« Avant qu’on commence à travailler, j’ai une question pour vous : le ciel, est-ce qu’il est nécessairement bleu ? » Julie Gaudet, enseignante en arts plastiques, s’adresse à un groupe d’élèves de deuxième année de l’école Saint-Pierre-Claver, à Montréal. La réponse est spontanée : « Nooooooon ! »
« Vous avez raison, opine l’enseignante rencontrée avant Noël. Dans le ciel, quand on regarde bien, il y a toutes sortes de couleurs. Tu peux faire ton ciel comme tu veux, comme tu le vois, toi. » Youssef se met au travail. La langue sortie, il trace de grandes bandes sur sa feuille avec de la peinture orange, rose, bleu et violet.
« Je veux qu’ils comprennent que leur ciel, ce n’est pas grave s’il est différent de celui des autres, nous explique plus tard l’enseignante. C’est leur modèle à eux. Ce n’est pas important, comme apprentissage : c’est primordial. »
Julie Gaudet nous a invités à la visiter dans son local d’arts plastiques après la publication d’un reportage sur une école que fréquentent des élèves en difficulté. Elle y a reconnu un garçon à qui elle a enseigné dans le passé. « Ses difficultés scolaires étaient immenses, mais il avait un si grand talent en dessin qu’en arts plastiques, il devenait le modèle de tous, se souvient-elle. C’était son refuge, mais surtout, là où il pouvait aller chercher le peu d’estime de soi qu’il avait. »
L’enseignante craint toutefois que ces bienfaits passent sous l’écran radar.
« Les matières artistiques ne sont souvent pas considérées comme des matières importantes. Et pourtant. On fait partie du développement des enfants. Ce n’est pas que pour combler du temps, ce n’est pas une récréation et ce n’est pas que du bricolage. La créativité sert à tout plein de facettes de la vie, pas seulement à dessiner et à faire de la peinture. »
— Julie Gaudet
Penser autrement
Les arts font partie du programme obligatoire du ministère de l’Éducation. Les écoles primaires doivent enseigner au moins deux formes d’art parmi les suivantes à leurs élèves : la musique, l’art dramatique, la danse et les arts plastiques. Les arts demeurent aussi à l’horaire à l’école secondaire. « De par la multiplicité des programmes, il y a des grilles horaires qui offrent moins d’arts que d’autres, mais je pense tout de même que ça doit faire partie de la formation globale d’un individu. L’école doit s’en préoccuper », croit Mélanie Drolet, superviseure du centre Alloprof de Québec.
L’enseignante de français de formation a rédigé un texte sur le portail AlloProf.qc.ca afin d’expliquer aux parents à quoi servent les arts dans le parcours de leur enfant.
L’art a ceci d’avantageux, croit-elle : à travers le processus créatif, les enfants apprennent que tout n’est pas blanc ou noir. Qu’il y a mille et une façons de représenter un même concept. « C’est rare de voir qu’il y a plusieurs réponses possibles, fait remarquer Mme Drolet. Même si on respecte tous les mêmes contraintes, la liberté dans la création va faire en sorte que ton œuvre te ressemble, et qu’elle est complètement différente de celle d’à côté. Ça, c’est bon pour l’élève de temps en temps. »
Bien encadré, l’élève comprend qu’il peut explorer, et il en vient à accepter que le résultat puisse s’éloigner de ce qu’il avait anticipé. Un processus particulièrement formateur, soutient pour sa part Pierre Plante, psychologue, art-thérapeute et professeur de psychologie à l’UQAM.
« Sur le marché du travail, aujourd’hui, on doit avoir une grande adaptabilité et une flexibilité de la pensée. Nos jeunes doivent apprendre à voir les choses différemment, à changer de perspective. Les arts le permettent en multipliant les façons de travailler. »
— Pierre Plante
Le psychologue précise que la pensée rationnelle demeure cruciale dans le parcours des élèves. L’enfant doit apprendre les règles mathématiques et la conjugaison des verbes. « Par contre, même s’il ne faut pas généraliser, je crois qu’on survalorise le mode de pensée rigoureuse – planifier, prévoir, prédire, structurer de manière logique –, et on met de côté une autre façon de concevoir notre environnement », croit-il.
Des fleurs ou des boucliers ?
« Ils se mettent souvent beaucoup de pression, les enfants, ajoute Julie Gaudet. Je suis assez encadrante, mais je veux leur offrir des choix. C’est important qu’ils se découvrent. Qu’est-ce qu’ils aiment le plus ? Certains ne le savent pas. »
Ainsi, lors de notre passage, les écoliers découpaient des cercles colorés inspirés du tableau Étude de couleurs, de l’artiste russe Vassily Kandinsky. Ils les collaient ensuite sur le ciel peint selon leurs fantaisies. L’enseignante en profite pour leur rappeler le concept des couleurs chaudes et des couleurs froides.
« J’apprends d’autres choses quand je colorie et ça me donne plus d’idées quand je fais des choses à la maison. Ça ne me dérange pas si je me trompe ! », lance spontanément Elena, 8 ans.
« Ouais, c’est pas comme dans la dictée », ajoute Laurent, 7 ans, sans quitter son travail des yeux.
Elena acquiesce : « Moi, je n’ai pas eu le temps de finir mes phrases, dans la dictée. Ici, ça relaxe bien. Je peux finir. »
La conversation se poursuit et s’articule autour de la signification des cercles colorés. Ressemblent-ils davantage à des fleurs où à des boucliers pour des chevaliers ?
Diplomate, Zackary trouve une réponse qui satisfait tous ses camarades : « En tout cas, ça pourrait être un beau cadeau de fête des Mères ! »