tablette en classe

à bonne ou À rude école ?

De nombreuses écoles secondaires privées au Québec utilisent depuis peu l’iPad comme outil pédagogique. Lectures, cours, devoirs et tests se font sur la tablette. Loin de s’en réjouir, des parents sont inquiets pour la santé de leurs ados. Les experts interrogés appellent à la vigilance, car la tablette dans les écoles n’a pas encore fait ses preuves. État des lieux.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATRICE NADIELLE KUTLU

Tablette en classe

« L’iPad au cœur de la vie de l’enfant »

Depuis septembre, au collège Stanislas à Montréal, les élèves de la première à la quatrième secondaire sont obligés de s’équiper d’un iPad. Ashley*, mère d’un garçon qui vient d’entrer au secondaire, est inquiète pour la santé de son fils.

« L’école a mis l’iPad au cœur de la vie de l’enfant. Tout est sur l’iPad. Le matin, il doit regarder son emploi du temps sur son iPad. Les livres, la majorité des cours et des exercices sont sur son iPad. À la maison, il doit faire ses devoirs sur l’iPad parce qu’il n’y a plus de manuel. Même s’il a quelques cours sans iPad, c’est quand même devenu son outil principal, ce qui est une aberration », déplore-t-elle.

Alors qu’elle s’efforçait de restreindre le temps d’écran à la maison, avec l’arrivée des tablettes à l’école, c’est devenu une autre paire de manches. Elle est aussi inquiète de la cyberdépendance que peut favoriser l’outil.

Attirer les parents

Au collège privé Jean-de-Brébeuf, depuis près de cinq ans, les iPad sont utilisés au secondaire. « Les tablettes sont dans un chariot, réservées et utilisées par les enseignants lorsque ceux-ci en ont besoin en classe. On n’était pas convaincus que le modèle un pour un [un iPad par élève] était le meilleur, et on ne l’est toujours pas, même si on est entourés d’écoles qui offrent du un pour un », soulève le conseiller pédagogique au collège Jean-de-Brébeuf, Marc Desgroseilliers.

Il explique que l’iPad sert souvent à mousser les établissements.

« Pour plusieurs écoles, c’est un coup de marketing, un coup de vente. Et ça fonctionne. Des fois, les parents nous disent : vous n’offrez pas d’iPad, on ne viendra pas ici. »

— Marc Desgroseilliers, conseiller pédagogique au collège Jean-de-Brébeuf

Les écoles secondaires publiques risquent aussi de devoir composer avec l’omniprésence des tablettes en classe, avec le nouveau Plan numérique en éducation annoncé par le ministère de l’Éducation, en mai. Pour la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Josée Scalabrini, c’est justement la façon dont cet outil est introduit qui est importante, à savoir si c’est imposé aux enseignants ou libre à chacun. La formation des enseignants est un autre motif d’inquiétude : « Quand c’est une nouvelle méthode pédagogique, il faut vraiment l’avoir apprivoisée », dit-elle.

Intégration graduelle

Au collège Beaubois, à Pierrefonds, c’est également la formule d’un iPad par élève qui a été adoptée. Le virage est implanté progressivement depuis septembre 2017, après un an et demi d’analyse, de préparation technique et de formation des enseignants.

L’école a-t-elle abandonné les livres papier ? « On est en mode hybride pour l’instant, répond le directeur de l’établissement, Marc-André Girard. Il y a des enseignants qui maintiennent le livre, d’autres l’ont éliminé. »

Pas de meilleures notes

Quant au taux de réussite scolaire, il reste inchangé, confie le directeur. D’ailleurs, Linda Pagani, chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine et professeure titulaire à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal, souligne que des scientifiques ont épluché des dizaines de recherches sur le sujet. Conclusion : l’arrivée de ces nouvelles technologies dans les écoles « n’entraîne pas de changements dans la réussite scolaire, donc pas de meilleures notes », affirme-t-elle.

Ashley a l’impression que ces enfants sont de véritables cobayes sur lesquels on expérimente les écrans.

« Ça me fait penser aux pesticides ou à l’amiante. C’est beau et nouveau, et dans 15 ans, on va nous dire : ces enfants sont tous fuckés, désolé, on ne savait pas que c’était mauvais. Je trouve ça injuste et irresponsable de la part de l’école. »

— Ashley, mère d'un élève du secondaire qui utilise la tablette en classe

Comme un médicament

Linda Pagani est aussi inquiète de ce nouveau virage numérique populaire. « C’est comme si on avait un nouveau médicament, qu’on ne le testait pas comme il faut, et qu’ensuite on le donnait aux gens en pensant que ça allait être bon. On a agi trop rapidement. Il faut traiter les écrans comme un nouveau médicament », prévient-elle.

Si l’iPad apporte un effet de nouveauté qui peut motiver les ados, leur permettre de ne plus trimballer de livres, de ne plus oublier le matériel scolaire à la maison ou à l’école, c’est aussi un outil qui favorise la distraction et nuit à la concentration, soutient Linda Pagani. À noter : en classe, les enfants ne sont pas rivés toute la journée devant leur écran.

* Prénom fictif. Ashley a demandé de garder l’anonymat pour conserver une bonne relation avec l’école.

Le Virage numérique en chiffres

1,2 milliard

Somme que le ministère de l’Éducation a annoncée en mai dernier pour élaborer un Plan d’action numérique en éducation dans le réseau scolaire du Québec d’ici 2023

15 millions

Somme prévue pour former le personnel au primaire et au secondaire

Cinq conseils pour bien utiliser l’iPad en classe

« Si l’outil n’est pas utilisé intelligemment, c’est certain que ça devient une dépense inutile », prévient Michel Choquette, enseignant depuis 35 ans, expert technologique au collège Beaubois, qui a intégré les iPad à ses cours il y a cinq ans.

