Transport aérien

Le fantasme du « low cost »

C’est le rêve de tout globe-trotter : parcourir le monde en avion pour une poignée de dollars. Avec un peu de connaissances et quelques sacrifices, certains y parviennent. Mais au Canada, les vols à prix dérisoire se font encore rares. L’arrivée de quelques transporteurs à faible coût changera-t-elle la donne ?

UN DOSSIER DE STÉPHANIE MORIN

Fous des vols à faible coût

Prendre 12 vols différents (et visiter 11 destinations européennes) en 13 jours de voyage. C’est le marathon un peu fou dans lequel se sont récemment lancés deux Québécois, Andrew D’Amours et Kevin Gagnon. Prix total de leurs billets d’avion, toutes taxes incluses, au départ de Montréal : 450 $ par personne.

Un tour de force ? Pas pour ces deux passionnés de voyage qui recensent sur leur site Flytrippers les meilleures aubaines du jour (et parfois de l’heure) sur les billets d’avion. Ils n’ont utilisé pour se déplacer que des transporteurs aériens à faible coût (les fameux « low cost »).

« Si j’exclus le billet entre Montréal et Stockholm, qui a coûté 250 $, on a payé en moyenne 25 $ par billet. »

— Andrew D’Amours

« On aurait même pu payer moins cher, mais on tenait absolument à découvrir de nouvelles destinations », explique Andrew D’Amours.

Leur voyage, sur les ailes de RyanAir, Wizz et Wow notamment, leur a permis de faire des visites éclair à Belgrade (Serbie), Bergame (Italie), Tirana (Albanie), Podgorica (Monténégro), Budapest (Hongrie) ou encore Gdansk (Pologne). Un programme extrême, inimaginable pour un touriste ordinaire.

Les deux voyageurs de 28 ans auraient pu prolonger chaque séjour, remarquez, mais ils ne s’intéressaient pas tant aux visites touristiques qu’au mode de transport pour se rendre du point A au point B. « On voulait tester, en deux semaines et pour 200 $ seulement, un maximum de vols “low cost” en Europe, explique Andrew D’amours. C’était très intense ; je ne pense pas que je referais ça ! »

N’empêche, ce voyage a confirmé à leurs yeux que les vols à faible coût constituent le meilleur moyen de voyager pour pas cher. À certaines conditions, notamment celle d’être flexible dans son horaire, voire son itinéraire. « On a décidé de partir en voyant un super solde de billets Montréal-Stockholm chez Wow pour janvier. On a sauté sur l’occasion, car ces offres ne durent pas longtemps », dit l’ancien conseiller stratégique, qui a tout abandonné, professionnellement, s’entend, pour fonder le site Flytrippers, en janvier 2017.

Pour profiter des compagnies à bas prix au maximum, il faut aussi suivre certaines règles que les deux globe-trotters originaires de Trois-Rivières connaissent sur le bout des doigts. Normal, ils ont pris chacun une cinquantaine de vols à faible coût en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud ou en Asie.

Conseils de pro

« L’important est de savoir dans quoi on s’embarque pour ne pas être déçu, lance Kevin Gagnon. Et la première chose à savoir, c’est que le prix de base ne comprend vraiment aucun service. »

En effet, les transporteurs à faible coût fonctionnent sur le principe de l’utilisateur-payeur : ils exigent des frais élevés pour les bagages placés en soute, le surplus de bagages en cabine, les repas, l’embarquement prioritaire, la réservation de siège ou le divertissement à bord.

« Il faut faire quelques sacrifices pour que ça vaille la peine. Le prix risque d’être plus cher que sur une compagnie ordinaire si on paie pour tous ces services. »

— Kevin Gagnon

« Il faut voyager léger », ajoute Andrew D’Amours. Pour leur séjour européen, Kevin Gagnon et lui ont chacun pris en cabine un sac à dos de 20 L comprenant des vêtements pour une semaine. « Mais si ce n’est pas dans ton ADN, tu peux payer les frais de bagages et dans 80 % des cas, ton billet sera encore moins cher que sur un transporteur ordinaire. En revanche, il faut réserver à l’avance pour les bagages en soute, sinon les frais augmentent, parfois du simple au double ! »

Les transporteurs à faible coût imposent aussi souvent des limites de poids pour les bagages de cabine. Kevin Gagnon a un truc pour éviter de s’y soumettre : rester loin du comptoir d’enregistrement. « Si tu n’as pas besoin de passer par le comptoir pour enregistrer un bagage de soute ou faire imprimer ta carte d’embarquement, il y a peu de risques que ton bagage soit pesé… »

Et pour la réservation de siège, lorsqu’on veut être assis à côté de son compagnon de voyage ? « Le seul moyen d’avoir une garantie, c’est de payer. Sinon, il faut s’enregistrer en ligne 24 h avant le départ du vol. Pas 23 h avant le vol, 24 h… », souligne Andrew D’Amours.

