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Jordan Greenway, pionnier malgré lui

Le jeune attaquant deviendra cette semaine le premier Noir à représenter les États-Unis en hockey aux Jeux olympiques.

Le 17 janvier dernier, les Bruins rendaient hommage à Willie O’Ree. Soixante ans auparavant, le hockeyeur devenait le premier Noir à jouer un match dans la LNH. Le pionnier avait enfilé l’uniforme des Bruins pour affronter le Canadien au Forum.

La journée était symbolique pour aller rencontrer à quelques kilomètres du TD Garden Jordan Greenway. L’étudiant en psychologie, 20 ans à peine, deviendra cette semaine le premier Noir à représenter les États-Unis en hockey aux Jeux olympiques.

Dès sa nomination, les projecteurs se sont braqués vers Boston University. Quand La Presse a pris place dans une petite salle de l’Agganis Arena pour réaliser l’entrevue, NBC Sports était déjà là. CNN était en route. Tous les médias de Boston voulaient rencontrer le jeune homme.

Bref, la folie pour celui qui reprenait ses cours le lendemain.

« Je savais à quoi m’en tenir, a-t-il dit avec un sourire gêné. Je veux réussir dans ce sport depuis le premier jour. L’attention ne m’affecte pas. »

Greenway vient de Canton, une petite ville de 6000 habitants dans le nord de l’État de New York. Une bourgade à majorité blanche où apprendre à jouer au hockey était pratiquement une obligation. « Il y avait un aréna tous les 3 km. Mon frère, mes oncles et mes cousins jouaient tous au hockey. J’ai commencé à enfiler les patins très tôt avec ma famille. »

Greenway a essayé d’autres sports, mais comme il l’avoue lui-même, sans trop de succès. Il a commencé à jouer au hockey, comme tout le monde autour de lui, et n’a jamais arrêté. La couleur de sa peau n’a jamais été au premier plan... jusqu’à ce que tout le monde se mette à lui en parler.

« Au début, ça ne m’a pas frappé [qu’il était le premier Noir avec Team USA aux Jeux olympiques]. J’ai grandi entouré de gens blancs, ma mère et les membres de ma famille sont tous blancs. J’ai d’abord vu ça comme si je n’étais qu’un autre jeune qui s’en va aux Jeux olympiques. Avec le recul, j’espère pouvoir inciter les autres jeunes Afro-Américains à essayer quelque chose de différent, à l’extérieur des normes. »

« J’espère être un modèle et être le premier de plusieurs Afro-Américains à représenter les États-Unis aux Jeux olympiques. »

— Jordan Greenway

De nos jours, il y a seulement une trentaine de joueurs noirs dans la LNH. Il y a bien sûr l’enjeu économique : jouer au hockey coûte cher et les Noirs sont historiquement parmi les communautés les plus pauvres des États-Unis.

Greenway se risque tout de même à une autre explication.

« Je crois que les jeunes ont des idoles et qu’ils regardent des gens qui leur ressemblent, comme LeBron James. C’est facile pour les jeunes Afro-Américains d’admirer des joueurs de baseball, de football. Ils veulent faire comme eux. C’est plus difficile de s’identifier au hockey. »

Le hockey d’abord ?

Greenway a appris en pleine entrevue, il y a quelques semaines, la particularité de sa nomination. C’est dire combien il n’y accordait aucune attention. Ses inspirations dans la LNH étaient d’abord et avant tout des joueurs dont le style s’apparentait au sien.

L’ailier gauche, qui a été choisi au 2e tour par le Wild en 2015, cite Wayne Simmonds, dont la couleur de la peau n’a rien à voir, Joe Thornton, Anthony Mantha, Anders Lee et Nick Bjugstad. Des joueurs au gabarit comparable à ses 6 pi 5 po et 230 lb. « Des gros joueurs autour du filet. Ils utilisent leur corps à leur avantage. »

Puis, l’inévitable question : aimerais-tu que l’on parle de toi seulement pour ta manière de jouer au hockey plutôt que pour la couleur de ta peau ?

Très longue pause.

« C’est important [d’être le premier Noir], mais je n’y pensais pas nécessairement. C’est bon pour moi, et j’espère en profiter pour faire ouvrir les yeux à certains jeunes. »

— Jordan Greenway

Hors LNH, Greenway remercie son oncle, dont il a suivi avec intérêt le parcours au secondaire puis au collégial. Surtout, c’est de sa mère que le jeune homme parle avec le plus d’affection.

On comprend au fil de la discussion qu’il ne connaît à peu près pas son père. « Je crois qu’il est né à New York, je ne sais pas, il n’est pas dans ma vie. » Greenway rend hommage à celle qui a traversé avec lui tous les obstacles de la vie de hockeyeur. C’est elle qui était à ses côtés quand il perdait confiance. C’est donc à elle, logiquement, qu’il a annoncé en premier qu’il vivrait son rêve olympique.

« Elle était très heureuse, mais elle ne veut pas devenir trop émotive en ma présence. Elle a probablement pleuré quand j’ai raccroché le téléphone. Ma mère est mon inspiration. Elle a été ma colonne toute ma carrière. Mon frère et moi avons reçu l’aide de plusieurs personnes, je dois le souligner, mais ma mère a tout traversé avec nous. Elle m’a toujours appuyé. Elle m’a motivé avec ses mots et ses actions. Je l’admire. »

Une chance unique

Greenway sait fort bien que si la LNH allait aux Jeux olympiques, les Seth Jones ou Dustin Byfuglien porteraient sans doute l’uniforme américain. L’histoire retiendrait plutôt leurs noms. Tant pis. « Ce n’est pas ce qui s’est produit et je suis très chanceux. Je vais en profiter. »

On évoque avec déception l’absence de la LNH à PyeongChang. On oublie que ça nous permettra de découvrir d’autres parcours. Comme celui de Jordan Greenway, devenu à 20 ans, bien malgré lui, un pionnier du hockey américain.

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