ALENA

au tour du canada

Surprise : les discussions qui devaient porter sur des différends entre le Mexique et les États-Unis ont débouché sur un accord de libre-échange quasi complet entre les deux pays. Le sort de l’ALENA repose donc maintenant sur le Canada, absent de la table de négociation ces dernières semaines.

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Les faits et les questions

Automobile

L’exigence de contenu mexicain ou américain passera de 62,5 % à 75 %, selon le représentant au commerce des États-Unis (USTR). C’est possiblement une mauvaise nouvelle pour les fabricants canadiens de pièces d’auto, à moins que le Canada ne soit inclus dans cet aspect de l’entente. En revanche, au moins 40 % du contenu des voitures exportées du Mexique vers les États-Unis devra être produit dans des usines où le salaire horaire est d’au moins 16 $US. Cela va réduire la pression de délocalisation des usines vers le Mexique, qui nuisait autant au Canada qu’aux États-Unis.

Règlement des différends

Deux chapitres de l’ALENA portent sur le règlement des disputes. Le chapitre 11 vise la protection des investisseurs. Peu de détails ont transpiré sur cet aspect, mais ce chapitre serait reconduit avec des modifications, selon le Wall Street Journal. Le chapitre 19 porte sur les poursuites antidumping et les droits compensateurs. Pour le Canada, son maintien est une condition essentielle du renouvellement de l’ALENA. Les États-Unis voulaient le faire disparaître. Le Mexique a possiblement fait des concessions à ce sujet. Les communiqués officiels sont muets.

Commerce électronique

Les transactions de commerce électronique ne sont pas sujettes aux droits de douane ou aux taxes en deçà d’un certain montant. On appelle cela la « clause de minimis ». Au Canada, le montant est de 20 $. Aux États-Unis, il est de 800 $US, montant que Washington voulait imposer à ses partenaires, au profit bien sûr des géants américains du commerce électronique. Le Mexique a convenu de doubler sa clause de minimis, de 50 $US à 100 $US, selon l’USTR. Un compromis qui serait peut-être acceptable pour le Canada.

Lois du travail

Le Mexique a accepté que l’accord commercial contienne des dispositions contraignantes sur les lois du travail, notamment sur le respect du droit à la négociation collective, selon l’USTR. Le secteur industriel mexicain est dominé par des syndicats complaisants et corrompus qui s’entendent avec les employeurs sans mandat des salariés. Les conditions de travail stagnent au Mexique, malgré la forte industrialisation. Le salaire horaire est d’environ 5 $. L’entente contient une annexe où le Mexique s’engage à des réformes législatives spécifiques de son droit du travail.

Marchés publics

Les États-Unis voulaient restreindre l’accès des entreprises canadiennes et mexicaines aux contrats publics, comme la construction de routes. Le Canada et le Mexique voulaient maintenir leur accès actuel. Rien n’a transpiré hier sur cet aspect crucial de l’entente États-Unis–Mexique.

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Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Le Mexique et les États-Unis étaient censés négocier des sujets bilatéraux, mais surprise : c’est finalement un accord de libre-échange quasi complet que les présidents Trump et Peña Nieto ont annoncé hier.

Le sort de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) – qui va changer de nom, a promis M. Trump – repose donc maintenant sur le Canada, qui était absent de la table de négociation ces dernières semaines.

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a annulé la fin d’un voyage en Europe pour passer le reste de la semaine à Washington.

« Comme nous le disons depuis le début, il est essentiel que le Mexique et les États-Unis réalisent des progrès si nous voulons renouveler l’ALENA, a fait savoir le porte-parole de Mme Freeland, Adam Austen. Compte tenu de l’annonce encourageante [d’hier], selon laquelle le Mexique et les États-Unis ont accompli des progrès sur le plan bilatéral, la ministre Freeland se rendra à Washington [aujourd’hui] pour poursuivre les négociations. Nous n’allons signer le nouvel ALENA que s’il est avantageux pour le Canada et pour la classe moyenne. La signature du Canada est nécessaire. »

Reste à savoir si le Mexique a tenu compte des positions canadiennes dans sa négociation avec Washington.

« Les États-Unis et le Mexique ont aplani les principales difficultés entre eux, nommément dans le secteur automobile. Il y a maintenant énormément de pression sur le Canada de prendre les choses comme elles sont. Il est difficile d’évaluer si c’est ou pas une bonne nouvelle. »

— Richard Ouellet, professeur de droit international à l’Université Laval

Selon Colin Robertson, associé chez Dentons et ex-négociateur en chef du Canada, le ministre mexicain de l’Économie Ildefonso Guajardo était sûrement en contact constant avec Mme Freeland, et les positions mexicaines sont probablement acceptables pour le Canada.

Il affirme que cela se reflète dans le recul des États-Unis sur leur demande d’avoir une extinction automatique de l’accord tous les cinq ans, une demande inacceptable tant pour le Canada que pour le Mexique.

Dans l’entente de principe États-Unis–Mexique, l’accord de libre-échange aura une durée minimale de 16 ans. Il pourra être renégocié après six ans, mais restera en vigueur pendant les dix années suivantes.

