Le dirigeant le mieux payé travaille à Londres

Où réside l’employé le mieux payé de la Caisse de dépôt et placement ? À Londres. Le rapport annuel de l’institution, publié hier, réservait quelques surprises au chapitre de la rémunération des dirigeants. Notre chroniqueur Francis Vailles fait la lumière sur la situation.

Chronique

Des cadres hors Québec au sommet de la liste de paie

Le rapport annuel de la Caisse de dépôt renferme de drôles de surprises concernant la rémunération des dirigeants cette année.

D’abord, parmi les cinq principaux cadres les mieux rémunérés relevant de Michael Sabia, trois ne résident pas au Québec. Entre autres, les deux premiers vivent en Europe.

L’un d’entre eux gagne même davantage que le PDG de l’institution.

Au sommet de la rémunération de la Caisse figure désormais Stéphane Etroy, qui est premier vice-président et chef des placements privés de l’institution québécoise. Au total, sa rémunération en 2018 a atteint l’équivalent de 4,44 millions de dollars canadiens, selon le rapport annuel. Cette somme dépasse de 570 000 $ les émoluments de Michael Sabia.

Ce n’est pas la première année que M. Etroy est mieux payé que le PDG de la Caisse. En 2017, il a touché 3,86 millions, soit quelque 400 000 $ de plus que M. Sabia.

Autre surprise : le nom d’Etroy ne figurait nulle part dans le tableau du rapport de 2017, étonnamment, bien qu’il ait eu alors déjà les plus hauts émoluments du bas de laine des Québécois, selon les données publiées hier.

Stéphane Etroy est un Suisse qui travaille à Londres. Sa rémunération est d’ailleurs exprimée en livres sterling, que j’ai converties avec le taux moyen de 2018. Il est entré à la Caisse en 2015.

Les deux autres cadres non résidents du Québec parmi les cinq mieux payés qui relèvent du PDG sont Emmanuel Jaclot (2,55 millions) et Anita George (1,84 million). Leurs rémunérations sont d’ailleurs exprimées en euros et en roupies indiennes. Le premier est responsable du volet Infrastructures de la Caisse et la seconde, des marchés en croissance.

Des chiffres en petits caractères

Il n’a pas été simple de connaître la paye de MM. Etroy et Jaclot, puisque la colonne de « rémunération globale » de l’institution, curieusement, fait fi de certaines allocations qui leur sont versées.

Ces allocations atteignent la rondelette somme de 710 000 $ dans le cas de M. Etroy et de 428 000 $ dans celui de M. Jaclot. Il faut lire une note en bas de tableau, en petits caractères, pour découvrir ces sommes. La Caisse m’a confirmé qu’il fallait bien les ajouter à la rémunération globale.

Pourquoi de telles sommes ne s’y trouvent-elles pas ?

Première raison invoquée par le porte-parole, Maxime Chagnon : « Nous ne les avons pas ajoutées, car ça créerait de la distorsion dans la valeur octroyée en fonction de la performance. »

Pourtant, je constate que le salaire de base fait partie du tableau et il n’est pas, lui non plus, strictement lié à la performance.

Deuxième raison : « Il s’agit de sommes temporaires », me dit-il.

Temporaires ? Selon la note, M. Etroy touche la somme durant quatre ans, soit de 2017 à 2020, tandis que M. Jaclot aura cette allocation jusqu’en… 2023.

Comment expliquer que la Caisse réserve ses meilleures payes à des non-Québécois? « Nous embauchons les meilleurs et s’ils sont à l’extérieur du Québec, eh bien, nous les recrutons, c’est ce qu’il faut faire », me dit M. Chagnon.

Le porte-parole m’indique qu’Emmanuel Jaclot déménagera à Montréal au cours de l’été. Et selon les analyses d’une firme externe, la rémunération de M. Etroy correspondrait à moins de 50 % de la rémunération globale maximale du marché de référence.

Et pourquoi le nom de Stéphane Etroy était-il absent du tableau de rémunération de l’an dernier, malgré son statut de plus haut rémunéré ?

Encore une fois, il est difficile de comprendre. Maxime Chagnon m’indique que la loi exige de la Caisse qu’elle publie la rémunération des cinq dirigeants les mieux rémunérés « agissant sous l’autorité directe du PDG ». Or, dit-il, en 2017, M. Etroy relevait plutôt du chef des placements, Roland Lescure.

