PORTRAIT : MICHEL ST-ARNEAULT

Des bouteilles à 2 « cennes » et des patates à la tonne

L’acquisition d’un snack-bar devant un complexe industriel de 10 000 travailleurs, dans les années 70, était un rêve de profitabilité pour Michel Saint-Arneault. Mais l’histoire ne s’est pas déroulée comme il le prévoyait. Un revers de fortune qui ne l’a pas empêché de devenir le plus important fabricant de frites du Québec.

On l’a baptisé le « roi de la patate » à quelques reprises. Mais lui accoler un titre qui emprunte à ces snack-bars de bord de route est quelque peu réducteur. Car le chiffre d’affaires de son usine de transformation de Saint-Hubert se situe dans les dizaines de millions de dollars, avec des ventes annuelles de 110 millions de livres de pommes de terre. 

Mais bien avant cela, Michel Saint-Arneault s’est réjoui d’un profit de quelques cents. Parti de rien ? L’expression colle au parcours du président.

Michel Saint-Arneault a de la mémoire. Il n’oublie aucune date de son cheminement entrepreneurial. Il se souvient de ses hivers passés à geler dans une petite maison de Saint-Hubert où il résidait avec sa mère, ses sœurs et son frère. « Il faisait tellement frette, lance-t-il. Il y avait quatre pieds de glace sur les murs. »

C’est que la mort de son mari en 1957 a laissé la mère de Michel Saint-Arneault veuve avec six enfants. Pour joindre les deux bouts, elle s’activait sans arrêt. Lavage de planchers, lavage des robes du curé… « Les Sœurs nécessiteuses nous versaient 90 $ par mois. »

Unie, solidaire, la famille sort chaque soir récupérer ici et là des bouteilles vides pour les échanger contre quelques cents. « C’était 2 cennes la bouteille. On en ramassait 24. Un pain coûtait environ 27 cennes… »

Cette maison « frette en hiver » a néanmoins un atout de taille. Elle est située derrière une salle de quilles en construction. Or, un jour, Michel Saint-Arneault a l’idée de prendre le profit de l’échange de 50 bouteilles vides pour acheter des boissons gazeuses et les vendre aux gars du chantier, 10 cents la bouteille.

« Je retournais au dépanneur et j’en rachetais. Une semaine plus tard, je remplissais une brouette de liqueurs. Je pouvais rapporter à la maison de 2 $ à 3 $. Je crois que c’est à ce moment que j’ai eu la bosse des affaires. »

— Michel Saint-Arneault

Il faut toutefois que Michel Saint-Arneault attende la fin de son baccalauréat en mathématiques pour acquérir son premier commerce : un snack-bar en face d’un immense édifice de Pointe-Saint-Charles, à Montréal, où travaillent 10 000 personnes. 

« Je travaillais pour une entreprise de pneus, mais je rongeais mon frein, car je voulais être en affaires, raconte-t-il. J’avais peu d’argent. Je venais de me marier. On avait un petit appart et on ne possédait qu’un téléviseur. Je regardais les restos à vendre dans le journal. J’en ai trouvé un devant la grosse Northern Electric. Je suis allé faire mon tour pour analyser les lieux et le va-et-vient pendant une semaine. Ça marchait ! Le propriétaire du resto demandait 7800 $. »

Michel Saint-Arneault se souvient de la somme précise. « Ma femme et moi avions mis de côté 600 $ pour acheter des meubles. Mais elle m’a dit : les meubles, ça peut attendre ! Ma mère m’a avancé 1000 $. La balance devait être remboursée sur trois ans. »

Le 1er mai 1973, le jeune homme prend possession du resto. Les affaires roulent les deux premiers mois, jusqu’à ce qu’il apprenne que la Northern Electric déménage sous peu dans un nouvel édifice à Saint-Laurent. « Probablement que le propriétaire du snack-bar savait… »

Vendre et éplucher

Comment rembourser ses dettes et pallier la baisse draconienne de revenus ? Michel Saint-Arneault a la réponse en voyant une poche de pommes de terre épluchées chez un fournisseur. Vendre et éplucher lui-même des pommes de terre sera la voie à suivre. 

Malgré une première expérience plus ou moins concluante et une rude nuit passée en compagnie de ses frangins et de sa mère à éplucher, il jette officiellement les bases de ce que sera l’entreprise qui portera son nom : un transformateur de pommes de terre pour des distributeurs (dans la restauration et le commerce de détail). 

« Au bout de trois ans, j’ai amassé 20 000 $. J’avais un bac en mathématiques, mes jeans étaient durcis à cause de l’amidon, mais je sentais qu’il y avait quelque chose à faire. J’ai pris 10 000 $ pour aménager un entrepôt à Verdun et 10 000 $ pour une maison. »

L’entreprise Michel Saint-Arneault arrivera à Saint-Hubert, près de chez maman, en 1982. L’entrepôt fait à l’époque 10 000 pi2. Il a depuis été agrandi six fois. « On a réussi à développer pas mal le marché. »

En trois autres années, le nombre d’employés passe de 5 à 15. « Je me disais : on est bons dans ce qu’on fait, mais un jour, quelqu’un sera meilleur que nous. Je devais faire quelque chose que les autres ne font pas. »

Michel Saint-Arneault fait alors des pieds et des mains pour fabriquer un produit précuit. « La cuisson, c’est long pour les restaurateurs. Ça prend de l’huile et des équipements. » Il rencontre des manufacturiers-transformateurs aux États-Unis. Un ingénieur de l’Idaho accepte de lui dessiner des équipements. « M’équiper m’a coûté 2,4 millions en 1987. J’ai alors commencé à faire des frites. »

Il lui fallait toutefois un procédé de conservation de ses produits, faute de ventes. « Les camions revenaient pleins. Puis, j’ai appris qu’en Europe, on faisait des emballages d’atmosphère modifiée. » 

Un Néerlandais lui tend la main, sans demander trop d’argent, après moult recherches afin de concevoir un emballage permettant de conserver les frites au moins 21 jours. 

« L’enjeu dans la business était la conservation. Quand j’ai demandé au Néerlandais pourquoi il m’avait aidé, il m’a répondu : “Petit, pendant la Deuxième Guerre mondiale, les premiers soldats qui sont entrés dans mon village étaient canadiens.” »

Plus tard, vers 1994, il crée et met en marché des frites congelées, au Portugal puis aux États-Unis. « Ce dernier marché a été long à développer, facilement 10 ans, car il y a des joueurs majeurs en Amérique du Nord. La stratégie était de prendre de petits morceaux pour ne pas réveiller l’ours qui dort [les McCain de ce monde]. »

Au cours des deux dernières années, l’entreprise Michel Saint-Arneault a investi 35 millions de dollars pour moderniser l’usine, acheter des terres pour se donner une sécurité d’approvisionnement en pommes de terre et développer de nouveaux produits. Le président est aujourd’hui entouré de ses enfants au travail – son fils Rémy est directeur général. 

« La réussite de l’entreprise était la fierté de ma mère, aujourd’hui décédée, affirme le fondateur. Dans les restos, elle demandait systématiquement d’où venaient les frites ! Mon frère est encore ici. Ma mère y a travaillé jusqu’à 67 ans. Elle a toujours gardé la même maison à Saint-Hubert. » 

Et le snack-bar de Pointe-Saint-Charles ? 

« On l’a gardé six ans et revendu 3000 $… »

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