À ma manière

Comment j’ai relancé Artemano après sa faillite

Qui ? Bruno Rodi, actionnaire principal d’Artemano et propriétaire des magasins de meubles Rodi

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte en ses mots une page de son histoire.

Très souvent, je demande aux gens que je rencontre : « Nomme-moi la deuxième ville en importance de ton pays d’origine. » Et je devine le pays. Ça crée des liens !

Je suis un grand voyageur. Quand Artemano a eu des difficultés financières, l’an dernier, quelqu’un m’a dit que c’était une entreprise de meubles qu’on devrait acquérir. Je ne la connaissais pas. En y regardant de plus près, les produits m’ont interpelé. Ils proviennent du Sud-Est asiatique, de l’Inde, de l’Indonésie, de la Thaïlande… Ce sont des coins du monde que je connais très bien. La philosophie de l’entreprise m’a aussi allumé. Au lieu de jeter, on récupère. On donne une deuxième vie à un produit. Par ailleurs, si la conscience financière manquait aux anciens dirigeants, ils en avaient une sociale aiguë. Ils s’assuraient qu’il n’y avait pas d’enfants qui travaillaient sur les produits. Pour intéresser le grand-père que je suis à une marque, il faut autre chose que l’aspect financier.

Ce n’est pas la première entreprise en difficulté que je rachète. En 2014, j’ai récupéré les activités internationales de BIXI. C’est chaque fois un beau défi et c’est excitant. L’avantage de racheter une faillite est qu’on ne paie pas la recherche et développement, le savoir-faire. Ça a une grande valeur.

Et la marque Artemano, acquise au début de l’année, est exceptionnelle. On s’est tout de même attardés à la technologie des produits. On ajoute des choses sur certains meubles pour que ce soit pratique, pas juste beau, car les clients recherchent des meubles fonctionnels.

Rapidement après le rachat, on a déménagé des entrepôts de Laval à Longueuil, où je possède déjà un espace d’un demi-million de pieds carrés. Sous le même toit, il n’y a pas de duplication d’employés. La logistique est simplifiée. Ensuite, on a fermé sept boutiques non rentables à Montréal, Ottawa et Toronto. On est ainsi passés de 13 à 6 boutiques. Il y a eu une restructuration du personnel, une standardisation des salaires. Il pouvait y avoir auparavant trois, quatre, cinq types de salaires pour le même poste. Une entreprise n’a pas de difficultés financières pour rien ! Quand on dirige, il faut être conscient de trois types de ressources : humaines, financières et physiques. Lorsqu’on engage trop de gens, par exemple, et qu’on paie différents salaires, on finit par perdre le contrôle et à jouer au pompier. Là, on a mis en place une jeune équipe… 10 fois plus intelligente que moi ! On a structuré les finances. J’ai demandé à un des deux anciens actionnaires d’Artemano, celui qui connaissait le produit, de venir avec moi.

Retisser des liens

La chaîne d’approvisionnement était coupée depuis octobre 2017, car Artemano a fini par ne plus pouvoir payer les fournisseurs en Asie. Je suis donc allé à leur rencontre. Ils ont voulu savoir si on était sérieux. C’est important d’aller sur place, dans les villages. Je me suis présenté. On n’arrive pas là-bas avec une cravate. On invite les gens à manger. Ils apprécient de telles attentions.

On a fait tout ça en six mois. Je savais que je pouvais remettre Artemano sur les rails. On a gardé ce qui était bon. La clientèle revient, les ventes sont en croissance. De mois en mois, on voit une nette progression.

On analyse maintenant les occasions d’affaires. Des gens de New York et de Chicago nous ont demandé s’ils pouvaient avoir des franchises. Mais avant, on va consolider les choses ici. Il faut du temps avant que toute une équipe se soude.

Je vise 100 % du volume d’affaires d’avant d’ici six mois. Une dizaine de boutiques nous suffiraient amplement, car l’internet va prendre beaucoup de place éventuellement. On est en train d’intégrer un nouveau système informatique et on retravaille notre site.

Pourquoi faire ça à mon âge ? C’est plaisant de travailler avec des gens qui veulent réussir. Nous sommes 75 personnes dans l’entreprise. Ça me tente de me lever le matin pour eux. Si je n’ai pas le sentiment de pouvoir devenir ami avec un de mes employés, si j’ai l’impression qu’ils ne veulent pas tous aller dans la même direction, ça ne vaut pas la peine de travailler ensemble.

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