L’iPad n’est pas un livre

Ne pas l’utiliser comme livre électronique. Lire des chapitres d’un livre d’histoire, par exemple, sur l’iPad, ce n’est pas l’utiliser à son plein potentiel. « Ce n’est pas facile de naviguer parmi les volumes. Après l’avoir fait, beaucoup de professeurs sont d’ailleurs revenus au livre papier », remarque Michel Choquette.

Stimuler la créativité

Utiliser l’iPad pour que les élèves y fassent de la recherche, apprennent à apprendre, soient créatifs.

Penser interactivité

Favoriser une interaction grâce à la tablette. « Mais je ne dirai pas que tous les enseignants ont la capacité de le faire. L’idée, c’est de chercher l’interactivité où elle est, et pas nécessairement d’être obligé de l’inventer. »

Soutenir les enseignants

Offrir un soutien aux enseignants. « C’est le nerf de la guerre. Il faut que l’iPad s’insère dans le programme de l’enseignant, lui fasse gagner du temps en classe et améliore les apprentissages. Et ensuite, il faut faciliter l’intégration et la connaissance des applications. »

Une question d’équilibre

Trouver un équilibre entre la technologie et les modes traditionnels. « Le papier va toujours rester. »

Tablette en classe

La prudence est de mise

Patrick Hamel, médecin-ophtalmologiste en pédiatrie, chef du département d’ophtalmologie au CHU Sainte-Justine, et Langis Michaud, professeur titulaire à l’école d’optométrie de l’Université de Montréal, ont répondu à nos questions concernant la santé des yeux et les iPad en classe. Ils sont aussi concernés comme parents par ce virage numérique.

Comme parents, êtes-vous inquiets de voir l’iPad devenir le principal outil pédagogique à l’école ?

Langis Michaud : Non. Si c’est bien contrôlé et encadré, il n’y a pas de problème. Mais ça prend un contrôle. Sur le plan de l’apprentissage, l’iPad donne plein de possibilités. C’est quand même plus convivial qu’un papier et un crayon. C’est très ludique pour les enfants. Il y a du pour et contre en toutes choses, et c’est à nous comme parents de sensibiliser les enfants au bon usage de la tablette.

Patrick Hamel : Je pense qu’il y a de bonnes choses. Et il y a des choses auxquelles on doit faire attention. J’ai hâte que ma fille revienne de l’école et qu’elle n’ait pas un sac à dos plein, qu’elle ait tout sur iPad et qu’on ne soit pas obligés de courir après les livres tout le temps. Ce sont quand même des avantages non négligeables. Mais il faut être prudent. Dans les années 50, on disait que fumer la cigarette n’était pas dangereux jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que les médecins anglais qui fumaient avaient plus de cancers du poumon.

L’utilisation de l’iPad favorise-t-elle la myopie ?

Patrick Hamel : Aucune étude scientifique en ce moment ne démontre que c’est le cas. C’est vrai qu’il y a plus de myopie aujourd’hui que dans les années 70. Mais les études comparatives démontrent que la myopie a progressé avant même l’arrivée des ordinateurs. La personne est-elle myope parce qu’elle lit sur son iPad de trop près, comme on lirait un livre, ou parce que l’iPad ou le téléphone a un impact sur ses yeux ? On ne le sait pas. Il n’y a rien de prouvé. Ce qui est prouvé, c’est qu’aller dehors, à la lumière du jour, diminue le risque de devenir myope. Les enfants qui sont sur leurs iPad, jeux vidéo et ordinateur ne sont pas dehors.

Langis Michaud : En classe ou à la maison, on conseille d’utiliser la tablette 30 minutes à la fois et de prendre 2 minutes de pause. D’avoir un bon éclairage ambiant, de ne pas consulter les écrans dans le noir. De garder une distance de 40 cm avec l’écran. À la maison, pour les enfants de moins de 12 ans, on ne doit pas dépasser une heure d’écran par jour et pour les plus de 12 ans, c’est au maximum deux heures par jour.

L’iPad fatigue-t-il les yeux ?

Patrick Hamel : Oui. Parce qu’on cligne moins les yeux quand on est devant un écran. Donc les yeux sèchent un peu plus. Est-ce dangereux ? Ça n’a pas été démontré. Oui, ça entraîne un inconfort, oui, les enfants seront peut-être un peu plus fatigués à la fin de la journée à force de lire sur les écrans. Mais encore là, les enfants ont de très bonnes larmes en comparaison des adultes. Ce qui est plus sérieux, c’est de lire de façon trop soutenue : il faut reposer son œil.

Langis Michaud : C’est incontestablement plus fatigant pour l’œil de lire sur un iPad que de lire un livre papier. Avec un livre papier, on a moins tendance à regarder partout. On est plus concentré, on est à la même distance, l’œil ne fait pas de la gymnastique et on a généralement un bon éclairage.

Faire les devoirs sur la tablette, est-ce problématique ?

Patrick Hamel : Un autre aspect qui est scientifiquement prouvé, c’est que l’utilisation des écrans le soir crée des perturbations du sommeil. Il faut donc éviter les écrans dans les heures qui précèdent le coucher, même si c’est 20 minutes d’écran. On sait que ça stimule trop le cerveau. Si les écoles font en sorte que les élèves n’ont pas le choix et doivent faire leurs devoirs le soir sur ordi, écran ou tablette, on a un problème. Il faudra réviser la façon de faire. Parce que les enfants vont avoir un sommeil perturbé.

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