« On peut vivre avec ça, dit M. Robertson. Les investisseurs demandaient un horizon de 15 ans. »

« J’ai l’impression que le Canada et le Mexique se sont parlé ces derniers jours, dit le professeur de l’Université d’Ottawa Patrick Leblond, spécialiste d’économie internationale. Apparemment, il y avait eu des discussions à haut niveau. »

L’exigence de Trump

À quatre reprises pendant sa conférence téléphonique avec le président Trump, le président mexicain sortant Enrique Peña Nieto a insisté sur l’importance d’une signature canadienne sur cet accord.

Mais le président Trump, de son côté, a indiqué qu’il pourrait bien vendredi aviser le Congrès qu’il a conclu un accord bilatéral avec le Mexique.

Et à Mexico, le ministre des Affaires étrangères du Mexique, Luis Videgaray Caso, a dit que son pays était prêt à signer une entente bilatérale, ce qui signifierait la mort de l’ALENA.

Le cabinet du premier ministre canadien a indiqué que Justin Trudeau avait eu une conversation téléphonique « constructive » avec le président Trump hier au sujet de l'ALENA.

« Les dirigeants ont accueilli favorablement les progrès réalisés dans le cadre des discussions avec le Mexique, et ils attendent avec intérêt que leurs équipes poursuivent les négociations cette semaine en vue de les mener à bien », peut-on lire dans une déclaration écrite transmise par le bureau de M. Trudeau.

M. Trudeau s’est également entretenu dimanche avec le président Peña Nieto. Selon le communiqué publié par son bureau, les deux hommes « ont fait part de leur engagement commun à obtenir un accord avantageux pour les trois parties ».

Tout cela demeure soumis aux impératifs de la politique américaine. Le président Trump veut avoir un message positif sur le commerce en vue des élections de mi mandat.

Le président Trump a posé hier son exigence pour avoir une entente avec le Canada : des concessions dans le secteur laitier. Le Canada protège son système de gestion de l’offre avec des tarifs douaniers très élevés.

M. Trump a menacé de frapper le secteur automobile canadien pour obtenir des concessions en ce sens. « Le Canada a des tarifs de 300 % sur certains produits laitiers, a-t-il dit. On ne peut plus le tolérer. La chose la plus simple qu’on peut faire est d’imposer un tarif sur leurs autos. C’est une négociation très simple. Ça prendrait une journée. »

C’est une question épineuse pour le gouvernement Trudeau, qui a promis de défendre le système canadien de gestion de l’offre. Cependant, les analystes prévoient une certaine ouverture en ce sens, comme cela fut le cas lors de la négociation de l’accord de libre-échange avec l’Europe.

— Avec La Presse canadienne

Est-ce même légal ?

Un doute subsistait hier quant à la légalité même de la démarche annoncée de M. Trump, soit d’adopter un accord bilatéral avec le Mexique pour remplacer l’ALENA. Selon Jennifer Hillman, ancienne avocate en chef de l’USTR, l’administration Trump devrait d’abord mettre fin à l’ALENA avec un avis de six mois au Congrès, puis aviser le Congrès qu’une entente bilatérale était en préparation, et enfin remettre le texte de cette nouvelle entente au Congrès avec un avis de 90 jours.

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Encore beaucoup d’incertitudes

Tour d'horizon des réactions à l’accord commercial annoncé hier entre le Mexique et les États-Unis.

Sur l’industrie automobile : 

« Tout ce que les États-Unis pouvaient arracher au Mexique, c’est au bénéfice du Canada. »

Sur la gestion de l’offre : 

« Je pense que le président Trump cherche un certain accès aux produits laitiers canadiens. Je pense que l’exception culturelle va être gagnée. Le chapitre d’arbitrage, ils n’en ont pas parlé […], et je pense qu’on va tenir bon sur ça. »

— Raymond Bachand, négociateur en chef pour le Québec, sur les ondes de Radio-Canada

« Il y a encore beaucoup d’incertitude, de nervosité, un sentiment que [le Canada] est sur les lignes de côté. Il reste encore beaucoup de questions en suspens. »

— Peter MacKay, ex-ministre sous Stephen Harper, cité par l’Associated Press

« Cette entente entre les États-Unis et le Mexique confirme que le gouvernement Trudeau a échoué à faire avancer les intérêts commerciaux du Canada. »

— Erin O’Toole, porte-parole du Parti conservateur en matière d’affaires étrangères, cité par La Presse canadienne

« Trump monte la pression en annonçant qu’il peut se passer du Canada […]. Nous, on ne marche pas aux menaces. Justin Trudeau doit se tenir debout pour éviter que le rouleau compresseur Trump passe sur le Québec, quitte à accepter de négocier un pacte commercial propre aux États-Unis et au Canada. »

— Xavier Barsalou-Duval, porte-parole du Bloc québécois en matière de développement économique, dans un communiqué

« Un retour constructif de toutes les parties à la table des négociations peut mettre un terme à des tensions qui nuisent présentement aux échanges commerciaux. […] Il faut mettre un terme à l’incertitude ambiante, générée par la renégociation de l’ALENA et les mesures protectionnistes mises en place par l’administration américaine au cours des derniers mois. »

— Stéphane Forget, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec, dans un communiqué

« Cette nouvelle tombe à point nommé. Nous pressons maintenant les trois parties à conclure une entente trilatérale le plus vite possible. Après plus d’un an d’incertitude, il est temps de mettre en place une entente qui continuera de rapporter des milliards de dollars en bénéfices aux trois États membres. »

— Michael Hatch, économiste en chef à la Corporation des associations de détaillants d’automobiles, cité par La Presse canadienne

(Propos colligés par La Presse)

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