Vraiment ? Stéphane Etroy est devenu responsable des placements privés hors Québec en avril 2017. Et à partir de ce moment, il ne relevait plus de Roland Lescure, puisque le 6 avril 2017, ce dernier a quitté son poste pour faire de la politique en France. C’est Michael Sabia qui a assuré l’intérim comme chef des placements durant toute l’année et M. Etroy relevait donc directement du PDG durant l’essentiel de l’année 2017.

La Caisse change de méthode

Par ailleurs, cette année, la Caisse de dépôt a changé significativement sa méthode de présentation de la rémunération par rapport à ce qu’elle faisait depuis quelques années. Sans ce changement, il n’aurait été possible ni en 2017 ni en 2018 de constater que Stéphane Etroy gagne davantage que Michael Sabia.

Ce changement à la Caisse survient après la publication d’une enquête que j’ai signée en novembre 2018 intitulée « Les méthodes hors normes de la Caisse ».

Essentiellement, la Caisse inscrivait dans la rémunération incitative de l’année courante certaines primes versées trois ans plus tôt, qui étaient bien inférieures à celles d’aujourd’hui. Pour les cadres qui n’étaient pas employés de la Caisse trois ans plus tôt, aucune de ces primes n’apparaissait donc dans l’année courante. Ces cadres s’étaient pourtant fait allouer dans cette même année courante une prime substantielle, qui serait inscrite trois ans plus tard dans le tableau.

Ce mode de présentation différait de celui des organisations comparables dans le marché, selon deux experts consultés, et même des propres règles comptables de la Caisse.

De plus, le tableau de rémunération globale ne présentait pas la valeur de la rente de retraite des cadres, contrairement à ce qui est décrit dans le règlement de la Caisse décrété par le gouvernement du Québec.

Cette année, la Caisse inscrit la prime dans l’année où elle est allouée et le tableau comprend une colonne avec la valeur de la rente de retraite.

Employés et salaires en hausse

Par ailleurs, le rapport annuel d’hier nous apprend que la rémunération moyenne à la Caisse, salaires et avantages sociaux compris, a atteint un sommet de 320 034 $ en 2018. Cette somme est deux fois plus élevé que lorsque Michael Sabia est entré en poste, en 2009.

La Caisse compte maintenant 1178 employés (en hausse de 7,8 % par rapport à l’an dernier) et les charges d’exploitation atteignent 680 millions, ce qui comprend notamment 377 millions de salaires et avantages sociaux et 95 millions de frais de gestion externe. Ces frais de gestion externe sont à un sommet inégalé, en hausse de 9 millions par rapport à 2017 et de 57 millions par rapport à 2016.

La Caisse justifie la hausse de ses charges d’exploitation par sa stratégie de plus en plus tournée vers l’international et les actifs moins liquides, entre autres. Depuis cinq ans, son rendement annuel moyen a été de 8,4 %, ce qui surpasse son indice de référence de 1,3 point de pourcentage.

Les principaux investissements privés

De Montréal à Brisbane, en Australie, la Caisse détient des participations importantes dans des entreprises qui ne divulguent pas publiquement leurs résultats. Voici ses plus importants placements, soit ceux de 1,5 milliard ou plus.

Colonial Pipeline Company

La Caisse de dépôt détient depuis 2011 des intérêts importants dans Colonial Pipeline Company, le plus important oléoduc qui transporte des produits pétroliers raffinés entre Houston, au Texas, et New York. L’investissement original de la Caisse s’élevait à 850 millions US pour une part de 16,55 %. Ses partenaires investisseurs sont entre autres Shell et Koch Capital.

Invenergy Renewables LLC

L’an dernier, la Caisse est devenue le plus important actionnaire d’Invenergy. Établie à Chicago, Invenergy est une entreprise à capital fermé qui produit de l’énergie éolienne et solaire. La Caisse a commencé à investir dans le secteur éolien en 2013, et Invenergy avait été son tout premier choix. Active aux États-Unis, en Europe et au Japon, l’entreprise américaine exploite des parcs éoliens sous contrat avec Hydro-Québec en Gaspésie et à Thetford Mines.

Bombardier Transportation (Investment) UK Limited

Depuis 2016, La Caisse de dépôt détient une part de 30 % dans Bombardier Transportation (Investment) UK Limited, un holding qui détient tous les actifs de Bombardier Transport. Cet investissement peut être converti en actions de Bombardier jusqu’en 2023 à un prix de 1,66 $ par action.

