Télévision

Le succès insoupçonné de Télétoon

Savez-vous quelle est la chaîne spécialisée la plus regardée après RDS chez les 18-34 ans ? Télétoon. Oui, Télétoon. Depuis l’automne, même en baisse d’un demi-point, la chaîne d’animation obtient 3 % de parts de marché chez cette tranche d’âge. C’est plus que Super Écran (2,9 %), plus qu’AddikTV (2,7 %), que TVA Sports (2,6 %) et que LCN (2,5 %). ICI RDI : 0,9 %. Et ICI ARTV : 0,7 %, quatre fois moins que Télétoon. Comme on dit : ouch !

Chez les 2-17 ans, Télétoon bat toute concurrence chez les chaînes spécialisées avec 5,5 % de parts de marché, malgré Télé-Québec et ICI Radio-Canada Télé, très fortes en jeunesse. La chaîne Disney, qui appartient aux mêmes propriétaires, en obtient 4,9 %. Réunies, les deux chaînes battent le score de Télé-Québec chez les 2 à 17 ans. C’est loin devant Yoopa (3,1 %), Super Écran (2,7 %) et RDS (2,6 %). À l’heure où VRAK a abandonné le créneau de la petite enfance, un enfant sur trois regarde Télétoon chaque semaine. C’est énorme.

Ce secret le mieux gardé de l’industrie est un beau pied de nez aux médias écrits, qui ne s’intéressent à peu près jamais à Télétoon, inaugurée en 1997 et vendue par Astral à Corus il y a quatre ans.

Le pendant francophone de Teletoon joue pourtant un rôle primordial dans le domaine de l’animation au Québec, principalement à Montréal, en investissant 5 millions de dollars chaque année dans la production originale. Ça pourrait être plus, mais c’est déjà ça.

Au Québec, Télétoon dispose d’une toute petite équipe d’à peine une dizaine de personnes, dans un édifice du boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Corus, qui a décidé de se défaire des chaînes Historia et Séries+, promet de conserver des bureaux au Québec. C’est ce qu’on verra. Au même étage se trouve aussi la société Toon Boom, qui exploite un logiciel d’animation très convoité à l’étranger, notamment par Disney.

De grandes ambitions

Délégué de production pour la chaîne et passionné d’animation, Hugues Dufour a de grandes ambitions pour Télétoon. « Il y a eu les années de gloire de Cinar, où l’industrie canadienne se concentrait à Montréal. Tout se passait ici, on était les leaders. Puis il y a eu les scandales, on a perdu notre place. Et depuis ce temps-là, Télétoon s’est donné comme mission de soutenir l’industrie et de la rendre aussi riche qu’elle l’a déjà été. »

Le Québec parvient heureusement à garder une main-d’œuvre forte en animation. « C’est plus difficile de conserver nos scénaristes. C’est très différent d’écrire pour le dessin animé que pour la fiction télé. C’est plus proche de l’écriture surréelle de Boris Vian que de l’écriture dramatique de Fabienne Larouche », image-t-il.

Le défi de Télétoon dans les prochaines années : lancer des projets dans lesquels le public québécois peut se reconnaître, mais qui auront aussi une résonance à l’étranger, le nerf de la guerre pour le financement des séries. Parmi les émissions les plus populaires de « Télétoon la nuit », le créneau de 20 h à 3 h du matin, Les Grandes Gueules s’animent ! plaît beaucoup ici, mais n’a pas réussi à percer à l’étranger.

Les Têtes à claques cartonnent encore

Neuf pour cent du budget de Télétoon est destiné à la production originale. Étant donné qu’une demi-heure de dessin animé coûte de 350 000 à 700 000 $, deux projets par année au minimum sont lancés par la chaîne. Et des projets, Hugues Dufour en reçoit à la tonne. Quand il a eu à choisir entre une troisième saison des Grandes Gueules s’animent ! et un nouveau projet intitulé Les histoires bizarres du professeur Zarbi, il a opté pour ce dernier, des créateurs d’Au pays des Têtes à claques, Michel Beaudet et Simon Parizeau, de Salambo Productions.

