grands centres urbains

Des appareils « dorment » dans les hôpitaux

Les appareils d’imagerie médicale dans les principaux hôpitaux du Québec sont nettement sous-utilisés, révèle une enquête de La Presse. Avant d’envoyer les patients vers les cliniques privées, il faudrait se servir des machines qui « dorment » dans le réseau public, dénonce l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux. Une enquête de Caroline Touzin

Imagerie médicale

Listes d’attente surchargées, machines sous-utilisées

Les appareils d’imagerie médicale servant à détecter une grande variété de maladies – dont les cancers – et à en mesurer la progression sont nettement sous-utilisés dans les hôpitaux des grands centres urbains du Québec, révèle une enquête de La Presse.

C’est pourtant dans ces hôpitaux – à Montréal, Laval, Sherbrooke et Gatineau, notamment – que les temps d’attente pour des examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et de tomodensitométrie (TDM, mieux connu sous le nom de CT scan en anglais) sont parmi les plus élevés de la province.

Le nombre moyen d’heures d’utilisation par appareil y est bien en deçà de 16 heures par jour, selon des données recueillies auprès de ces établissements hospitaliers et obtenues par La Presse.

Le ministre de la Santé Gaétan Barrette avait pourtant affirmé au micro de Paul Arcand, en décembre dernier, que le problème de sous-utilisation des appareils d’imagerie médicale était réglé et que les appareils fonctionnaient désormais 16 heures par jour « partout où il y avait de l’attente et [une] disponibilité de personnel » grâce à un investissement de son gouvernement effectué en 2016.

Fermés en fin d’après-midi

Or, selon les statistiques obtenues par La Presse pour les 15 hôpitaux de la province où les problèmes de temps d’attente pour des examens en imagerie médicale sont les plus aigus, une majorité des appareils fonctionne seulement de jour la semaine (fermés après 16 h) et fonctionne au ralenti – quand ils n’accumulent carrément pas la poussière – les fins de semaine.

À titre d’exemple, au nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), les six appareils d’IRM fonctionnent à peine huit heures par jour en moyenne, alors qu’il y a actuellement plus de 7000 personnes sur la liste d’attente. La fin de semaine : un seul des six appareils d’IRM fonctionne. Pendant ce temps, un patient sur cette liste attend pour une IRM du genou depuis novembre… 2015.

Dans ce même hôpital ultramoderne du centre-ville de Montréal, les six appareils de TDM sont utilisés en moyenne 10 heures par jour alors qu’il y a 4500 personnes sur la liste d’attente. Encore une fois, seulement un tiers des TDM du CHUM fonctionnent la fin de semaine.

Son pendant anglophone, le Centre universitaire de santé McGill, ne roule guère plus. Ses sept appareils d’IRM fonctionnent en moyenne 12,6 heures par jour, alors qu’il y a 10 000 patients sur la liste d’attente. Ses neuf appareils de TDM sont utilisés en moyenne 9,4 heures par jour alors que 1500 patients attendent pour cet examen.

La situation est similaire au CHU de Sherbrooke (9 heures par jour par appareil IRM et 11 heures par jour par TDM), à la Cité-de-la-Santé à Laval (9,5 heures par jour par appareil IRM) et à l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil (10,2 heures par jour par appareil IRM et 10 heures par jour par TDM) – tous des centres hospitaliers dont les listes d’attente sont longues.

Un an et demi d’attente pour une tdm du cerveau

Ainsi, un patient de la Cité-de-la-Santé de Laval attend pour une TDM du cerveau depuis près d’un an et demi, soit depuis le 28 octobre 2016, selon notre enquête.

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) – le syndicat qui représente la grande majorité des 5000 technologues en imagerie médicale au Québec – dénonce la situation, la qualifiant d’« absurde ».

« Trop de gens au Québec attendent actuellement sur des listes d’attente, ce sont autant de gens à qui on n’est pas capable de faire de diagnostic et d’entreprendre des soins pour leur problème de santé, déplore la présidente de l’APTS Carolle Dubé. Ces appareils ont coûté des millions de dollars aux contribuables et ils dorment, alors qu’ils pourraient être utilisés de façon optimale pour faire en sorte que les gens aient accès à leur examen plus rapidement. »

Dans plusieurs hôpitaux des principales villes du Québec, le potentiel non exploité des appareils d’IRM et de TDM frôle – et même dépasse dans certains cas – les 60 % (à utilisation maximale de 24 heures). C’est le CHUM qui exploite le moins ses machines. Les hôpitaux de Gatineau, de Sherbrooke, de Laval (Cité-de-la-Santé), de Longueuil (Pierre-Boucher) et de Châteauguay (Anna-Laberge) suivent ensuite parmi ceux qui sous-utilisent le plus leurs machines.

Actuellement, les patients du Québec peuvent recevoir gratuitement une IRM et un TDM à l’hôpital. Mais en cabinet privé, ils doivent en payer les coûts.

