Enseignement

S’enfuir pour sauver sa peau

« Tu es courageuse. » C’est ce que m’ont dit mes collègues en enseignement lorsqu’ils ont appris que je prenais une pause de l’enseignement. Du courage ? Ce n’est pas ce que je ressens. Plutôt de la honte. Honte d’abandonner mes élèves. Honte de ne pas avoir tenu le coup. Parce que c’est ça qu’on fait, comme prof. On tient le coup. Tant qu’on peut. Tant que notre santé nous le permet. 

C’est qu’on croit à ce que l’on fait. On croit à l’éducation comme base de la société. Base de la vie moderne. Vous seriez où, vous, sans être passé par l’école ? Sans savoir ni lire ni écrire ? C’est grâce à des enseignants que vous me lisez aujourd’hui. Une vocation ? Tu parles ! Selon la définition, une vocation est un penchant, une inclination pour une profession. Donner son cœur et son corps, comme le fait l’enseignant, c’est de l’amour. Dans ce cas-ci, l’amour pour son prochain. 

Alors, aujourd’hui, je suis en peine d’amour. Je l’aime, mon métier. J’aime être entourée de jeunes, participer à leur avenir. Ils n’en sont pas toujours conscients à 100 %, mais ils savent bien qu’ils ont besoin de l’école pour accomplir leurs rêves. Et je participe à ça, pas par sentiment d’héroïsme, plutôt par croyance. Ma religion, c’est l’éducation. 

Mais avec les années, c’est devenu de plus en plus difficile. Trop d’élèves avec des besoins particuliers. Aucune formation pour m’aider. 

J’ai vu arriver dans ma classe des dyslexiques, des dysorthographiques, des TDA/H, des élèves atteints du syndrome Gilles de la Tourette ou d’autres faisant partie du spectre de l’autisme. Certains qui consommaient, buvaient, ne voyaient pas leurs parents toutes les semaines. Et puis, les ordinaires. Ceux qui n’ont juste pas envie d’aller à l’école, qui trouvent ça plate. On ne me donne pas de formation pour les aider, mais on me surveille de près. La gestion par les résultats que ça s’appelle. 

— Mme Dufault, vous avez plusieurs élèves en bas de 60 %. Qu’allez-vous faire pour augmenter ces résultats ? 

— Comme d’habitude, M. le directeur. Fouiller sur internet pour apprendre davantage sur ces diagnostics. Me creuser les méninges pour trouver de nouvelles façons d’expliquer. Échanger avec mes collègues. Négliger ma famille les soirs et les fins de semaine pour concevoir des projets intéressants. Tout en gardant le sourire !

***

J’ai juste une tête et deux bras. Il m’en faudrait le triple. Demander de l’aide revient à se faire montrer du doigt.

Je lâche prise. Épuisée. Mal partout. Et j’ai tellement de peine…

C’est du courage que de s’enfuir pour sauver sa peau ?

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