Les arts à l’école

« Juste » du bricolage ?

Dans l’horaire déjà coincé des enfants à l’école, quel est le rôle des matières artistiques ? Dans un univers plutôt rationnel, elles ont une importance capitale, assurent plusieurs spécialistes. Pourquoi ? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre d’écoliers pour qui le ciel n’est pas que bleu.

UN DOSSIER D'ISABELLE AUDET ET DE FRANÇOIS ROY

« Ce n’est pas une récréation »

« Avant qu’on commence à travailler, j’ai une question pour vous : le ciel, est-ce qu’il est nécessairement bleu ? » Julie Gaudet, enseignante en arts plastiques, s’adresse à un groupe d’élèves de deuxième année de l’école Saint-Pierre-Claver, à Montréal. La réponse est spontanée : « Nooooooon ! »

« Vous avez raison, opine l’enseignante rencontrée avant Noël. Dans le ciel, quand on regarde bien, il y a toutes sortes de couleurs. Tu peux faire ton ciel comme tu veux, comme tu le vois, toi. » Youssef se met au travail. La langue sortie, il trace de grandes bandes sur sa feuille avec de la peinture orange, rose, bleu et violet.

« Je veux qu’ils comprennent que leur ciel, ce n’est pas grave s’il est différent de celui des autres, nous explique plus tard l’enseignante. C’est leur modèle à eux. Ce n’est pas important, comme apprentissage : c’est primordial. »

Julie Gaudet nous a invités à la visiter dans son local d’arts plastiques après la publication d’un reportage sur une école que fréquentent des élèves en difficulté. Elle y a reconnu un garçon à qui elle a enseigné dans le passé. « Ses difficultés scolaires étaient immenses, mais il avait un si grand talent en dessin qu’en arts plastiques, il devenait le modèle de tous, se souvient-elle. C’était son refuge, mais surtout, là où il pouvait aller chercher le peu d’estime de soi qu’il avait. »

L’enseignante craint toutefois que ces bienfaits passent sous l’écran radar.

« Les matières artistiques ne sont souvent pas considérées comme des matières importantes. Et pourtant. On fait partie du développement des enfants. Ce n’est pas que pour combler du temps, ce n’est pas une récréation et ce n’est pas que du bricolage. La créativité sert à tout plein de facettes de la vie, pas seulement à dessiner et à faire de la peinture. »

— Julie Gaudet

Penser autrement

Les arts font partie du programme obligatoire du ministère de l’Éducation. Les écoles primaires doivent enseigner au moins deux formes d’art parmi les suivantes à leurs élèves : la musique, l’art dramatique, la danse et les arts plastiques. Les arts demeurent aussi à l’horaire à l’école secondaire. « De par la multiplicité des programmes, il y a des grilles horaires qui offrent moins d’arts que d’autres, mais je pense tout de même que ça doit faire partie de la formation globale d’un individu. L’école doit s’en préoccuper », croit Mélanie Drolet, superviseure du centre Alloprof de Québec.

L’enseignante de français de formation a rédigé un texte sur le portail AlloProf.qc.ca afin d’expliquer aux parents à quoi servent les arts dans le parcours de leur enfant.

L’art a ceci d’avantageux, croit-elle : à travers le processus créatif, les enfants apprennent que tout n’est pas blanc ou noir. Qu’il y a mille et une façons de représenter un même concept. « C’est rare de voir qu’il y a plusieurs réponses possibles, fait remarquer Mme Drolet. Même si on respecte tous les mêmes contraintes, la liberté dans la création va faire en sorte que ton œuvre te ressemble, et qu’elle est complètement différente de celle d’à côté. Ça, c’est bon pour l’élève de temps en temps. »

Bien encadré, l’élève comprend qu’il peut explorer, et il en vient à accepter que le résultat puisse s’éloigner de ce qu’il avait anticipé. Un processus particulièrement formateur, soutient pour sa part Pierre Plante, psychologue, art-thérapeute et professeur de psychologie à l’UQAM.

« Sur le marché du travail, aujourd’hui, on doit avoir une grande adaptabilité et une flexibilité de la pensée. Nos jeunes doivent apprendre à voir les choses différemment, à changer de perspective. Les arts le permettent en multipliant les façons de travailler. »

— Pierre Plante

Le psychologue précise que la pensée rationnelle demeure cruciale dans le parcours des élèves. L’enfant doit apprendre les règles mathématiques et la conjugaison des verbes. « Par contre, même s’il ne faut pas généraliser, je crois qu’on survalorise le mode de pensée rigoureuse – planifier, prévoir, prédire, structurer de manière logique –, et on met de côté une autre façon de concevoir notre environnement », croit-il.

Des fleurs ou des boucliers ?

