Santé maladie de lyme

Diagnostic contesté, traitement risqué

Les plus hautes autorités de santé publique du monde s’inquiètent des traitements contre la maladie de Lyme qu’offrent des cliniques privées à des patients qui se sentent abandonnés par le système. Mais la forme chronique de cette infection existe-t-elle vraiment ?

Un dossier de Simon-Olivier Lorange

Santé

Antibiotiques à volonté

La Dre Maureen McShane est à la tête d’une clinique à Plattsburgh, dans l’État de New York. Cette médecin de famille d’origine montréalaise se décrit comme une spécialiste de la maladie de Lyme et, dit-elle, de sa forme chronique.

« Si les résultats de vos tests sont négatifs, cela ne signifie pas que vous n’avez pas la maladie de Lyme. Bien qu’un test positif soit utile, un diagnostic n’est pas basé sur des résultats de test, mais sur vos antécédents et vos symptômes », peut-on lire sur son site web.

Sur l’internet, nombreux sont les témoignages qui louent ses méthodes, fondées notamment sur la prescription d’antibiotiques pendant des mois, voire des années. Et comme sa clinique est située à quelque 90 minutes de voiture de Montréal, elle est populaire chez des patients québécois affligés par d’inexplicables symptômes et qui ne trouvent pas de réponse dans le réseau de santé publique.

Au nord de la frontière, les médecins, eux, sont inquiets. Très inquiets.

Au bout du fil, le Dr Karl Weiss en a long à dire. Pour ce microbiologiste infectiologue réputé, les traitements « agressifs » et prolongés aux antibiotiques que prescrivent des médecins américains à des patients qu’ils disent atteints de la forme chronique de la maladie de Lyme sont non seulement contre-indiqués, ils sont dangereux.

« Si je vous diagnostiquais un cancer et que je vous prescrivais de la chimiothérapie sans faire de tests, vous me diriez que je suis un danger public. Et vous auriez raison. »

— Le Dr Karl Weiss, microbiologiste infectiologue

Et le Dr Weiss n’est pas le seul à penser ainsi. Il y a un an, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis (CDC en anglais) ont publié une longue note dans laquelle ils mettaient le public en garde contre les traitements destinés à combattre cette forme de la maladie que ne reconnaissent pas les autorités médicales américaines, canadiennes et britanniques, entre autres. La France a entrouvert la porte à cette hypothèse en juin dernier, provoquant la colère des infectiologues du pays.

Dans sa communication, les CDC sont catégoriques : « Les études n’ont pas montré que ces traitements mènent à des améliorations substantielles pour les patients », mais en outre, ils peuvent carrément « être nuisibles », voire « entraîner la mort » de ceux et celles qui les subissent.

Les CDC citent l’exemple de cinq patients qui ont eu de graves complications au cours des dernières années. Trois ont frôlé la mort et deux ont succombé à ces complications.

« Je le répète aux étudiants : l’ordonnance médicale, c’est la fin du processus, pas le début, insiste le Dr Weiss. Il faut faire attention avec les antibiotiques et s’assurer que les avantages surpassent les inconvénients en tout temps. »

Parmi les conséquences d’une prise d’antibiotiques prolongée, le Dr Weiss cite, entre autres exemples, des problèmes sanguins et rénaux, une résistance décuplée aux médicaments et la destruction de la flore intestinale.

Réelle d’abord, contestée ensuite

Sous sa forme « classique », la maladie de Lyme est bien réelle, et documentée par la communauté scientifique depuis plus de 40 ans. Au Québec, la Santé publique mène d’ailleurs depuis le début de l’été une campagne de prévention à grande échelle afin de sensibiliser la population à cette infection transmise par les tiques. Selon le ministère de la Santé, du 1er janvier au 18 juillet dernier, 75 cas ont été déclarés par des médecins de la province, dont 24 en Estrie et 19 en Montérégie, les deux principales régions touchées.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a pour sa part produit une carte identifiant les villes où les risques de contracter la maladie sont les plus élevés.

Décelée tôt, par exemple après l’apparition d’une réaction cutanée caractéristique, la maladie peut être maîtrisée assez simplement par un traitement aux antibiotiques de 14 à 21 jours. Si elle n’est pas traitée rapidement, elle peut entraîner de la fatigue extrême et des douleurs arthritiques, mais également des problèmes cardiaques et neurologiques. Là encore, la Santé publique québécoise privilégie un cycle d’antibiotiques, cette fois de 21 à 28 jours.

