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Le défi de manger québécois

Y a-t-il assez d’aliments produits ou préparés au Québec pour faire une épicerie 100 % québécoise nourrissante et diversifiée dans un supermarché ? La Presse a lancé le défi à une famille de Montréal.

UN DOSSIER D'ALEXANDRE VIGNEAULT

Un panier totalement québécois, mission possible ?

Est-il possible de faire une épicerie 100 % québécoise ? C’est le défi lancé à une famille de Montréal, que La Presse a suivie dans le supermarché de son quartier.

Léon, 10 ans, accompagne parfois sa mère à l’épicerie. Ce matin, il sait que c’est un peu spécial… Anne-Marie Boucher a accepté de relever un défi : trouver un maximum de produits québécois à mettre dans son panier – tous ses choix. L’idée n’était pas de la forcer à tous les acheter, mais de voir s’il est possible de composer un panier 100 % québécois.

« On n’achète pas toute notre épicerie dans les supermarchés », dit d’emblée Anne-Marie. Son conjoint et elle vivent à proximité du marché Jean-Talon et aiment s’y rendre pour se procurer des aliments frais et des produits en vrac pour nourrir leur famille recomposée de deux adultes et trois enfants. Elle ajoute ceci : avec ou sans journaliste sur ses talons, elle se soucie de la provenance de ses aliments, et ceux d’ici ont une longueur d’avance sur les autres.

Elle en fait la démonstration dès le premier étalage : entre les fraises des États-Unis (4 $ pour deux casseaux) et celles du Québec (6,99 $ le panier), elle n’a pas hésité et a choisi celles d’ici.

« J’ai déjà cueilli des fraises, alors je sais ce que ça représente comme travail. »

— Anne-Marie Boucher

Anne-Marie ajoute qu’elle préfère le goût et la texture des fraises du Québec à ceux des fruits produits au sud de la frontière. Puisque c’est plus cher, par contre, ce sera une gâterie : elle précise à Léon de ne prendre qu’un panier.

SOUCIEUSE, PAS PURISTE

Passant d’un étalage à l’autre, elle repère facilement les produits d’ici : concombre, laitue Boston (« Elles ne sont pas données, mais elles sont vraiment bonnes », dit-elle) et radis du Québec. C’est tellement facile que ça semble arrangé avec le gars des vues… « Quand je viens au supermarché, je regarde la circulaire avant », explique-t-elle avant de s’arrêter, perplexe, devant les laitues frisées qui devaient être québécoises, mais dont l’affiche indique qu’elles sont peut-être du Mexique ou des États-Unis.

Elle n’est pas puriste : l’absence de poivrons du Québec ou le fait que le brocoli des Jardins Cousineau soit importé d’Espagne à ce temps-ci de l’année ne l’empêchent pas de les glisser dans son panier et même d’y ajouter des abricots, un fruit qui ne pousse pas ici, et un melon des États-Unis. Avant de changer de section, elle attrape deux paquets de tofu Soyarie. « C’est fait à Gatineau et, en plus, c’est le meilleur ! », lance-t-elle.

Léon réapparaît, hyper enthousiaste : « Toutes les chips sont faites au Canada ! » Il a un gros sac de Doritos en main. « Regarde, dit-il à sa mère, c’est écrit Lévis, Québec. » Anne-Marie convient que ça fait sûrement travailler des gens dans la région de Québec, mais qu’on ne sait pas d’où viennent les ingrédients. Léon doit rapporter sa trouvaille où il l’a trouvée. « Les Doritos, de toute manière, c’est non d’habitude », précise sa maman.

LE CAS DES VIANDES

« L’origine des viandes, c’est moins clair », juge d’emblée Anne-Marie en s’approchant des comptoirs réfrigérés. Après avoir choisi des saucisses, elle s’intéresse au poulet Exceldor, mais opte pour celui de La ferme des voltigeurs. « Il n’y a pas une si grande différence de prix », juge-t-elle. Et l’emballage est très clair : c’est un produit d’ici. Tout le contraire du bœuf haché dans sa barquette de styromousse.

« On sait qu’il est fait de parties fraîches. D’où il vient ? On ne sait pas… »

— Anne-Marie Boucher, à propos du bœuf haché

Et les fromages ? Aucun problème : Sauvagine, suisse et brie, ils appartiennent tous à la multinationale montréalaise Saputo. « Je présume qu’ils sont faits avec du lait du Québec », ajoute Anne-Marie. Elle se fie volontiers au sceau « Aliments du Québec », mais ne sait pas ce que signifie « Aliments préparés au Québec ». Est-ce que tous les ingrédients viennent d’ici ? Une partie seulement ? Est-ce juste emballé au Québec ? Elle s’interroge…

La petite famille n’a besoin d’aucun aliment en conserve cette semaine. Anne-Marie admet toutefois ne jamais regarder la provenance des légumineuses ou des tomates en conserve qu’elle achète. En ce qui concerne les pâtes, elle opte en général pour des marques italiennes. Sauf cette semaine, car Catelli – entreprise fondée à Montréal – offre un rabais très intéressant.