Autre information essentielle à considérer : en achetant deux segments de vol séparément, le voyageur s’expose à perdre son second billet en cas de retard du premier transporteur. « Il faut faire une escale pour laisser du temps entre les deux vols. Pour moi, ça signifie faire deux voyages en un… »

La révolution se rendra-t-elle au Canada ?

Depuis 10 ans, les transporteurs aériens à faible coût attirent une clientèle croissante en Europe et aux États-Unis. Le Canada, quant à lui, tarde à entrer dans la danse. Pourquoi ? La situation est-elle en voie de changer ? Universitaires et professionnels du voyage répondent.

Comment définir un transporteur à bas prix ?

« Le concept du vol à faible coût est né aux États-Unis dans les années 90 avec la compagnie Southwest, explique Jacques Roy, professeur titulaire en gestion des transports à HEC Montréal. Le modèle d’affaires est différent de celui des transporteurs traditionnels, qui utilisent une plaque tournante – Atlanta pour Delta, Amsterdam pour KLM… – où convergent tous leurs vols. Les transporteurs low cost font plutôt des liaisons directes entre deux villes, Seattle et San Francisco, par exemple. Ils pratiquent aussi une philosophie de réduction de coûts en n’offrant aucun ajout gratuit, seulement le transport d’un point à l’autre. »

Comment expliquer le bas prix de certains billets, surtout en Europe ?

« Les coûts d’exploitation sont beaucoup moins élevés que ceux des transporteurs ordinaires, dit Paul Arseneault, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Comme il n’y a pas de correspondances avec d’autres vols, les avions ne restent pas au sol à attendre ; ils passent un maximum de temps dans les airs. Les flottes ne sont composées que d’un seul modèle d’avion, ce qui simplifie la formation des pilotes. Et les employés sont souvent jeunes et moins bien rémunérés. » « Les avions sont aussi configurés pour contenir un maximum de sièges. Plus de sièges, c’est plus de passagers, donc plus de revenus, ajoute Jacques Roy. De plus, plusieurs de ces transporteurs choisissent d’atterrir dans des aéroports secondaires, ce qui évite les longs délais et des frais aéroportuaires plus élevés. »

Quelle est la situation au Canada et au Québec ?

Pour l’instant, seule une poignée de transporteurs à faible coût atterrissent sur les tarmacs canadiens. À l’aéroport Montréal-Trudeau, ils ne sont que trois : Wow, qui fait le lien entre Montréal et l’Islande, Interjet, qui propose des vols vers Cancún et Mexico, et, à partir de juillet 2018, Level, qui offrira un vol saisonnier sans escale entre Montréal et Paris-Orly.

Le transporteur Norwegian a aussi reçu cette semaine le feu vert de l’Office des transports du Canada pour offrir des liaisons entre l’Europe et le Canada à compter de juillet. On ignore encore quelles villes seront desservies. Chez Aéroport de Montréal, on explique être « en communication avec de nombreux transporteurs, dont Norwegian, toutefois, il est encore trop tôt pour s’avancer sur quoi que ce soit. »

Selon Luce Bureau, directrice, Développement services aériens, chez Aéroports de Montréal, « du démarchage est fait pour attirer d’autres “low cost” à l’aéroport de Dorval, notamment la compagnie américaine Southwest, qui souhaiterait percer le marché canadien. Ce n’est pas simple, car il y a beaucoup de compétition au Canada et partout dans le monde. Les transporteurs ont l’embarras du choix ».

En ce qui concerne les vols intérieurs, aucun transporteur à faible coût ne dessert le Québec pour l’instant. Flair se concentre surtout sur l’Ouest canadien et Swoop, la nouvelle filière à faible coût de WestJet, compte offrir dès juin des vols entre diverses villes canadiennes dont Hamilton, Abbotsford et Edmonton. La compagnie Jetlines planche toujours sur ses itinéraires, potentiellement pour l’été 2018, mais le Québec ne fait pas partie des plans.

En verrons-nous davantage au pays ?

S’il faut croire Jacques Roy et Paul Arseneault, les frais aéroportuaires plus élevés, le niveau de taxation, la faible quantité d’aéroports secondaires et la grandeur du territoire canadien sont autant d’écueils qui freinent l’implantation des transporteurs « low cost » au pays. Mais c’est peut-être la faible densité de population du Canada qui fait le plus mal, surtout pour les vols intérieurs.