Dans une petite proportion de cas, les problèmes de santé persistent après des traitements, et ce, bien que les tests validés par les autorités de santé ne décèlent plus de signes de la présence de la bactérie Borrelia burgdorferi dans le sang du patient. L’infection n’y est plus, mais ses dommages, eux, peuvent rester.

C’est ici que la situation se complexifie. Aux yeux des médecins québécois, ces personnes n’ont plus la maladie de Lyme ; on leur refuse donc de nouveaux cycles d’antibiotiques, au grand désespoir de groupes de patients – notamment l’Association québécoise de la maladie de Lyme (AQML).

L’AQML milite pour que les médecins puissent diagnostiquer la maladie en l’absence de test positif, comme l’a expliqué à La Presse sa présidente Annie Roussy.

L’AQML veut que soit reconnue la forme « chronique » de la maladie, qui fait l’objet d’un débat complexe. Des patients qui n’ont jamais reçu de diagnostic de Lyme s’en disent également atteints, après qu’aucun spécialiste du système de santé québécois n’a pu expliquer certains symptômes dont ils souffrent – notamment des douleurs arthritiques, des maux de tête aigus ou des problèmes cardiaques.

La théorie de la maladie de Lyme chronique est aussi défendue par l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS), organisation sans but lucratif qui rejette énergiquement les recommandations des autorités de santé américaines dans le traitement des maladies infectieuses.

Le dossier est si sensible que trois spécialistes québécois, souvent cités pour leur expertise sur la maladie de Lyme, ont décliné nos demandes d’entrevue pour éviter les représailles de regroupements de patients. L’un d’eux aurait même fait l’objet de menaces par le passé.

Pommes de discorde

Deux éléments – et pas les moindres – sont au cœur de la discorde, à savoir le diagnostic et les traitements de la forme « chronique » de la maladie de Lyme.

Sur le plan diagnostique, Québec et Ottawa calquent leurs standards sur ceux des CDC, qui recommandent deux techniques de validation successives, ainsi qu’une interprétation précise de ces tests. Ceux-ci permettent non pas d’identifier la bactérie elle-même, mais de déceler la présence d’anticorps contre la maladie dans l’organisme du patient.

« Nous avons l’obligation d’utiliser des tests validés, et le plus performant est celui qu’on pratique au Québec, au Canada et aux États-Unis, qui est sensiblement le même qu’en Europe », explique Karine Thivierge, parasitologiste et microbiologiste au Laboratoire de santé publique du Québec.

« Mais aucun test n’est parfait », nuance-t-elle.

Insatisfaits de se buter à un diagnostic négatif, des patients se tournent alors vers des cliniques et des laboratoires privés au sud de la frontière, sinon en Europe. Ceux-ci procéderont à des tests différents ou proposeront une analyse « alternative » des résultats obtenus ici.

« [Ces cliniques], il n’y en a pas tant que ça, mais on les connaît… », souligne Karine Thivierge.

Résultat positif en main, les patients québécois se font alors soigner dans des cliniques privées, parfois au prix de dizaines de milliers de dollars. La Dre Maureen McShane, qui n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue dans le cadre de ce reportage, est au nombre des médecins qui fondent leur pratique sur ces analyses alternatives.

« Ils vous disent que vous souffrez d’une maladie avec un nom et vous proposent un traitement : c’est dans la nature humaine d’y trouver du réconfort », fait remarquer le Dr Weiss, qui soulève aussi le danger de cesser de chercher la maladie dont souffrent véritablement les personnes traitées à tort pour la maladie de Lyme.

Joignant sa voix au ministère de la Santé qui met les Québécois en garde contre le « tourisme médical », le Dr Weiss ne blâme néanmoins pas celles et ceux qui, faute d’une réponse aux maux qui les affligent, partent chercher un diagnostic ailleurs.

« Pour les malades chroniques, c’est très frustrant de se faire dire qu’ils ne sont pas malades, souligne-t-il. Il ne faut jamais minimiser l’état des gens. »

« Mais d’un autre côté, poursuit-il, quand ils n’ont pas la maladie de Lyme, on n’a pas d’autre choix que de leur dire. »

Santé

Des patients à bout de souffle

Maladie de Lyme ou pas, les patients qui se disent atteints de sa forme chronique vivent un enfer qui est bien réel. La Presse retrace le parcours de trois d’entre eux.

François

À la fin de l’année 2016, François* commence à souffrir de maux de tête, de raideurs et de fièvre au retour d’un voyage en Europe. Le colosse de 6 pi 3 po, au début de la vingtaine, se voit rapidement dépérir. Douleurs articulaires et troubles cognitifs se mettent de la partie. Il consulte une batterie d’experts – neurologue, otorhinolaryngologiste (ORL), microbiologiste… Tous les tests qu’il passe sont négatifs. « Il se fait dire : t’es en santé, c’est dans ta tête, tu peux retourner chez vous », raconte son père.

