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« Un coup de poing électronique, ça fait mal »

Quelques jours avant la fin de son émission quotidienne au 98,5 FM, Paul Houde s’est confié à La Presse à propos de la démence numérique, de son grand débranchement des réseaux sociaux et de ses projets. Rencontre.

« T’es un ostie de malhonnête ! » Paul Houde, animateur depuis 12 ans du Québec maintenant au 98,5 FM, reçoit régulièrement ce genre d’insultes.

Il qualifie ce phénomène de démence numérique. « C’est la perte de contrôle et le manque de rationalité qui semblent être exacerbés par les réseaux sociaux », explique-t-il.

Il en a vu de toutes les couleurs. Un jour, il se fait traiter de « maudit séparatiste » et le lendemain, de « maudit fédéraliste ». Ça l’amuse. « Les gens ne savent pas pour qui je vote. Ils m’accusent de voter pour celui qu’ils haïssent. Ils ne sont jamais venus dans l’urne avec moi, ils seraient peut-être surpris », plaisante-t-il.

En 2014, Paul Houde en a eu assez. Il s’est débranché de Facebook et d’Instagram. Il n’a gardé que Twitter, qu’il consulte comme un « voyeur ».

« Ça m’amuse de voir les tweet fights, les combats de tweets entre Pierre Karl Péladeau et Guy A. Lepage. »

— Paul Houde, à propos de sa consultation de Twitter

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est l’avion de Malaysia Airlines abattu au-dessus de l’Ukraine en guerre en 2014. Dix jours après l’écrasement, il a pris un vol de Malaysia Airlines qui empruntait le même trajet que celui de l’avion abattu, soit Amsterdam-Kuala Lumpur. Pourquoi refaire ce vol ? Il lui paraissait inconcevable que les avions repassent au-dessus de l’Ukraine.

Il a acheté un billet et il s’est muni d’un GPS de haut calibre. « Pendant tout le vol, j’ai pris des notes aux cinq minutes et j’ai refait en temps réel le nouvel itinéraire. On est passé au-dessus de la Bulgarie, beaucoup plus bas que l’Ukraine. S’ils étaient passés par là 10 jours plus tôt, il n’y aurait pas eu 300 victimes. »

L’animateur a ensuite présenté ses observations sur les ondes de TVA. Le lendemain de l’entrevue, il a été inondé de critiques. Les internautes l’ont crucifié : comment pouvait-il se prêter à une expérience aussi morbide ? « Essayez de vous défendre après ça. C’était fini », déplore-t-il. C’est là qu’il a abandonné Facebook et Instagram.

Pas de la cyberintimidation, mais…

Paul Houde est arrivé en avance à l’entrevue. Il avait choisi un café à côté de la station de radio. Il a tout de suite sauté dans le vif du sujet, la démence numérique.

L’internet a tout changé. « Nos vies ont commencé à basculer, dit-il. Notre monde est devenu hyperinformé, et gratuitement. Les gens ont accès à tout, ils s’approprient l’information, il n’y a pas de règles. »

Il sait de quoi il parle. Avec près de 10 000 émissions en 44 ans de carrière, il est devenu un baromètre de la société. Il connaît les sujets sensibles qui font réagir les auditeurs, comme la laïcité et la politique. « Certains voient nos propos comme une menace à leur propre pensée. »

Ces auditeurs lui envoient des « courriels coups de poing », écrits la plupart du temps dans un « français effroyable, sans vouvoiement et en majuscules ». Pour lui, ce sont des « gens bruyants, grossiers, vulgaires ».

« Un coup de poing électronique, ça fait mal. Comme toute personne normale, je ne suis pas habitué à être violemment pris de court. Pourquoi me donner un coup de poing ? »

— Paul Houde, à propos de certains courriels qu’il reçoit

Paul Houde répond poliment et « en douceur » à ses auditeurs déchaînés. Ce qu’il écrit ? « Pourquoi êtes-vous si agressif ? Merci d’avoir corrigé les erreurs que j’ai pu faire, mais vous n’êtes pas obligé de le faire de cette façon-là. Si nous étions l’un en face de l’autre, auriez-vous le même ton ? » Souvent, l’internaute lui répond en s’excusant et en changeant de ton.

Paul Houde est un crack de météo. Il possède une petite station personnelle dans sa cour et il note le temps depuis 47 ans. Quand il présentait la météo à la radio, un internaute lui écrivait régulièrement : « Veux-tu arrêter de faire peur aux gens avec ta maudite météo ! »

« Voyons ! Comment peut-on faire peur aux gens en donnant la météo ? s’indigne Paul Houde. Au début, je lui ai répondu que je lisais le bulletin d’Environnement Canada. Il n’en démordait pas. Ça a duré deux, trois ans. Pas tous les jours, pas chaque semaine, mais à intervalles réguliers. Il a finalement disparu. »

Paul Houde refuse toutefois de se dire victime de cyberintimidation, qu’il définit comme des menaces. Pourtant, le Service de police de la Ville de Montréal définit la cyberintimidation comme « le fait de harceler une personne ou de tenir à son endroit des propos menaçants, haineux, injurieux ou dégradants, qu’ils soient illustrés ou écrits ».

La suite

En janvier, il a su qu’il perdait son émission quotidienne après l’avoir pilotée pendant 12 ans.

À 64 ans, tout change dans sa vie : nouvelle émission de fin de semaine, deux projets de télévision en vue, un déménagement. Il va passer d’une maison de 2800 pi2 à un espace de 600 pi2. Il a tout jeté : statistiques, station météo… Un grand ménage. Paul Houde souhaite profiter de son temps libre pour réaliser des documentaires sur des endroits insolites en Amérique du Nord.

En attendant, il continue d’animer Le Québec maintenant. Le 5 juillet, ce sera la dernière. Il en aura fait 2465. Paul Houde les a comptées. Il a toujours été fou de statistiques.

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