Jacques Roy explique : « Il y a relativement peu de paires de villes au Canada où l’on peut exploiter profitablement des vols sur des Boeing 737 ou des Airbus 320, les deux appareils les plus souvent utilisés par les transporteurs à faible coût. On peut penser à Montréal, Toronto, Calgary et Vancouver, des villes qui sont éloignées géographiquement. Pour le reste, je ne suis pas certain que 180 personnes fassent le voyage chaque semaine entre Québec et Regina, par exemple, même s’il s’agit de deux capitales provinciales. »

Paul Arseneault est convaincu d’autre chose : « Si un transporteur “low cost” tentait d’offrir un vol entre Montréal et Toronto Pearson, Air Canada réagirait sur-le-champ en cassant ses prix. » À ce jeu-là, la compagnie nationale sortirait gagnante, pensent les observateurs : elle a les reins assez solides pour absorber les pertes jusqu’à l’étouffement de la concurrence.

« Les transporteurs à faible coût ne seront jamais “mainstream” au Canada comme ils le sont en Europe, estime Moscou Côté, directeur général de l’agence de voyage Constellations. La population de la communauté européenne est presque 15 fois plus élevée que celle du Canada et les gens ont 4 fois plus de vacances ! »

Faut-il faire son deuil du « low cost » à Montréal ?

« S’il y a un salut, cela viendra de l’international, estime Jacques Roy. Par exemple, avec un transporteur qui a un appui gouvernemental comme Wow avec le gouvernement islandais. L’idéal serait d’attirer une compagnie américaine à Montréal pour offrir des vols vers les États-Unis. Ça permettrait de ramener à l’aéroport Trudeau les passagers qui décollent de Plattsburgh ou de Burlington. Presque le quart du marché des Québécois qui volent vers la Floride a été perdu au profit de ces villes. C’était vrai il y a cinq ans et rien ne me fait croire que la situation ait changé depuis… »

Le « low-cost » en chiffres

3,7 milliards

Nombre de passagers aériens dans le monde en 2016.

30 %

Pourcentage de ces passagers aériens qui ont opté pour un transporteur à faible coût en 2016.

32,7 %

Part de marché détenue par les transporteurs à faible coût en Amérique du Nord en 2016. En Europe, pour la même période, cette part est de 37,9 %, contre 57,2 % en Asie du Sud.

120 millions

Nombre de passagers ayant volé en 2017 sur les ailes de Ryanair, transporteur à faible coût qui domine le marché européen.

354 $US

Prix moyen d’un billet d’avion aller-retour pour un vol intérieur aux États-Unis en 2017. En 1995, le prix (ajusté à l’inflation) était de 468 $US.

Sources : Wall Street Journal, Ryanair et IATA

Un tour du monde pour
1292 $

Andrew D’Amours, du site Flytrippers, a fouillé les aubaines chez les transporteurs à prix réduit pour mettre sur pied un itinéraire autour du monde d’une durée de sept semaines, au départ de Montréal, à moins de 1300 $. Nous avons fait l’exercice – pour le même trajet, aux mêmes dates et avec un maximum d’une escale sur chaque vol – du côté des transporteurs ordinaires. Comparaison. — Stéphanie Morin, La Presse

Montréal – Londres (16 mai 2018)

Wow : 237 $ (1 escale)

WestJet : 411 $ (1 escale)

Londres – Milan (20 mai)

Ryanair : 30 $ (sans escale)

Alitalia : 119 $ (sans escale)

Milan – Athènes (24 mai)

Ryanair : 46 $ (sans escale)

Alitalia : 95 $ (sans escale)

Athènes – Singapour (3 juin)

Scoot : 249 $ (sans escale)

Sri Lankan Airlines : 802 $ (1 escale)

Singapour – Kuala Lumpur (7 juin)

Jetstar Asia : 57 $ (sans escale)

Malindo Air : 105 $ (sans escale)

Kuala Lumpur – Honolulu (27 juin)

Air Asia : 355 $ (1 escale)

All Nippon Airways : 1139 $ (1 escale)

Honolulu – Montréal (4 juillet)

Delta : 318 $ (deux escales)

Delta : 318 $ (deux escales)

Total « low-cost » : 1292 $

Total transporteurs ordinaires : 2989 $

Note : prix en vigueur le 26 février, sans bagage en soute.

Sources : Flytrippers.com et Expedia.ca

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