Après des recherches, la famille se demande si la maladie de Lyme ne pourrait pas être en cause. François se rend aux États-Unis, à la clinique du Dr Ronald Stram, à Albany dans l’État de New York. Nous voilà en mai 2018. Le test est positif, bien que le jeune homme n’ait pas souvenir d’avoir été piqué par une tique.

Le père de François affirme que son fils est enfin « entre bonnes mains ».

« Je ne sais plus combien de médecins on a vus au Québec, au public, au privé, mais toutes les portes se sont refermées. On a reçu à peu près zéro assistance », rapporte le paternel.

Voilà que François s’est livré à cinq semaines d’un traitement intensif aux antibiotiques censé s’étirer sur deux semaines additionnelles. Ses parents, qui l’épaulent depuis le premier jour, estiment avoir dépensé quelque 50 000 $ jusqu’ici pour ses traitements.

« Si on avait accepté les réponses des premiers médecins, mon état ne se serait pas amélioré, juge François. J’avais besoin d’une petite tape dans le dos, ça me donne de quoi à m’accrocher. Mais ce n’est pas facile. »

Véronique

Le chemin de croix de Véronique* ressemble à celui de François. Au retour d’un voyage à Cuba en mars 2016, elle éprouve des douleurs à la poitrine. Celles-ci dégénèrent en maux de tête et de cou. Elle consulte plus d’une dizaine de spécialistes et passe des tests pour la maladie de Lyme : à quatre reprises, le test se révèle négatif.

Des problèmes neurologiques font leur apparition et une fatigue extrême l’envahit. Jusque-là hyper sportive, elle n’a désormais plus aucune énergie. « J’étais même trop fatiguée pour me laver les cheveux assise dans la douche », se rappelle la femme au début de la quarantaine.

Fin 2017, elle dépérit à vue d’œil. « Tous les médecins me regardaient avec des points d’interrogation dans les yeux. » Un médecin évoque finalement la possibilité de la maladie de Lyme.

La liste de ses symptômes concorde parfaitement avec la documentation qu’elle trouve en ligne sur la forme chronique de la maladie de Lyme. Au printemps 2018, elle communique donc avec la Dre Maureen McShane, Montréalaise qui pratique à Plattsburgh.

Voilà un mois que ses traitements ont commencé. « Ma vie a changé », dit-elle, devant l’amélioration manifeste de son état. Elle est encore loin du but, mais peu à peu, elle réussit à reprendre des activités qu’elle avait dû abandonner.

La Dre McShane lui a prescrit un régime strict – sans gluten, levures, sucre, alcool ou produits laitiers – ainsi que des suppléments. Et un cycle d’antibiotiques censé durer « trois mois minimum ».

« C’est sûr que je suis sceptique, que j’ai peur de prendre des antibiotiques pour rien… Est-ce que je suis désespérée? Absolument. Mais pour le moment, ça fonctionne, alors je n’arrêterai pas. »

*Noms fictifs : François et Véronique ont préféré ne pas être nommés, craignant de s’aliéner les médecins qui les suivent au Québec.

Line

Line Nantel, résidante d’Orford, en Estrie, reçoit en 2014 un diagnostic de fibromyalgie sévère.

Néanmoins, en visite chez sa sœur en Californie, la dame dans la soixantaine consulte un médecin, qui évoque la maladie de Lyme. Elle n’a pas souvenir d’avoir été piquée par une tique, mais passe néanmoins un test par l’entremise du laboratoire IGeneX. Le verdict : positif.

Mme Nantel amorce alors des démarches pour se faire soigner en Allemagne, où on lui administre une thérapie d’hyperthermie. Cette technique sous anesthésie consiste à élever la température du corps à un haut niveau pour tuer les cellules indésirables en épargnant les cellules viables. Le traitement fait l’objet d’expérimentations aux États-Unis dans la lutte contre le cancer, mais peu ou pas de sources l’associent au traitement de la maladie de Lyme. Coût de cette aventure : 60 000 $,

Un nouveau test aurait par la suite révélé que la maladie avait disparu. Or Mme Nantel affirme que la maladie est aujourd’hui de retour, et avec elle, bon nombre de co-infections.

La voix affaiblie au bout du fil, elle se dit au plus mal. Elle mène désormais un nouveau combat, alors qu’elle a rapporté sa situation au commissaire aux plaintes et à la qualité des services au CIUSSS de l’Estrie–CHUS.