Et si elle choisit exprès des dumplings faits à Montréal, elle ne se casse pas la tête avec les œufs. « Je me fais avoir par le branding poules en liberté », avoue-t-elle, en sélectionnant un paquet plus cher que les autres. Vérification faite, l’entreprise qui commercialise ces œufs s’approvisionne chez six producteurs, dont quatre sont québécois.

DÉFI RELEVÉ ?

Une fois à la caisse, un constat s’impose : ce panier est riche en produits cultivés ici et préparés ici. « Là, c’est la saison des fraises du Québec et on trouve plus de fraises des États-Unis, regrette néanmoins Anne-Marie. En épicerie, on devrait avoir en priorité les produits du Québec et les épiciers devraient se faire un devoir de mettre en valeur les produits locaux. »

Des céréales aux merguez en passant par le lait de soya, sa famille mangera tout de même assez québécois après cette épicerie. Léon, par contre, n’aura pas ses Doritos de Lévis. Ni cette boîte de TicTac pourtant glissée dans le panier pendant que sa maman était absorbée par les étiquettes.

Constat 

LES PLUS

Il est relativement simple d’acheter québécois au rayon des fruits et légumes, où la provenance est indiquée sur la plupart des produits. En particulier pendant la belle saison. Le sceau « Aliments du Québec » est un indicateur perçu comme fiable. L’offre québécoise, même dans les produits transformés, se révèle étonnamment grande pour qui se montre attentif.

LES MOINS

Le sceau « Aliments préparés au Québec » semble flou et soulève des questions. Manque d’information au rayon des viandes : l’étiquetage est parfois très détaillé, souvent très limité. Tous les produits d’ici ou préparés ici ne portent pas un sceau qui les rend facilement repérables. L’emballage des légumes porte parfois à confusion : mieux vaut aller au-delà du nom inscrit dessus pour valider la provenance.

La Presse n’a pas imposé une chaîne de supermarchés ni un magasin en particulier pour réaliser cette expérience. Nous avons plutôt suivi Anne-Marie Boucher dans l’épicerie qu’elle fréquente habituellement : un supermarché IGA du quartier La Petite-Patrie.

Pour les produits locaux

Combien de produits d’ici trouve-t-on dans les principales chaînes d’alimentation ? Ni Metro, ni Provigo, ni IGA ne sauraient le dire avec précision, mais ils se comptent en milliers. Juste en comptant ceux qui arborent les sceaux Aliments du Québec et Aliments préparés au Québec, il y en a plus de 10 000. « Ce n’est pas un bon reflet, parce qu’il y a des fournisseurs québécois qui ne sont pas membres [d’Aliments du Québec] », précise Johanne Héroux, vice-présidente affaires corporatives et communications chez Loblaw (propriétaire de Provigo).

Anne-Hélène Lavoie, conseillère principale en communications chez Sobeys (propriétaire d’IGA), ne doute d’ailleurs pas qu’il soit possible de faire une épicerie 100 % québécoise. Ou presque, car il y a tout de même des aliments, dont plusieurs fruits, qui ne poussent pas ici.

« Les gens pensent souvent, à tort, qu’on a des produits frais du Québec seulement l’été, mais on a de plus en plus de produits de serres. »

— Anne-Hélène Lavoie, Sobeys

Les trois chaînes assurent avoir à cœur l’identification et la mise en valeur des produits d’ici. Metro, par exemple, a mis sur pied un programme d’achat régional qui, selon Geneviève Grégoire, conseillère en communications, a fait entrer « plus de 1000 produits en provenance de 275 producteurs du Québec » sur les rayons des Metro et Super C de leur région. Les détaillants Provigo et IGA ont aussi de la latitude pour faire entrer des produits locaux dans leur magasin. Metro et IGA disent par ailleurs accompagner de petits producteurs dans la mise en marché de leurs produits.

Si les épiciers font des efforts, c’est que les clients sont soucieux de connaître la provenance des aliments qu’ils mettent dans leur assiette. Metro le constate : plus de la moitié des personnes qui s’occupent de l’épicerie jugent « très important » que les détaillants offrent des produits locaux et un autre tiers trouve ça « assez important », selon un sondage de l’industrie de l’alimentation. « C’est une préoccupation grandissante », assure aussi Johanne Héroux.

Le cas de la viande

IGA assure que, d’ici peu, ses clients trouveront des paquets de steak et de bœuf haché portant le logo « Bœuf Québec ». Ce sera un bon coup de pouce aux consommateurs soucieux, car, comme l’a remarqué Anne-Marie Boucher (la cliente dans l’onglet précédent), il n’est pas toujours facile de s’y retrouver au rayon des viandes. Il se peut que du bœuf du Québec trouve sa place en épicerie à l’heure actuelle, mais c’est une petite proportion. Cette viande bovine est par ailleurs mélangée avec celle venue d’ailleurs et sa traçabilité pose problème. Avec la volaille, c’est l’inverse : presque tout le poulet et le dindon est issu de production québécoise, sinon canadienne. Les consommateurs peuvent aussi tenir pour acquis que l’essentiel du porc vendu en épicerie est un produit local.

Sources : Bœuf Québec, Les éleveurs de volailles du Québec, Les producteurs de bovins du Québec et Les éleveurs de porcs du Québec.

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