métro de Montréal

Destination : Côte d’Azur… pardon, Côte-Vertu !

La gadoue recouvre les rues de la métropole, le soleil se couche encore tôt et c’est un lundi soir à l’heure de pointe. Qu’est-ce qui peut bien faire rire les gens et les encourager à se parler entre eux dans le métro de Montréal ? L’opérateur de métro et artiste dans l’âme Luc Dallaire y est pour beaucoup, comme l’a constaté La Presse en montant avec lui le temps d’un trajet.

Sauvé

« Bienvenue à bord du vol 242 à destination de Côte d’Azur… pardon, Côte-Vertu. Il fait un beau 24 degrés à Montréal… dans le métro ! Il fait toujours beau dans le métro ! Passez un bon voyage. » Il n’y a pas de doute, Luc Dallaire est au poste. L’opérateur ajoute l’heure d’arrivée à destination, « si les vents sont favorables », puis quitte la station dès qu’il obtient « l’autorisation de la tour de contrôle ». Ce coloré employé de la Société de transport de Montréal (STM) vient de commencer son quart de travail et son enthousiasme est à son paroxysme. Opérateur de métro depuis deux ans, l’homme a transposé au réseau souterrain une façon de faire qu’il avait adoptée lorsqu’il était chauffeur d’autobus sur le chemin de la Côte-des-Neiges, quand il chantait le nom des rues en arrivant aux arrêts. Comble de chance, la STM encourage depuis peu ses opérateurs de métro à parler aux clients pour les tenir au courant de l’état du réseau. L’opérateur de métro ne s’est pas fait prier pour faire entendre sa voix.

Crémazie

Juste avant d’entrer à la station, Luc Dallaire y va d’une petite visite guidée des entrailles de la ligne orange. Il aime l’espace entre les stations Sauvé et Crémazie, où se trouvent six aiguillages, une voie de plus, une fosse d’entretien. « À votre droite, la voie numéro 3 qui provient de l’usine Crémazie. Vous pourrez admirer la fosse d’entretien, qui permet d’examiner le dessous des trains », dit-il aux passagers.

Jarry

À la station du quartier Villeray, Luc Dallaire invite les gens à dire plusieurs fois de suite et rapidement « Rivaja ». « Arrive à Jarry » sera normalement entendu, mais Luc Dallaire admet que c’est un peu tiré par les cheveux. « J’ai peur que les gens ne la comprennent pas, alors je ne la fais pas trop souvent. Je ne veux pas passer pour un fou non plus », dit-il en riant.

Mont-Royal

Parce que Mont-Royal rime avec carnaval, l’ancien ingénieur fait un pot-pourri avec la chanson thème du Carnaval de Québec et celle du défunt Carnaval-souvenir de Chicoutimi. « Mont-Royal, c’est spécial, c’est génial ! Carnaval, festival, tour de bal », chante-t-il. Une passagère rit de bon cœur. « Dans le métro, j’essaie de chanter juste quand j’ouvre les portes pour ne pas trop tomber sur les nerfs du monde », dit Luc Dallaire. Dans le wagon, personne ne semble exaspéré, même si l’opérateur a eu vent de quelques plaintes par le passé, dont une cliente qui le trouvait trop bavard. En fin de journée, hier, ils étaient nombreux à s’avancer vers sa cabine pour lui faire un signe en guise de remerciement. Ils sont en bien plus grand nombre que ceux qui se plaignent, se réjouit l’employé de la STM.

Berri-UQAM

Employée d’une entreprise de télécommunications, Jacinthe Petit passe ses journées à recevoir les appels de clients mécontents. Le voyage avec Luc Dallaire a fait son bonheur. « Il mérite d’être reconnu, il a égayé la fin de ma journée », dit-elle avant de sortir du wagon. Pendant ce temps à cette station fort occupée, Luc Dallaire chante « on se bouge le train », une composition de son cru, pour encourager les passagers à dégager les portes. Il entonne ensuite I Like to Move It, tirée du film d’animation Madagascar. « Mon fils et ma fille, qui sont bons dans le rythme, me disent que je ne l’ai pas pantoute. Sauf que l’essence est là, on la connaît. J’ai du fun à Berri ! »

Champ-de-Mars

Deux femmes arrivent au pas de course dans le train. « Oh, Johanne et Isabelle sont rentrées à la dernière minute, j’ai eu peur qu’elles se fassent couper en deux », commente l’opérateur. Luc Dallaire n’en manque pas une pour rappeler aux passagers de faire preuve de civisme – « on laisse de la place à nos amis » –, de bien dégager les portes, de se tenir fermement pour ne pas tomber.

Square-Victoria –OACI

« Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire OACI ? Organisation américaine des coyotes indigènes ? Non ! Je vous donne la réponse en bout du quai ! » Luc Dallaire aime faire des quiz, à ce point qu’il fait voter les passagers à main levée pour qu’ils devinent quelle voie empruntera le train à son arrivée à la station Montmorency, à Laval. La voie de gauche ou celle de droite ? « Les gens participent, ils pensent que je les vois », dit-il. Pourtant, même lui ne sait pas de quel côté ira son train, et ça change à chaque trajet. N’empêche, c’est son moment préféré d’entre tous.

Villa-Maria

Ici, Luc Dallaire reprend l’air d’un grand classique, l’Ave Maria, pour chanter le nom de la station. Des gens qui viennent d’entrer relèvent la tête, visiblement intrigués. Fort heureusement pour les oreilles des passagers, l’homme de 62 ans a suivi des cours de chant pendant quatre ans. « Je suis un artiste », dit celui qui est aussi acteur et photographe amateur. La station Laurier est elle aussi une belle occasion de pousser la chansonnette : « Laurier… on s’était vu sur Laurier, on s’est revu sur l’oreiller », dit en substance la chanson composée par l’opérateur.

Côte-Vertu

Rien ne fait plus plaisir à Luc Dallaire que lorsqu’il se fait dire par un passager qu’il a changé sa journée. Hier soir, Marie-France Bromhorst s’est justement avancée jusqu’à sa cabine pour le saluer. Elle est visiblement enchantée. « Au début, ça surprend, et les gens sont étonnés. Mais après, c’est agréable ! Je me croyais en avion, je suis partie en voyage ! On va vivre le retour à la réalité en sortant dehors », dit-elle en se dirigeant vers l’extérieur.

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