Après avoir vu une série de médecins au cours des dernières années, elle affirme avoir demandé de consulter de nouveau un spécialiste, ce qu’on lui aurait refusé étant donné qu’il n’y avait « rien de neuf » dans son dossier.

Pour Mme Nantel, c’en était trop. « C’est un refus de soin, tranche-t-elle. Si les médecins ne peuvent pas nous aider, qui va le faire? »

Santé

Positif quasi garanti

Le laboratoire californien IGeneX est en quelque sorte la Mecque des tests privés de dépistage de la maladie de Lyme aux États-Unis.

Fondé en 1991 par Nick Harris, IGeneX clame ouvertement sur son site web avoir développé à l’interne ses propres critères de détection de la maladie de Lyme « en se basant sur des décennies de preuves et d’études de validation ».

Mais voilà, une étude publiée en 2014 par une équipe de chercheurs de l’Université Columbia, a comparé les résultats obtenus par quatre laboratoires utilisant différentes méthodologies. L’un d’eux, qui utilisait les mêmes critères d’évaluation qu’IGeneX, a engendré un taux de faux positifs de 57,5 %.

M. Harris a également contribué à fonder l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS), organisme sans but lucratif qui dénonce le test à deux paliers préconisé aux États-Unis et au Canada, estimant que cette méthode laisse trop de malades en plan.

Interprétations divergentes

La Presse a pu consulter les résultats de tests menés par IGeneX pour un patient québécois en traitement dans une clinique de l’État de New York.

Nous avons demandé à Karine Thivierge, parasitologiste et microbiologiste au Laboratoire de santé publique du Québec, de nous aider à déchiffrer ce rapport complexe.

Le patient s’est prêté aux deux techniques de confirmation reconnues au Canada et aux États-Unis, soit les tests ELISA et WesternBlot

Le premier, ELISA, est montré du doigt par les critiques qui lui reprochent de générer trop de faux négatifs. Or, selon Mme Thivierge, c’est plutôt le contraire qui se produit.

« [ELISA] est un test de dépistage très, très sensible. Ça veut dire qu’il va être positif pour des gens qui n’ont pas la bactérie. C’est pourquoi il faut valider avec un second test. »

— Karine Thivierge, parasitologiste et microbiologiste

Le test ELISA de notre patient québécois s’est révélé négatif. Aux yeux de la Santé publique québécoise, l’investigation pour la maladie de Lyme aurait dû s’arrêter là. Il a néanmoins passé le second test, le Western Blot.

C’est au moment d’interpréter les résultats de celui-ci que les divergences apparaissent.

En résumé, les autorités de santé américaines, canadiennes et québécoises doivent constater au moins cinq indicateurs (sur une possibilité de 10) pour conclure à un diagnostic de maladie de Lyme. Le test de notre patient n’en révélait que trois.

Le laboratoire IGeneX propose quant à lui sa propre interprétation, fondée en partie sur des indicateurs différents, mais aussi moins nombreux.

Dans son rapport, la société prend néanmoins soin de décliner ses résultats selon les deux échelles de critères. Ainsi, notre patient est atteint de la maladie de Lyme selon les standards d’IGeneX, mais pas selon ceux des CDC, référence américaine en la matière.

Pour Karine Thivierge, à la lumière de deux tests négatifs, ce patient n’a pas la maladie de Lyme. Un constat renforcé par le fait que le Western Blot a été réalisé plusieurs mois après le début des symptômes, ce qui a laissé à l’organisme le temps de produire des anticorps qui pourront être détectés.

Le patient fait toutefois l’objet d’un traitement intensif aux États-Unis.

Autre laboratoire controversé

IGeneX n’est pas le seul laboratoire dont les conclusions font sourciller les scientifiques.

Dans un article publié il y a quelques jours dans le journal La Tribune, la directrice générale de la clinique de dépistage sherbrookoise PreLev, Julie Beauregard, affirmait envoyer des prélèvements au laboratoire allemand BCA-lab, en Allemagne, dans le but d’« aider des gens qui cherchent depuis un moment sans jamais trouver quel problème de santé ils ont réellement ».

Or BCA-lab, qui n’utilise pas les mêmes méthodes d’analyse qu’au Québec, a fait l’objet l’an dernier d’un reportage de la télévision danoise, dans lequel des journalistes en parfaite santé ont obtenu un diagnostic positif de la maladie de Lyme.

En entrevue avec La Presse, Mme Beauregard a d’abord confié qu’elle avait délibérément écarté IGeneX de ses fournisseurs vu ses antécédents de tests positifs en série, mais elle a ajouté avoir toujours confiance en l’expertise de BCA-lab. Elle évoque notamment le questionnaire rigoureux que les patients doivent remplir avec une infirmière chez PreLev avant de savoir s’ils auront accès ou non au test coûteux de BCA-lab (plus de 1000 $).

