Réplique

Patrick, faut qu’on se parle

En réponse à la chronique de Patrick Lagacé « Désolé d’être défaitiste », publiée mercredi dernier

Cher Patrick, je te lis toujours avec intérêt, car tu sais parler des vraies affaires, comme personne d’autre. D’ailleurs, permets-moi de te tutoyer. Vois-tu, je te suis assidûment, comme tes 280 000 abonnés Twitter, et donc je te considère presque comme un membre de la famille. Alors, permets-moi également de te faire part de quelques idées, comme je le ferais avec un membre de la famille. Ne t’en fais pas, je ne suis pas ici pour te lancer des tomates… on jase.

Disons que t’es un drôle de défaitiste : tu nous ramènes les deux pieds sur terre en disant que les efforts de la lutte contre les changements climatiques ne sont pas suffisants – et tu n’as pas tort – et tu nous ressasses les propos de Hulot (dans ta chronique t’ayant valu des tomates) comme quoi les « petits pas » ne sont plus suffisants. Puis là, juste comme ça, en fin de chronique « défaitiste » tu nous dis de poursuivre les mêmes petits pas, que « ce sera déjà beaucoup »…

Je ne vais pas m’obstiner avec toi sur les détails, mais disons que tu soulèves des points qui valent la peine d’être discutés. D’une part, nous avons besoin de vrais coups de barre afin de changer la donne climatique ; t’as pas tout faux. On se dirige facilement vers un 3 degrés d’ici la fin du siècle. Un article publié dans Nature cet été nous disait que les chances de limiter le réchauffement à 1,5 degré (tel que souhaité par l’accord de Paris) sont de… 1 sur 100 ! Ça fait mal à l’espoir. Oui, pour changer la donne, il faut absolument changer notre modèle économique – axé sur la croissance infinie – et notre mode de vie individuel – axé sur toujours plus de consommation (je t’invite d’ailleurs à lire Monbiot là-dessus). Parce que t’sé, un « kit d’outdooring », c’est tellement nécessaire…

Mais là n’est pas le cœur de mon propos ; je ne cherche pas à enfoncer le clou du défaitisme plus loin.

Là où je veux en venir, c’est que les actions menées par le maire Ferrandez que tu cites en exemple, ces « petits pas » qui sont tout près et possibles, eh bien, mon cher, tiens-toi bien : il se multiplient à une vitesse phénoménale !

Tu me diras que je vois la vie en rose. Non. Je suis conscient du drame qui se déroule sous nos yeux, mais, comme un vieux fan du CH qui ne perd jamais espoir, je ne peux pas baisser les bras et clamer à voix haute que tout est foutu. Done. Game over.

Il faut assurément changer la façon dont se joue la game économique courante. Mais, comme tu le dis, plus facile à dire qu’à faire. Par contre, sans prétendre que tout va basculer du jour au lendemain, force est d’admettre qu’il y a toute une démarche en branle sur la fameuse « décroissance » – je t’invite d’ailleurs à lire les articles académiques révisés par les pairs sur la question, ils se font de plus en plus nombreux.

Ce qui m’amène à revenir à ces « petits pas » qui, ensemble, sont en train de créer cette masse critique dont tu parles. Est-ce qu’elle croît à la vitesse souhaitée ? Sans doute pas. Qu’à cela ne tienne ! As-tu lu Demain : le Québec ? (J’espère que oui… c’est publié aux Éditions La Presse). As-tu parcouru le site web – démarré à l’Université McGill – Seeds of Good Anthropocene ? Deux exemples qui illustrent les démarches d’ici et d’ailleurs, montrant que le changement s’opère, que les « petits pas » peuvent insuffler une lueur espoir et un coup de pied dans le derrière dont nous avons tous besoin.

Dans les villes, l'espoir

Je vois d’ailleurs ces petits pas s’additionner à tous les jours dans mon travail : partout au Québec et au Canada, les municipalités entreprennent des actions concrètes et formidables pour réduire leur empreinte écologique et procurer un milieu de vie plus sain et « durable » pour leurs communautés. Car elle est là, la transition : dans nos villes, dans nos milieux de vie. Chaque semaine, c’est 3 millions de personnes qui rejoignent les villes pour y vivre et travailler un peu partout dans le monde. C’est donc dans les villes que l’on voit naître l’espoir et les actions qui risquent de changer la donne. Les maires (comme Ferrandez) l’ont bien compris.

Donc, mon cher Patrick, je te comprends dans ton défaitisme, vraiment. Mais de grâce, de grâce, plutôt que de mettre l’accent sur ce défaitisme, pourquoi ne pas illustrer ces « petits pas » afin d’aider à déclencher ledit coup de barre ? Ces petits pas ne sont pas suffisants, mais si on ne les met pas de l’avant pour créer un mouvement de masse, alors on ne fait que mettre des bâtons dans les roues de la transition qui s’est amorcée. Pour ma part, j’ai décidé de miser sur les bons coups et de les mettre de l’avant – Ferrandez sans naïveté, sans lunettes roses.

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