Depuis 10 ans, les transporteurs aériens à faible coût attirent une clientèle croissante en Europe et aux États-Unis. Le Canada, quant à lui, tarde à entrer dans la danse. Pourquoi ? La situation est-elle en voie de changer ? Universitaires et professionnels du voyage répondent.
Comment définir un transporteur à bas prix ?
« Le concept du vol à faible coût est né aux États-Unis dans les années 90 avec la compagnie Southwest, explique Jacques Roy, professeur titulaire en gestion des transports à HEC Montréal. Le modèle d’affaires est différent de celui des transporteurs traditionnels, qui utilisent une plaque tournante – Atlanta pour Delta, Amsterdam pour KLM… – où convergent tous leurs vols. Les transporteurs low cost font plutôt des liaisons directes entre deux villes, Seattle et San Francisco, par exemple. Ils pratiquent aussi une philosophie de réduction de coûts en n’offrant aucun ajout gratuit, seulement le transport d’un point à l’autre. »
Comment expliquer le bas prix de certains billets, surtout en Europe ?
« Les coûts d’exploitation sont beaucoup moins élevés que ceux des transporteurs ordinaires, dit Paul Arseneault, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Comme il n’y a pas de correspondances avec d’autres vols, les avions ne restent pas au sol à attendre ; ils passent un maximum de temps dans les airs. Les flottes ne sont composées que d’un seul modèle d’avion, ce qui simplifie la formation des pilotes. Et les employés sont souvent jeunes et moins bien rémunérés. » « Les avions sont aussi configurés pour contenir un maximum de sièges. Plus de sièges, c’est plus de passagers, donc plus de revenus, ajoute Jacques Roy. De plus, plusieurs de ces transporteurs choisissent d’atterrir dans des aéroports secondaires, ce qui évite les longs délais et des frais aéroportuaires plus élevés. »
Quelle est la situation au Canada et au Québec ?
Pour l’instant, seule une poignée de transporteurs à faible coût atterrissent sur les tarmacs canadiens. À l’aéroport Montréal-Trudeau, ils ne sont que trois : Wow, qui fait le lien entre Montréal et l’Islande, Interjet, qui propose des vols vers Cancún et Mexico, et, à partir de juillet 2018, Level, qui offrira un vol saisonnier sans escale entre Montréal et Paris-Orly.
Le transporteur Norwegian a aussi reçu cette semaine le feu vert de l’Office des transports du Canada pour offrir des liaisons entre l’Europe et le Canada à compter de juillet. On ignore encore quelles villes seront desservies. Chez Aéroport de Montréal, on explique être « en communication avec de nombreux transporteurs, dont Norwegian, toutefois, il est encore trop tôt pour s’avancer sur quoi que ce soit. »
Selon Luce Bureau, directrice, Développement services aériens, chez Aéroports de Montréal, « du démarchage est fait pour attirer d’autres “low cost” à l’aéroport de Dorval, notamment la compagnie américaine Southwest, qui souhaiterait percer le marché canadien. Ce n’est pas simple, car il y a beaucoup de compétition au Canada et partout dans le monde. Les transporteurs ont l’embarras du choix ».
En ce qui concerne les vols intérieurs, aucun transporteur à faible coût ne dessert le Québec pour l’instant. Flair se concentre surtout sur l’Ouest canadien et Swoop, la nouvelle filière à faible coût de WestJet, compte offrir dès juin des vols entre diverses villes canadiennes dont Hamilton, Abbotsford et Edmonton. La compagnie Jetlines planche toujours sur ses itinéraires, potentiellement pour l’été 2018, mais le Québec ne fait pas partie des plans.
En verrons-nous davantage au pays ?
S’il faut croire Jacques Roy et Paul Arseneault, les frais aéroportuaires plus élevés, le niveau de taxation, la faible quantité d’aéroports secondaires et la grandeur du territoire canadien sont autant d’écueils qui freinent l’implantation des transporteurs « low cost » au pays. Mais c’est peut-être la faible densité de population du Canada qui fait le plus mal, surtout pour les vols intérieurs.
Jacques Roy explique : « Il y a relativement peu de paires de villes au Canada où l’on peut exploiter profitablement des vols sur des Boeing 737 ou des Airbus 320, les deux appareils les plus souvent utilisés par les transporteurs à faible coût. On peut penser à Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver, des villes qui sont éloignées géographiquement. Pour le reste, je ne suis pas certain que 180 personnes fassent le voyage chaque semaine entre Québec et Regina, par exemple, même s’il s’agit de deux capitales provinciales. »
Paul Arseneault est convaincu d’autre chose : « Si un transporteur “low cost” tentait d’offrir un vol entre Montréal et Toronto Pearson, Air Canada réagirait sur-le-champ en cassant ses prix. » À ce jeu-là, la compagnie nationale sortirait gagnante, pensent les observateurs : elle a les reins assez solides pour absorber les pertes jusqu’à l’étouffement de la concurrence.
« Les transporteurs à faible coût ne seront jamais “mainstream” au Canada comme ils le sont en Europe, estime Moscou Côté, directeur général de l’agence de voyage Constellations. La population de la communauté européenne est presque 15 fois plus élevée que celle du Canada et les gens ont 4 fois plus de vacances ! »
Faut-il faire son deuil du « low cost » à Montréal ?
« S’il y a un salut, cela viendra de l’international, estime Jacques Roy. Par exemple, avec un transporteur qui a un appui gouvernemental comme Wow avec le gouvernement islandais. L’idéal serait d’attirer une compagnie américaine à Montréal pour offrir des vols vers les États-Unis. Ça permettrait de ramener à l’aéroport Trudeau les passagers qui décollent de Plattsburgh ou de Burlington. Presque le quart du marché des Québécois qui volent vers la Floride a été perdu au profit de ces villes. C’était vrai il y a cinq ans et rien ne me fait croire que la situation ait changé depuis… »
Le « low-cost » en chiffres
3,7 milliards
Nombre de passagers aériens dans le monde en 2016.
30 %
Pourcentage de ces passagers aériens qui ont opté pour un transporteur à faible coût en 2016.
32,7 %
Part de marché détenue par les transporteurs à faible coût en Amérique du Nord en 2016. En Europe, pour la même période, cette part est de 37,9 %, contre 57,2 % en Asie du Sud.
120 millions
Nombre de passagers ayant volé en 2017 sur les ailes de Ryanair, transporteur à faible coût qui domine le marché européen.
354 $US
Prix moyen d’un billet d’avion aller-retour pour un vol intérieur aux États-Unis en 2017. En 1995, le prix (ajusté à l’inflation) était de 468 $US.
Sources : Wall Street Journal, Ryanair et IATA