Application de traçage

Ottawa donne le feu vert, Québec consulte

Québec — Ottawa donne le feu vert au déploiement de son application Alerte COVID, qui permettra à ses abonnés de savoir s’ils ont été en contact rapproché avec une personne atteinte de la COVID-19. L’Ontario accepte de l’utiliser d’abord, tandis que le Québec consulte jusqu’à dimanche la population pour sonder son intérêt.

Alerte COVID est un outil supplémentaire pour faciliter le retraçage d’individus qui ont été en contact avec un cas positif, a fait valoir vendredi le premier ministre Justin Trudeau, qui a indiqué l’avoir lui-même déjà téléchargé. « Je vous encourage à faire la même chose », a-t-il lancé en conférence de presse.

L’adhésion est volontaire, a rappelé le premier ministre.

Au Québec, le gouvernement Legault n’a pas encore tranché si une telle application serait déployée. Québec tient d’abord une consultation en ligne sur la question et plusieurs experts en intelligence artificielle notamment seront entendus en commission parlementaire, à la mi-août. Des sondages internes seront aussi menés.

« On ne souhaite pas se lancer dans cette aventure-là s’il n’y a pas un appui significatif de la population. »

— Éric Caire, ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale

« On n’est pas dans une dynamique où l’on veut enfoncer cette solution-là dans la gorge des gens, parce que ça ne marchera pas », a assuré le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire.

Le gouvernement Ford sera donc la première province à utiliser Alerte COVID et les discussions avec les provinces se poursuivent, a expliqué M. Trudeau, disant souhaiter que le plus de provinces et territoires possible emboîtent le pas à l’Ontario. L’Alberta a, quant à elle, lancé déjà sa propre application de traçage au début de mai.

« On s’attend que les provinces de l’Atlantique fassent partie de l’application [fédérale] très rapidement », a précisé M. Trudeau.

Système de notification

Le fonctionnement est relativement simple : vous recevrez une notification si vous avez été en contact – à moins de deux mètres et pendant au moins 15 minutes – avec quelqu’un qui a été déclaré positif à la COVID-19. On vous informera que vous êtes à risque d’être infecté et vous serez « orienté » vers la Santé publique.

C’est la technologie Bluetooth qui, selon l’intensité du signal, pourra déterminer si vous avez été en contact étroit avec la personne contaminée. Lorsque l’on télécharge l’application (dans l’App Store ou le Google Play), des « codes aléatoires » sont créés et échangés entre les utilisateurs lorsqu’ils se trouvent à proximité.

Si une personne obtient un résultat positif à la COVID-19, les autorités de santé publique lui transmettront un « code unique » qu’elle pourra saisir dans son appareil mobile. C’est à ce moment que toutes les personnes ayant été en contact avec cette personne lors des 14 derniers jours recevront la notification.

Il faut évidemment posséder l’application pour recevoir l’alerte.

Sécuritaire, assure Trudeau

Le premier ministre Trudeau assure que l’application « ne partage pas les informations personnelles » de l’usager. « C’est une combinaison de protection absolue de la vie privée tout en permettant aux gens de faire des choix pour aider leurs communautés », a-t-il martelé. De plus, aucune donnée de localisation ne sera stockée.

Tant le Commissariat à l’information et à la vie privée du Canada que celui de l’Ontario ont aussi dit « soutenir » l’utilisation de l’application. Après examen, ils estiment que « tous les principes » de protection de la vie privée et des renseignements personnels « sont respectés » avec Alerte COVID.

Pas de compromis, dit Caire

Le ministre Éric Caire n’a pas l’intention de faire de compromis sur la sécurité des Québécois, si le gouvernement choisit d’aller de l’avant. En entrevue à La Presse, il a dit qu’il ne « voulait rien savoir » d’une application qui utiliserait la géolocalisation ou des paramètres biométriques, ou qui stockerait des informations personnelles.

« On parlerait d’application de notification de contact, il n’y a pas d’autres utilités que celle-là », a-t-il précisé. L’application choisie éventuellement sera aussi « testée » par le centre gouvernemental de cyberdéfense, qui utiliserait alors « tous les moyens nécessaires pour la traverser, la pirater », soutient le ministre.

