Portrait  Jayne Malenfant

D’itinérante à doctorante

À l’adolescence, Jayne Malenfant s’est retrouvée seule à Saskatoon, obligée de délaisser l’école pour subvenir à ses besoins. Aujourd’hui étudiante au doctorat à la faculté d’éducation de l’Université McGill, elle vient de remporter deux des plus prestigieuses bourses accordées à des étudiants de cycles supérieurs.

À 15 ans, Jayne Malenfant n’avait pas d’adresse et pas d’argent. Pas même de quoi manger trois fois par jour. Elle s’est retrouvée seule à Saskatoon après le départ de sa mère, partie prendre soin de son frère en Ontario.

Un mois plus tard, elle se faisait mettre à la porte de son école. Non pas parce qu’elle était une mauvaise élève. Ni parce qu’elle avait fait un mauvais coup. Simplement parce qu’elle avait accumulé trop de jours d’absence. La raison est simple : elle devait travailler pour subvenir à ses besoins. Et manquait sans doute aussi un peu de motivation. Sans parler de ses problèmes de santé mentale : idées suicidaires, scarification…

« J’aimais l’école, mais je trouvais que ça n’avait pas beaucoup de sens pour moi », confie-t-elle, dans un sympathique café de la rue Sherbrooke. « Je travaillais et je devais trouver un endroit où vivre, de quoi manger… »

Jayne a téléphoné à l’école dans l’espoir de trouver un arrangement. Mais on lui a dit « non ». Ses parents devaient appeler. Pas elle. « Mais je n’ai pas de parent ici », a-t-elle répliqué.

Quatorze ans plus tard, elle est inscrite au doctorat à la faculté d’éducation de l’Université McGill et vient de remporter deux des plus prestigieuses bourses accordées à des étudiants de cycles supérieurs. La première, la bourse Vanier, est d’un montant de 150 000 $ répartis sur trois ans. La deuxième, la bourse Trudeau, est de 180 000 $ sur trois ans, assortie de conditions et d’autres formes de soutien, tout aussi sinon plus importantes que l’argent.

« C’est plus d’argent que je n’ai jamais eu de toute ma vie. C’est incroyable ! C’est la première année que je ne suis pas sous le seuil de la pauvreté. »

— Jayne Malenfant

De nomade à étudiante

Jayne est née à Kapuskasing, une municipalité francophone du nord de l’Ontario, d’un père québécois, dont la famille est originaire de Rimouski, et d’une mère ontarienne, qui ne parle pas un mot de français. Ses parents se sont séparés quand elle avait 12 ans. Sa mère et elle ont alors déménagé à Saskatoon. Ils habitaient dans un sous-sol avec des amis. Dès 14 ans, Jayne a travaillé pour aider à payer les factures. Sa mère est partie trois ans après leur arrivée pour aller s’occuper de son fils en Ontario qui avait des problèmes.

« Quand je parle de mon adolescence, les gens pensent que j’ai été abandonnée, mais ce n’est pas ça. Ma mère pensait que je pouvais rester seule. »

Huit mois après avoir été mise à la porte de l’école, Jayne s’est inscrite à l’éducation aux adultes. Elle a poursuivi ses cours en ligne, tout en travaillant, pendant deux ans. « À un moment, je vivais dans un squat avec 20 personnes, incluant une famille, et je ne mangeais pas. C’est vraiment difficile de rester à l’école quand tu jongles avec une situation comme celle-là. »

En juin 2008, après avoir obtenu son diplôme, elle a décidé de quitter Saskatoon pour aller retrouver sa mère en Ontario. Mais aussi pour sortir de son milieu où la drogue faisait des ravages. « C’est facile d’en prendre l’habitude, dit-elle. Je ne voulais pas faire ça parce que j’ai vu ça souvent dans ma vie et c’est vraiment triste. »

À Toronto, Jayne a dormi sur le plancher pendant un an parce que l’appartement de sa mère était minuscule. Ne sachant pas quoi faire de sa peau, elle a pris la décision de s’inscrire en archéologie à l’université, en septembre 2009.

« Je voulais juste faire quelque chose d’intéressant mais, avec le temps, mes notes étaient vraiment bonnes. » Résultat : elle a poursuivi ses études à la maîtrise, où elle a travaillé au Canadian Observatory on Homelessness comme assistante de recherche. Et c’est là que le déclic s’est produit.

« J’ai compris qu’il y a plusieurs façons d’être itinérants, pas juste dans la rue. Et je me suis reconnue. J’ai alors parlé avec mes amis et des chercheurs, et j’ai vu que je pouvais m’inspirer de mon histoire pour changer les choses pour les jeunes. »

— Jayne Malenfant

C’est ainsi qu’elle a décidé de consacrer le reste de sa vie aux jeunes qui vivent, comme elle a vécu, en situation d’itinérance et qui sont trop souvent exclus du système scolaire pour de mauvaises raisons.

Le sujet de sa thèse de doctorat : comment garantir l’accès à une éducation efficace aux jeunes sans-abri ?

Car des jeunes sans toit, au Canada, il y en a plus qu’on pense : 35 000, selon une étude réalisée conjointement en 2013 par L’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance et The State of Homelessness in Canada. Et ce ne sont pas toujours ceux qu’on pourrait croire.

Pour réaliser son projet, Jayne Malenfant a recruté, le mois dernier, quatre assistants de recherche : deux femmes et deux hommes de moins de 30 ans qui fréquentent l’organisme Dans la rue. Des jeunes qui, comme elle, n’ont pas eu la vie facile. Son but : examiner, de leur point de vue, les droits au logement, à l’éducation et au travail, et proposer des solutions aux gouvernements pour améliorer leur sort et prévenir le décrochage.

« C’est drôle parce que, plus jeune, je pensais que l’université, ce n’était pas pour moi, dit-elle aujourd’hui. Je me disais que c’était trop cher et que, moi, dans la vie, je pouvais juste travailler, travailler. Maintenant, ça va faire huit ans que je suis à l’université… »

QUI SONT LES JEUNES DE LA RUE ?

Selon l’organisme Dans la rue, les jeunes représentent 20 %, soit 35 000 personnes par an, des utilisateurs de refuges au Canada (SEGAERT 2012).

Deux jeunes sans-abri sur trois sont des hommes

Les membres de la communauté LGBTQ et les autochtones sont surreprésentés

42 % des jeunes sans-abri sont issus de la protection de la jeunesse

65 % ont des difficultés scolaires

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