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que les Têtes à claques, qui semblent appartenir au passé, obtiennent encore aujourd’hui un succès comparable à celui des Simpson et figurent parmi les titres les plus regardés de Télétoon.

Dans leur nouvelle série humoristique, un scientifique, Zarbi, est appelé chaque semaine à résoudre un mystère surnaturel, comme celui d’un restaurant de Saint-Léonard hanté par un fantôme.

Preuve que la chaîne croit beaucoup en ses créateurs, elle a investi pas moins de 10 millions de dollars dans les quatre saisons d’Au pays des Têtes à claques, qui a été vendue à Canal+ en France.

Alors que la chaîne anglophone, établie à Toronto, mise beaucoup sur le jeune public, la chaîne francophone insiste sur la programmation adulte, seul créneau où la vente de publicités est possible.

N’empêche, la prochaine production qui risque d’attirer l’attention des tout-petits, l’automne prochain à Télétoon, s’intitule Les mini-tuques, un dérivé de La guerre des tuques 3D de Productions Carpe Diem, aux personnages mignons et irrésistibles.

Des discussions ont aussi lieu en ce moment avec 10e Ave, entreprise de Saint-Augustin, qui produit principalement des longs métrages d’animation, entre autres pour une adaptation télévisuelle de Brad le génie.

Le culte de Rick et Morty

Bien entendu, la grille de Télétoon est majoritairement composée de titres étrangers. Les Simpson reste un point d’ancrage du public de Télétoon, malgré le changement de voix d’Homer Simpson – Hubert Gagnon a dû céder sa place à Thiéry Dubé l’automne dernier, pour des raisons de santé. « Ça n’a pas dérangé les cotes d’écoute, mais on a reçu un flot de protestations sur la page Facebook », admet Hugues Dufour.

D’autres titres qui cartonnent : Un monstre en boîte, Trop cool Scooby Doo, Il pleut des hamburgers, une production canadienne, et, croyez-le ou non, les vieux épisodes de Power Rangers, plaisir coupable des nostalgiques.

Immense succès aux États-Unis, Rick et Morty réunit tous les ingrédients de ce qui marche en ce moment à l’étranger : la science-fiction et la comédie. Dans cette œuvre qui rappelle Retour vers le futur, un scientifique fou entraîne son petit-fils dans des aventures assez périlleuses.

« Ils partent dans l’espace, voyagent dans le temps, mais il y a toujours une histoire très familiale. C’est touchant d’un point de vue humain, en plus d’être flyé », relate Hugues Dufour.

Comme pour Les Simpson, Télétoon offre une version doublée au Québec de Rick et Morty depuis la semaine dernière, le vendredi à 22 h. Dirigée par Joël Legendre, cette version réunit entre autres les voix de Sylvain Hétu, Philippe Martin, Denis Roy, Élyse Marquis, Catherine Brunet, Véronique Claveau et Paul Sarrasin.

« On a réuni 100 fans finis de Rick et Morty la semaine dernière au Théâtre Fairmount [à Montréal], qui sont arrivés déguisés, et à qui on présentait en primeur les deux premiers épisodes. Les gens voulaient entendre l’adaptation québécoise de ce succès-là. C’était vraiment sympathique. Les fans ont approuvé », raconte Nathalie Roy, consultante en relations de presse chez Corus Média.

Si vous vous demandez à partir de quelle heure votre enfant ne devrait plus regarder Télétoon, programmez votre alarme à 20 h. « Aussitôt qu’il y a du sexe ou de la violence, c’est après 22 h. Le CRTC nous permet d’en diffuser à partir de 21 h », précise Hugues Dufour.

Et à ceux qui attendent une troisième saison des Grandes Gueules s’animent !, le délégué de production affirme que ce n’est pas prévu pour le moment. Du moins, « pas cette année ».

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