« Ils se mettent souvent beaucoup de pression, les enfants, ajoute Julie Gaudet. Je suis assez encadrante, mais je veux leur offrir des choix. C’est important qu’ils se découvrent. Qu’est-ce qu’ils aiment le plus ? Certains ne le savent pas. »

Ainsi, lors de notre passage, les écoliers découpaient des cercles colorés inspirés du tableau Étude de couleurs, de l’artiste russe Vassily Kandinsky. Ils les collaient ensuite sur le ciel peint selon leurs fantaisies. L’enseignante en profite pour leur rappeler le concept des couleurs chaudes et des couleurs froides.

« J’apprends d’autres choses quand je colorie et ça me donne plus d’idées quand je fais des choses à la maison. Ça ne me dérange pas si je me trompe ! », lance spontanément Elena, 8 ans.

« Ouais, c’est pas comme dans la dictée », ajoute Laurent, 7 ans, sans quitter son travail des yeux.

Elena acquiesce : « Moi, je n’ai pas eu le temps de finir mes phrases, dans la dictée. Ici, ça relaxe bien. Je peux finir. »

La conversation se poursuit et s’articule autour de la signification des cercles colorés. Ressemblent-ils davantage à des fleurs où à des boucliers pour des chevaliers ?

Diplomate, Zackary trouve une réponse qui satisfait tous ses camarades : « En tout cas, ça pourrait être un beau cadeau de fête des Mères ! »

Des œuvres utiles

Au-delà de la détente et du plaisir de créer, les matières artistiques pourraient outiller les élèves dans l’ensemble de leur parcours scolaire, soulignent les spécialistes interrogés.

Se connaître

Communiquer à travers un média artistique, c’est explorer qui nous sommes, croit Mélanie Drolet, enseignante de français de formation et aujourd’hui superviseure du centre Alloprof de Québec. « Ça peut sembler banal, mais il n’y aura pas un dessin pareil, pas un thème exprimé de la même façon. Là, on tombe dans les différences individuelles. Ce que l’on voit moins dans des matières où généralement la même démarche doit être faite par l’ensemble de la classe. On sollicite ici les choix de l’individu, sa liberté à travers la tâche, et sa façon de la faire sienne. S’il est bien accompagné, il va révéler son identité à travers elle. »

Apprendre à faire des choix

Enseignante en arts plastiques, Julie Gaudet constate que certains élèves peinent à prendre des décisions qui feront en sorte que leur travail se démarquera de celui des autres. Une réaction normale, croit Mélanie Drolet : « Certains vont être complètement déstabilisés par ces choix, mais c’est une bonne chose. Dans la vie, il y aura des moments où ils auront à faire des choix rapidement. Les arts développent la créativité, et cette créativité nous donne beaucoup de munitions pour s’adapter à toutes sortes de situations de la vie courante. »

Créatifs dans toutes les matières

La créativité permet aussi à l’élève de se démarquer dans sa recherche de solutions en sciences et en mathématiques. En français, la capacité de faire des choix personnels à l’intérieur d’un cadre s’avère aussi utile dans la rédaction de textes, ajoute Mme Drolet. « Comme enseignante de français, je réservais un espace où l’élève avait des choix à faire et où il pouvait révéler ses idées à lui et, par le fait même, sa propre identité. Un espace de création. C’est là que ça commence à être le fun pour les jeunes. C’est la partie où ils peuvent s’épanouir. »

Voir en trois dimensions

« Avec les arts, c’est l’ensemble du cerveau qui travaille, sur le plan moteur, mais avec les mots aussi, parce qu’on va souvent mettre l’image en mots. Tout le corps se met à la tâche pour traduire une sensation », fait remarquer Pierre Plante, psychologue, art-thérapeute et professeur de psychologie à l’UQAM. Un processus qui amène l’élève à mieux concevoir le monde en trois dimensions. Cette aptitude particulière peut être mise à profit dans plusieurs domaines comme l’architecture, la construction et le domaine de la santé (« pour visualiser comment le corps est fait, à l’intérieur »), illustre-t-il.

Accepter la perte de contrôle

Il suffit de tenir un pinceau pour comprendre que souvent, dans le monde artistique, il y a un écart entre ce que l’on souhaite accomplir… et le résultat. Une expérience formatrice, ajoute Pierre Plante. « Il y a des médiums durs qui sont très rationnels comme le crayon de plomb, avec la ligne droite, fine. Il y a aussi les médiums liquides, comme l’aquarelle, que l’on associe plus au mode affectif. Ça fait résonance à quelque chose qui n’est pas contrôlé. Pour quelqu’un qui a beaucoup de difficulté avec ces choses-là, il peut y avoir une certaine résistance à utiliser tout ce qui est liquide. »

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