Si Québec donne à son tour le feu vert, on vise que l’application soit déployée à la mi-septembre. Un « appel de solutions » pourrait être lancé après les consultations.

Il n’est pas exclu non plus que Québec opte pour la solution d’Ottawa. « On ne ferme pas la porte à ça, mais […] on n’en est pas à choisir une application, on en est à décider si oui ou non on va passer à cette étape », a nuancé M. Caire.

La participation, la clé

Pour que ce genre d’application de traçage contribue réellement à prévenir la contamination, il faut qu’un maximum de personnes l’utilisent, explique le ministre. « On aurait beau avoir une application extraordinaire, si les gens ne la téléchargent pas, ça ne donne rien. Il faut que les gens embarquent de façon significative », dit-il.

Mais quel devrait être le taux d’adhésion pour obtenir des résultats ? « C’est ce genre de questions qui seront posées en commission parlementaire », répond M. Caire.

Le taux minimal d’adoption d’une application de traçage doit être d’environ 56 % pour qu’elle soit efficace, selon une étude récente de l’Université d’Oxford.

Aucun pays qui a déployé ce genre d’outil n’a atteint ce taux. La France est devenue l’exemple parfait d’une implantation ratée, avec un taux d’adhésion de 2 %.

« À ma connaissance, on n’a, aujourd’hui, aucun contexte qui permet de montrer l’efficacité d’une application, quelle qu’elle soit », souligne la professeure en intelligence artificielle à l’UQAM, coordonnatrice d’HumanIA et directrice scientifique de Calcul Québec, Marie-Jean Meurs, qui participera d’ailleurs à la commission parlementaire.

« De tous les exemples lancés à travers le monde, aucune information scientifique n’est clairement mesurée et disponible concernant l’efficacité, en termes de santé, d’une telle application. Quel est le pourcentage d’adhésion pour qu’elle soit efficace ? Il faudrait d’abord définir ce qu’est une application efficace », dit-elle.

M. Caire assure qu’il va devoir « y avoir un corollaire » entre les résultats de la consultation en ligne, les sondages et le « taux d’adhésion qui serait éventuellement fixé par les experts » lors de la prise de décision. Si le gouvernement « a la certitude » qu’il ne sera pas capable d’obtenir un taux d’adhésion suffisant, il n’ira pas de l’avant, dit-il.

L’opposition préoccupée

Les partis de l’opposition à Québec sont particulièrement préoccupés par le déploiement éventuel d’une telle application. « La liberté et la vie privée sont des droits fondamentaux », rappelle la députée libérale Marwah Rizqy. « Je pense que la COVID-19 a le dos large, il ne faut pas tourner les coins rond, au contraire. Je n’ai rien contre les nouvelles technologies, mais encore faut-il connaître l’entièreté du dossier. » Québec solidaire dit aussi avoir « beaucoup de questions » sur le sujet. « Dans les derniers mois, toutes sortes d’entreprises ont laissé entendre que ces applications-là seraient l’arme secrète pour battre la fameuse deuxième vague, et ce qu’on constate, c’est qu’en fait, ces outils ne fonctionnent pas, ou mal, et qu’en contrepartie, les risques pour la vie privée sont bien réels », a fait valoir Gabriel Nadeau-Dubois. Au Parti québécois, on « s’inquiète, entre autres, de la transparence, du stockage et de la sécurité des données » des utilisateurs. « Nous ne voulons pas d’un autre scandale de fuite des données personnelles comme nous l’avons connu avec Revenu Québec et Desjardins », a écrit le député Martin Ouellet. — Fanny Lévesque, La Presse

COVID-19

181 nouveaux cas et un décès de plus

Le plus récent bilan du gouvernement fait état de 181 nouveaux cas de COVID-19, en légère hausse par rapport aux derniers jours. Cela porte le nombre total de personnes infectées à 59 312 depuis le début de la pandémie. Un nouveau décès a également été enregistré, portant le total à 5674. Le nombre d’hospitalisations, qui avait bondi mercredi de 190 à 208, a retrouvé son niveau antérieur pour atteindre 189. Parmi celles-ci, on dénombre 15 personnes aux soins intensifs, ce qui représente une diminution de 3 par rapport au jour précédent. Le nombre de prélèvements, lui, s’est maintenu à un niveau élevé, soit 17 190.

— Suzanne Colpron, La Presse

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