Kiwi Holdco Cayco Ltd. (FNZ)

En 2018, avec la firme Generation Investment Management fondée par Al Gore, la Caisse a investi dans Kiwi Holdco Cayco, une filiale de l’entreprise de technologie financière britannique FNZ. Les deux associés ont acquis une participation majoritaire pour 2,3 milliards US. FNZ avait alors 640 milliards US de fonds sous gestion au Royaume-Uni, en Europe, en Australie et en Asie.

Organización de Proyectos de Infraestructura, S.A.P.I. de C.V. 

Organización de Proyectos de Infraestructura, S.A.P.I. de C.V. est une entreprise mexicaine qui construit et exploite des routes et des autoroutes à péage. L’an dernier, la Caisse a acquis une participation de 38,99 % dans cette entreprise des mains de sa société mère OHL Mexico, spécialisée dans le transport et la gestion aéroportuaire.

QPH Hold Trust (Port de Brisbane)

En 2013, à la suite d’un appel de soumissions, la Caisse de dépôt a acquis une participation de 26,7 % dans le Port de Brisbane, en Australie. Cet investissement est toujours dans son portefeuille. Le port de Brisbane est le troisième port de conteneurs en Australie.

La Caisse, le Québec et la Bourse

La Caisse compte des investissements d'une valeur de plus de 44 milliards au Québec. Voici ses principales participations dans les entreprises d'ici cotées en Bourse, et leur performance en 2018.

Rang       Entreprise     Valeur de l’investissement au 31 décembre 2018

1      CGI      3,6 milliards

Après avoir gagné 22 % en 2018, l’action du spécialiste des services-conseils en technologie de l’information poursuit sur sa lancée. La progression du titre en 2019 atteint déjà 13 %. L’action de CGI a d’ailleurs atteint un record hier à la Bourse de Toronto. La Caisse a réduit sa participation dans CGI en 2018. Elle détenait 3,6 millions d’actions de moins au 1er janvier 2019 par rapport à la même date un an plus tôt.

2      Couche-Tard     2,7 milliards

L’action de la chaîne de dépanneurs de Laval s’est appréciée de 3,5 % en 2018, ce qui n’est pas du tout une mauvaise performance, surtout que le titre affichait une baisse de 20 % à un certain moment durant l’année. Le titre connaît un départ canon en 2019, en hausse de 20 % depuis le 1er janvier. La Caisse n’a pas vendu ni acheté d’actions d’Alimentation Couche-Tard en 2018.

3      SNC-Lavalin      1,6 milliard

La Caisse s’est imposée au capital-actions du cabinet montréalais d’ingénierie en 2018 en achetant un peu plus de 8,6 millions d’actions de SNC-Lavalin durant l’année. Plus important actionnaire de SNC-Lavalin, la Caisse a une participation qui s’élève à quelque 20 %. Après avoir perdu 20 % en 2018, le titre montre un recul de 25 % depuis le début de 2019. L’entreprise devrait savoir d’ici quelques semaines si elle devra avoir un procès relativement aux accusations de fraude et corruption déposées il y a trois ans par la Gendarmerie royale du Canada pour des gestes faits en Libye.

4      CN      1,3 milliard

L’exposition au CN a diminué en 2018. La Caisse a commencé 2019 avec près de 3,2 millions d’actions de moins en portefeuille qu’un an plus tôt. L’action de CN a perdu 2 % de sa valeur en 2018, mais elle s’est déjà appréciée de 22 % jusqu’ici en 2019. La Caisse de dépôt demeure un des dix plus importants actionnaires du transporteur ferroviaire montréalais qui compte par ailleurs Bill Gates comme plus gros actionnaire.

5      Dollarama      544 millions

Plus important actionnaire institutionnel du détaillant montréalais avec une participation de 6 %, la Caisse a vu l’action de Dollarama perdre environ 40 % de sa valeur en 2018. L’année 2019 est toutefois plutôt bien amorcée pour les actionnaires de Dollarama : la progression s’élève à 20 % depuis le début de l’année. Si la croissance des ventes a pu décevoir certains investisseurs l’année dernière, le titre a été la cible d’un militant new-yorkais qui a publié à l’automne un rapport de recherche négatif sur l’entreprise.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.