Examens bientôt couverts en clinique privée

En entrevue à La Presse, le ministre de la Santé a réaffirmé son intention que les examens d’IRM et de TDM réalisés en cabinet privé soient désormais couverts par l’assurance maladie. Il souhaite concrétiser sa promesse – qui doit faire l’objet de négociations avec la Fédération des médecins spécialistes – d’ici le 1er juillet.

Les appareils des hôpitaux – déjà payés par les contribuables – devraient être utilisés à leur plein potentiel avant de « prendre encore plus d’argent aux contribuables pour financer l’achat d’appareils dans les cliniques privées », dénonce pour sa part Mme Dubé, de l’APTS.

« C’est comme si on s’achetait une voiture et qu’on l’utilisait juste le dimanche après-midi. Le reste de la semaine, on la laisserait dans le garage et on s’en louerait une dans une entreprise de location pour ses déplacements. C’est aussi absurde que ça. »

— Carolle Dubé, présidente de l’APTS

Appelée à réagir à notre enquête, l’Association des radiologistes du Québec (ARQ) confirme que les appareils d’imagerie médicale dans les hôpitaux des grands centres urbains « ramassent la poussière » les soirs et les fins de semaine pour la plupart. Une situation qui contribue à l’engorgement des urgences, selon l’ARQ.

« Les ressources ne sont pas au rendez-vous, explique son président, le Dr Vincent Oliva. Si on n’a pas assez de budget d’opération pour engager du personnel pour faire fonctionner les appareils, ces derniers sont simplement sous-utilisés. »

Possible de « vider » les listes d’attente

Si ces appareils fonctionnaient 16 heures par jour dans les hôpitaux, les listes d’attente pourraient être « vidées » en six mois ; moins d’un an en étant prudent, ajoute le Dr Oliva.

Le Dr Oliva est aussi chef du département de radiologie du CHUM – l’hôpital avec les listes d’attente parmi les plus longues en imagerie médicale, alors que ses appareils sont parmi les plus sous-utilisés des hôpitaux des grands centres.

Le médecin spécialiste critique le ministre de la Santé pour avoir demandé au cours des deux dernières années aux hôpitaux d’« optimiser les ressources » – des coupes déguisées, selon lui –, ce qui s’est traduit par la disparition de certains postes, notamment de technologues et de commis administratifs (chargés de la prise de rendez-vous des patients).

« Au CHUM, si on avait affiché suffisamment de postes à temps complet pour que les technologues appliquent sur ces postes-là, on n’aurait pas les problèmes qu’on vit aujourd’hui », résume le Dr Oliva.

« Il y a une pression énorme des médecins référents [ceux qui envoient les patients en radiologie] et des autres chefs de département parce que beaucoup de patients sont hors délais. Au bout du compte, les patients attendent et ils ne devraient pas attendre. »

— Vincent Oliva, président de l’ARQ

Le Dr Oliva craint d’ailleurs l’« érosion » de l’expertise des technologues formés à l’hôpital vers les cliniques privées, puisque ces dernières auront besoin de plus d’employés si les examens d’IRM et de TDM deviennent « gratuits » au privé.

« De la pure folie »

« Il y a en masse de ressources pour traiter la population québécoise dans des délais raisonnables dans les hôpitaux. On est bien équipés, poursuit le président de l’ARQ. C’est juste que l’équipement ne roule pas de manière optimale en raison d’un manque de budget d’opération. Tant que ce n’est pas optimisé, il n’y a pas de justification économique ni même organisationnelle pour ouvrir un bar ouvert au privé. C’est de la pure folie selon moi. »

Cette « appréciation est inappropriée », réplique le ministre de la Santé Gaétan Barrette, qui parle plutôt d’une « augmentation de la couverture publique ».

En novembre 2016, Québec avait annoncé 4,5 millions pour 46 500 examens supplémentaires en IRM et 1,5 million pour 20 200 examens supplémentaires en TDM.

Le ministre affirme qu’il a « rempli ses engagements » et qu’il les a même dépassés, puisque ce sont finalement 7,2 millions qui ont été investis pour réaliser quelque 47 500 examens supplémentaires en IRM et 49 600 examens supplémentaires en TDM.

Comment se fait-il alors que cet investissement n’a pas eu d’impact sur les listes d’attente des hôpitaux des grands centres, dont Montréal, et que ces derniers n’ont toujours pas prolongé les heures d’activités en soirée ?

Sans nier le problème des hôpitaux des grands centres, le Dr Barrette explique qu’il a injecté de l’argent dans le réseau – et non pas par hôpital – pour globalement réussir à réaliser davantage d’examens en IRM et TDM.

« La consigne que j’ai donnée au réseau était claire : augmentez les volumes d’examens pour faire diminuer les listes d’attente et prolongez les heures d’activités là où c’est possible. L’argent est au rendez-vous », insiste le ministre de la Santé.

De son côté, le président de l’Association des radiologistes, le Dr Oliva, est catégorique : « Sur le terrain, en 2017, on n’a pas eu de résultats concrets. Et dans mon département au CHUM, on n’a pas vu la couleur de cet argent. »

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