes de neige… Le pire, ce sont toutefois les matchs disputés sous les pluies froides de l’automne. On est complètement détrempés, complètement gelés aussi, et ça prend de longues douches chaudes après le match pour s’en remettre un peu. Mais c’est aussi ça, le football ! »

Une relève pour les arbitres ?

« Il y a de bons jeunes arbitres, mais c’est difficile de les garder et il faut toujours en recruter de nouveaux », explique Walter Berry, qui travaille justement depuis plusieurs années à la formation et aux examens des recrues, en plus d’être responsable de la rédaction et de la traduction des règlements. « C’est difficile, car les jeunes semblent moins motivés qu’auparavant. Il faut vraiment aimer le football, et les arbitres de ma génération sont tous de vrais amateurs, qui peuvent passer des heures à discuter des règlements, des jeux ou de ce qu’on pourrait faire pour améliorer les choses. Aujourd’hui, j’en vois souvent qui connaissent à peine leur livre de règlements, parce qu’ils pensent qu’ils sont indispensables et qu’on va leur donner du boulot quelle que soit leur compétence… »

La retraite ?

« Je sens que je suis encore au sommet et je serai content de faire une dernière saison cette année, même si mon corps commence à être plus douloureux après les matchs. Je ne voudrais toutefois pas continuer une “saison de trop”, me retrouver dans une position où je prends une mauvaise décision parce que je ne suis plus capable de suivre le jeu. Et il y a des jeunes qui sont prêts à prendre ma place. Si je ne m’en vais pas, qui pourra devenir le prochain Monsieur Berry ? »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.