Le Mexique et les États-Unis étaient censés négocier des sujets bilatéraux, mais surprise : c’est finalement un accord de libre-échange quasi complet que les présidents Trump et Peña Nieto ont annoncé hier.
Le sort de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) – qui va changer de nom, a promis M. Trump – repose donc maintenant sur le Canada, qui était absent de la table de négociation ces dernières semaines.
La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a annulé la fin d’un voyage en Europe pour passer le reste de la semaine à Washington.
« Comme nous le disons depuis le début, il est essentiel que le Mexique et les États-Unis réalisent des progrès si nous voulons renouveler l’ALENA, a fait savoir le porte-parole de Mme Freeland, Adam Austen. Compte tenu de l’annonce encourageante [d’hier], selon laquelle le Mexique et les États-Unis ont accompli des progrès sur le plan bilatéral, la ministre Freeland se rendra à Washington [aujourd’hui] pour poursuivre les négociations. Nous n’allons signer le nouvel ALENA que s’il est avantageux pour le Canada et pour la classe moyenne. La signature du Canada est nécessaire. »
Reste à savoir si le Mexique a tenu compte des positions canadiennes dans sa négociation avec Washington.
« Les États-Unis et le Mexique ont aplani les principales difficultés entre eux, nommément dans le secteur automobile. Il y a maintenant énormément de pression sur le Canada de prendre les choses comme elles sont. Il est difficile d’évaluer si c’est ou pas une bonne nouvelle. »
— Richard Ouellet, professeur de droit international à l’Université Laval
Selon Colin Robertson, associé chez Dentons et ex-négociateur en chef du Canada, le ministre mexicain de l’Économie Ildefonso Guajardo était sûrement en contact constant avec Mme Freeland, et les positions mexicaines sont probablement acceptables pour le Canada.
Il affirme que cela se reflète dans le recul des États-Unis sur leur demande d’avoir une extinction automatique de l’accord tous les cinq ans, une demande inacceptable tant pour le Canada que pour le Mexique.
Dans l’entente de principe États-Unis–Mexique, l’accord de libre-échange aura une durée minimale de 16 ans. Il pourra être renégocié après six ans, mais restera en vigueur pendant les dix années suivantes.
« On peut vivre avec ça, dit M. Robertson. Les investisseurs demandaient un horizon de 15 ans. »
« J’ai l’impression que le Canada et le Mexique se sont parlé ces derniers jours, dit le professeur de l’Université d’Ottawa Patrick Leblond, spécialiste d’économie internationale. Apparemment, il y avait eu des discussions à haut niveau. »
L’exigence de Trump
À quatre reprises pendant sa conférence téléphonique avec le président Trump, le président mexicain sortant Enrique Peña Nieto a insisté sur l’importance d’une signature canadienne sur cet accord.
Mais le président Trump, de son côté, a indiqué qu’il pourrait bien vendredi aviser le Congrès qu’il a conclu un accord bilatéral avec le Mexique.
Et à Mexico, le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Luis Videgaray Caso, a dit que son pays était prêt à signer une entente bilatérale, ce qui signifierait la mort de l’ALENA.
Le cabinet du premier ministre canadien a indiqué que Justin Trudeau avait eu une conversation téléphonique « constructive » avec le président Trump hier au sujet de l'ALENA.
« Les dirigeants ont accueilli favorablement les progrès réalisés dans le cadre des discussions avec le Mexique, et ils attendent avec intérêt que leurs équipes poursuivent les négociations cette semaine en vue de les mener à bien », peut-on lire dans une déclaration écrite transmise par le bureau de M. Trudeau.
M. Trudeau s’est également entretenu dimanche avec le président Peña Nieto. Selon le communiqué publié par son bureau, les deux hommes « ont fait part de leur engagement commun à obtenir un accord avantageux pour les trois parties ».
Tout cela demeure soumis aux impératifs de la politique américaine. Le président Trump veut avoir un message positif sur le commerce en vue des élections de mi mandat.
Le président Trump a posé hier son exigence pour avoir une entente avec le Canada : des concessions dans le secteur laitier. Le Canada protège son système de gestion de l’offre avec des tarifs douaniers très élevés.
M. Trump a menacé de frapper le secteur automobile canadien pour obtenir des concessions en ce sens. « Le Canada a des tarifs de 300 % sur certains produits laitiers, a-t-il dit. On ne peut plus le tolérer. La chose la plus simple qu’on peut faire est d’imposer un tarif sur leurs autos. C’est une négociation très simple. Ça prendrait une journée. »
C’est une question épineuse pour le gouvernement Trudeau, qui a promis de défendre le système canadien de gestion de l’offre. Cependant, les analystes prévoient une certaine ouverture en ce sens, comme cela fut le cas lors de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Europe.
— Avec La Presse canadienne
Est-ce même légal ?
Un doute subsistait hier quant à la légalité même de la démarche annoncée de M. Trump, soit d’adopter un accord bilatéral avec le Mexique pour remplacer l’ALENA. Selon Jennifer Hillman, ancienne avocate en chef de l’USTR, l’administration Trump devrait d’abord mettre fin à l’ALENA avec un avis de six mois au Congrès, puis aviser le Congrès qu’une entente bilatérale était en préparation, et enfin remettre le texte de cette nouvelle entente au Congrès avec un avis de 90 jours.