OPINION

ÉNERGIE
Hydro One, modèle de privatisation ?

La seule hypothèse permettant de justifier une telle privatisation partielle d’un actif public repose sur une démonstration qui n’est pas facile ni vraiment plausible

Les dirigeants et les membres du conseil d’administration d’Hydro One s’inquiètent à juste titre des résultats des élections ontariennes du 7 juin prochain.

Cette société ontarienne équivalente d’Hydro-Québec a été partiellement privatisée en novembre 2015, faisant du gouvernement ontarien un actionnaire minoritaire à hauteur de 47,4 % des votes.

Le candidat en avance, Doug Ford (conservateurs), s’est engagé à congédier le PDG et tout le conseil d’Hydro One. Pour sa part, la candidate du NPD Andrea Horwath, en montée dans les sondages, ne veut rien de moins que renationaliser Hydro One et baisser la facture de 30 %…

Au cours des deux dernières années, le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a recueilli près de 7 milliards de la vente de 53 % des actions, cette somme devant servir à réduire la dette de l’Ontario et à investir dans la modernisation de ses infrastructures.

Maintenant et pour toujours, Hydro One devra verser près de 300 millions en dividendes aux actionnaires investisseurs externes, une somme qui augmentera au fur des augmentations des profits. En effet, Hydro One s’est donné comme politique de distribuer comme dividendes de 70 à 80 % de ses bénéfices.

Puis, comme l’entreprise n’est plus une société d’État, elle doit payer des impôts – environ 15 % des profits – notamment au gouvernement fédéral. La facture fiscale annuelle s’élève à environ 130 millions depuis 2016.

Tous les chefs de partis ontariens, incluant Mme Wynne, promettent aux électeurs une croissance beaucoup plus modérée des tarifs d’électricité en Ontario, ceux-ci ayant affiché la plus forte progression en Amérique du Nord.

Dans ses présentations aux investisseurs, la direction promet une croissance annuelle de 5 % de la base tarifaire pour la période 2018-2022. L’appui politique et réglementaire à une pareille hausse ne semble pas acquis ni même probable dans le contexte actuel.

Étant devenue une société avec actionnaires en majorité privés et listée à la Bourse de Toronto, Hydro One a calqué la rémunération des dirigeants sur ce qui se fait et se paie dans le secteur privé. C’est ainsi que le PDG reçoit une rémunération de 6,2 millions pour 2017, un montant « normal » pour le secteur privé, mais scandaleux pour une société dont le gouvernement ontarien détient 47,4 % des votes. (C’est huit fois le salaire payé l’an dernier au PDG d’Hydro-Québec.)

Société cotée en Bourse dont les dirigeants sont payés surtout en actions et bientôt en options sur le titre, Hydro One doit convaincre les marchés financiers de ses perspectives de croissance des revenus et des bénéfices par action. Une recette éprouvée pour atteindre cet objectif à court terme consiste en des acquisitions.

Voulant devenir, selon l’expression de M. Schmidt, le PDG d’Hydro One, « le principal service public d’Amérique du Nord », la société a convenu, en juillet dernier, de payer 6,7 milliards pour l’entreprise Avista Corp dont les actifs sont répartis dans au moins quatre États américains du Nord-Ouest (dont l’Alaska) et dans une demi-douzaine de formes d’énergie.

Cependant les marchés financiers demeurent inquiets de l’impact de cette transaction, mais la direction saura-t-elle les convaincre que cette acquisition va favoriser le bénéfice par action d’Hydro One ? L’action de l’entreprise émise autour de 22 $ fut bien accueillie au début, avec un pic de 26 $, mais à partir du début de 2016, le titre n’a cessé de reculer, et a glissé la semaine dernière sous le plancher des 19 $.

Une société hybride comme Hydro One ne doit jamais oublier que les gouvernements, encore actionnaires importants, sont responsables devant les consommateurs et que ceux-ci sont très réticents à assumer des hausses tarifaires provenant de l’exploitation privée d’actifs dont ils ont la profonde conviction qu’ils leur appartiennent.

La seule hypothèse permettant de justifier une telle privatisation partielle d’un actif public repose sur une démonstration qui n’est pas facile ni vraiment plausible : la société partiellement privatisée deviendra beaucoup plus efficace et efficiente que sous l’ancien régime, de telle sorte qu’elle pourra offrir une réduction (ou du moins une stabilité) des tarifs à sa clientèle, tout en satisfaisant aux attentes de ses actionnaires par une augmentation des dividendes (et sans encourir de problèmes syndicaux en conséquence du resserrement de tous les frais d’exploitation). Hydro Ontario est bien loin d’avoir fait cette démonstration.

* Ce texte n’engage que ses deux auteurs

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