Elle souligne également que le laboratoire allemand ne renvoie pas que des tests positifs, ce qui augmente sa confiance envers lui.

Santé

Et maintenant ?

Comment aborder la suite du débat sur l’existence de la forme chronique de la maladie de Lyme ? Bilan en six points.

Patients désespérés

Bien que les médecins québécois maintiennent que la forme chronique de la maladie de Lyme n’existe pas, des patients souffrant de violents symptômes consultent parfois plus d’une dizaine de spécialistes et se prêtent à une batterie de tests qui les laissent sans réponse pour expliquer les maux qui les affligent. « On a d’excellents médecins au Québec, mais ils ne se parlent pas », déplore Véronique, citée plus tôt dans ce reportage et actuellement en traitement aux États-Unis. « J’ai consulté plein de spécialistes pour plein de symptômes, mais jamais un spécialiste n’en a appelé un autre. J’avais l’impression d’être laissée seule à mourir chez moi. Je ne souhaite ça à personne. »

Québec « sensible »

La Presse a tenté, sans succès, de s’entretenir avec le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette et la ministre déléguée à la Santé publique Lucie Charlebois au sujet de ces patients laissés sans réponse. Dans un courriel, le Ministère a souligné être « sensible à la réalité de ces personnes » et qu’il était de son devoir « d’offrir des traitements reconnus comme étant efficaces, pour des diagnostics reconnus par la communauté scientifique ». Québec reconnaît que « les symptômes de ces personnes sont bien réels », mais qu’il « ne développe pas de protocoles de traitement pour la prise en charge des cas », qui relèvent des médecins. Dans un courriel, le Collège des médecins a quant à lui indiqué à La Presse qu’il attendait de ses membres qu’ils appliquent « les recommandations reconnues émises par les sociétés savantes ».

De quoi souffrent donc ces personnes ?

Pour le microbiologiste et infectiologue Karl Weiss, il revient en effet aux médecins de prendre le temps d’exposer aux patients la réalité de la maladie de Lyme. La tâche n’est toutefois pas simple devant des symptômes non spécifiques, qui peuvent être attribuables à d’autres maladies difficiles à déceler. « Il faut expliquer aux gens qu’on n’est pas là pour les rejeter, au contraire, dit-il. On a eu les mêmes défis par le passé avec le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie. »

Succès mitigés

Une étude décrite en 2016 dans le prestigieux New England Journal of Medicine a prouvé qu’un traitement aux antibiotiques administré pendant une longue durée à des patients présentant des symptômes attribués à la maladie de Lyme n’avait pas davantage d’effet bénéfique à long terme qu’un placebo. Sur l’internet, toutefois, nombreux sont les témoignages de patients qui disent avoir retrouvé la santé après ces traitements prolongés. Pour Karine Thivierge, du Laboratoire de santé publique du Québec, il ne faut pas sauter aux conclusions pour autant. « Oui, il y a des cas d’exception de gens pour qui ç’a bien fonctionné, convient-elle. Mais est-ce que parce qu’ils souffraient d’une autre infection ? Les antibiotiques ne ciblent pas nécessairement une seule chose. »

Recommandations en 2019

« L’ambiguïté autour de l’existence de la forme chronique de la maladie de Lyme » est toutefois au nombre des éléments qu’a pour mission d’éclaircir l’INESSS, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux, chargé par Québec de formuler des recommandations aux professionnels de la santé d’ici le printemps prochain. Tests de dépistage, signes précurseurs, symptômes, prise en charge, traitements, suivis : rien ne sera laissé au hasard, promet Sylvie Bouchard, de la Direction du médicament à l’INESSS.

L’exemple français

En juin dernier, la Haute Autorité de santé, équivalent français de notre Santé publique, a publié sa Recommandation de bonne pratique – Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques, un document rédigé notamment après une consultation de chercheurs, mais aussi de cinq associations de patients. Pour la première fois, on y nomme un(e) « Symptomatologie /syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique », ou SPPT, qu’on propose d’étudier au cours des prochaines années. Sans le nommer, ce terme résume essentiellement le concept de forme chronique de la maladie. Mais le SPPT a surtout fait bondir les infectiologues français, qui, dans un communiqué incendiaire, ont rappelé que ce concept « n’exist[ait] pas dans la littérature internationale et pourrait conduire à des excès de diagnostics susceptibles d’orienter les patients vers des prises en charge inadéquates ».

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