Opinion Sylvain Charlebois

RAPPELS DE LAITUE ET DE CHOU-FLEUR
Quand la rigueur laisse place à la complaisance

Les choses se corsent dans la saga de la laitue romaine. La plus récente enquête américaine a ciblé une ferme fautive, l’entreprise Adam Bros. Farming de Californie. Pour cette raison, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a annoncé des rappels alimentaires.

Les alertes de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) qui ne touchaient que trois provinces, le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, ont créé beaucoup de confusion. Mais comme Adam Bros. Farming cultive notamment de la laitue verte, de la laitue rouge et du chou-fleur, alors tout y passe. La Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard s’ajoutent maintenant aux trois autres provinces canadiennes visées par les alertes. 

Plusieurs produits font l’objet de rappels, causant vraisemblablement un effet sur l’offre. Compte tenu du temps de l’année, il y a fort à parier que le chou-fleur et d’autres produits maraîchers se vendront plus cher durant la période des Fêtes. Dommage pour les consommateurs, car ils méritent mieux.

Il demeure difficile de comprendre pourquoi plusieurs provinces n’étaient pas ciblées par les alertes initiales lancées par l’ASPC. Nous savons maintenant que les produits rappelés se vendaient dans au moins six provinces plutôt que trois. Par chance, les consommateurs ont bénéficié de la bienveillance des détaillants en alimentation qui avaient décidé de retirer ces produits de façon préventive, sans rappel ni avertissement. Bravo !

Mais cette tuile qui tombe sur la tête de l’industrie de la laitue n’a rien d’anodin. La laitue représente un gros segment du secteur maraîcher.

Et puisque le commun des mortels ne peut pas faire la différence entre la laitue d’Adam Bros. Farming et celle qui pousse sur le deuxième rang à Sainte-Sabine, en Montérégie, la réputation du produit risque d’être entachée à tout jamais.

Nous avons déjà vu un cas similaire avec les épinards. En 2006, une éclosion à l’E. coli en Californie frappant la production d’épinards avait fait trois victimes aux États-Unis et plusieurs personnes avaient dû être hospitalisées. Même au Canada, il devenait pratiquement impossible de se procurer des épinards frais, même au restaurant. À l’époque, plusieurs avaient délaissé les épinards pour adopter le chou kale, l’un des produits les plus populaires des dernières années. La demande pour les épinards n’a jamais atteint son niveau d’avant le rappel.

À compter de ce moment, l’industrie horticole californienne a pris les choses en main afin d’éviter ce genre de situation. Les pertes pour l’industrie s’évaluaient à près de 100 millions. La signature du Leafy Greens Marketing Agreement apportait son lot de rigueur et de surveillance. Dorénavant, les vérifications, inspections et cahiers des charges devenaient plus importants que jamais pour quiconque travaille dans la production horticole californienne. Cette entente volontaire a été signée par 115 fermes semblables à Adam Bros. Farming. Avant l’éclosion de cette année, la performance du secteur était irréprochable.

Moins de vérifications

Mais en lisant les rapports annuels, on s’aperçoit que la rigueur a peut-être tranquillement laissé sa place à la complaisance. En 2010, l’industrie faisait 589 vérifications prescrites sur l’ensemble des fermes membres du pacte. Mais depuis, le nombre n’a cessé de diminuer. En effet, en 2017, il n’y a eu que 361 vérifications planifiées, soit une diminution de 47 %, et aucune explication n’a été offerte. Au bas mot, cette diminution surprend. Le nombre de vérifications sans préavis, quant à lui, n’a pas changé.

Les rapports du secteur étonnent tout autant. Au lieu de s’en tenir aux données et aux mesures de performance, les rapports annuels semblent plutôt servir de feuillets publicitaires agrémentés de flatteries et de compliments intéressés. On mentionne évidemment la salubrité des produits, mais le ton utilisé frappe.

L’éclosion d’E. coli de 2018 incitera peut-être l’industrie à refaire ses devoirs en ce qui concerne ses pratiques de surveillance.

Après 12 ans de succès, la mise en application des règles est à revoir.

La magie des chaînes d’approvisionnement mondialisées permet de déguster une laitue cultivée à peine deux ou trois jours avant dans un champ à des milliers de kilomètres de chez soi. Le hic, c’est que dès qu’il y a un problème de contamination, l’éclosion touche des millions de personnes. Certains vont dire qu’il faut acheter localement à tout prix et éviter d’encourager ce genre de pratique. Peut-être, mais en vivant dans un pays nordique, nos choix deviendraient tout aussi limités que coûteux.

* Sylvain Charlebois est également directeur scientifique de l’Institut des sciences analytiques en agroalimentaire.

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