Série documentaire de Netflix Wild Wild Country

Montréal aussi avait ses disciples d’Osho

Le gourou indien controversé Osho, qui fut à la tête d’une secte ayant fait scandale en Oregon dans les années 80 – épisode raconté dans la série documentaire de Netflix Wild Wild Country –, a toujours des disciples au Québec, dont certains qui ont vécu dans une commune à Montréal selon les préceptes de leur maître spirituel.

Pour leur commune, appelée Grada Rajneesh, les sannyasins montréalais (nom donné aux disciples d’Osho, aussi appelé Bhagwan Shree Rajneesh) avaient même obtenu une « accréditation » officielle de la part des autorités du mouvement.

Ils rêvaient aussi d’établir un village dans les Laurentides ou les Cantons-de-l’Est pour regrouper les disciples, cultiver la terre et s’adonner à la méditation dynamique, telle qu’enseignée par leur maître.

Leur modèle, c’était Rajneeshpuram, ville fondée dans un ranch de l’Oregon et devenue le centre de l’organisation, qui a accueilli jusqu’à 7000 habitants.

Mais là-bas, dans ce coin perdu, l’arrivée des disciples d’Osho, reconnaissables à leurs vêtements orange, dérange la population locale, scandalisée par certaines de leurs pratiques. Le gourou à longue barbe roulant en Rolls-Royce encourage notamment l’amour libre et les séances de méditation violentes, où des adeptes nus crient et se ruent les uns sur les autres.

C’est cet épisode rocambolesque, ponctué d’attentats, d’attaques bioterroristes et de batailles judiciaires, que raconte le documentaire Wild Wild Country, qui fait un tabac sur Netflix depuis son lancement, il y a quelques semaines.

« Cette série, ce n’est vraiment pas notre histoire », déplore Ati Dion, qui a vécu dans la commune de Montréal et qui s’est rendu trois fois au ranch en Oregon.

Habitant maintenant les Laurentides, l’homme de 57 ans, thérapeute et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke en toxicomanie, se dit toujours disciple d’Osho. Mais il est très réticent à en parler aux médias, craignant d’être associé aux déplorables événements de Rajneeshpuram, pour lesquels plusieurs blâment la secrétaire du maître, Ma Anand Sheela, qui dirigeait la communauté.

Méditation et liberté sexuelle

Loin des dérapages de l’Oregon, la commune montréalaise était beaucoup plus sage et de taille plus modeste, regroupant environ 70 personnes à son apogée, dont une dizaine d’enfants.

Ses membres occupaient quatre ou cinq maisons, notamment dans la rue de la Montagne et sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine, à Outremont, en plus d’exploiter un café-restaurant végétarien et centre de méditation sur l’avenue du Parc, le Grada Rajneesh.

« On avait deux minibus qui faisaient le tour des différents sites, pour conduire les gens au centre de méditation pour la séance du matin, puis à la maison où on avait notre cuisine, quand c’était l’heure des repas. »

— Ati Dion, qui s’est joint à la commune en 1983, alors qu’il avait 22 ans. Le groupe était alors formé depuis un an.

Leur maître, surnommé le « sex guru », prône la liberté sexuelle, que les disciples montréalais mettent en pratique. « Osho enseigne que l’on ne peut pas se réaliser si notre sexualité est réprimée. On était donc encouragés à explorer notre sexualité, source de dynamisme », explique M. Dion.

Les plus jeunes flirtent à gauche et à droite, mais des couples se forment aussi, raconte-t-il.

Malgré tout, on est loin des images de thérapies de groupe ressemblant à des orgies présentées dans le documentaire Wild Wild Country, assure-t-il.

Susan Palmer, chercheuse et chargée de cours à l’Université McGill, spécialisée dans les nouveaux mouvements religieux, peut en témoigner : elle a étudié la commune Grada Rajneesh à l’époque, s’intéressant notamment au rôle des femmes, qui y occupaient une place privilégiée.

Elle a participé à plusieurs séances de méditation, où tout le monde gardait sagement ses vêtements orange, raconte-t-elle.

« Ce qui m’a le plus marquée, c’est quand ils ont fait jouer un enregistrement d’un discours d’Osho : tout le monde s’est mis à pleurer et à s’enlacer, submergé par l’émotion. »

— Susan Palmer, chercheuse et chargée de cours à l’Université McGill

La spontanéité était très valorisée, ce qui amenait parfois les adeptes à avoir des comportements enfantins ou désagréables, même avec les clients de leur café, se souvient Mme Palmer. Par contre, les enfants ne semblaient pas toujours les bienvenus, a-t-elle remarqué.

Admis après un test de dépistage

En cette période où le sida commençait à faire des ravages, l’amour libre ne se faisait pas sans protection, souligne la chercheuse : pour être admis dans la commune, il fallait avoir passé un test de dépistage.

Les sannyasins ne passaient pas inaperçus à Montréal avec leurs vêtements flamboyants. Sans causer autant de remous que leurs coreligionnaires en Oregon, ils auront tout de même maille à partir avec les autorités municipales d’Outremont, qui tentent de leur mettre des bâtons dans les roues en invoquant un obscur règlement interdisant la cohabitation de plus de trois personnes dans un logement, si elles n’ont pas de liens familiaux.

Il s’agit d’un bien petit souci par comparaison avec l’ampleur des troubles déclenchés par la création de Rajneeshpuram en Oregon : un hôtel appartenant à la communauté est visé par un attentat aux explosifs, des gardes armés protègent Osho qui craint pour sa vie, le groupe est attaqué en justice sur tous les fronts, et on l’accuse d’avoir empoisonné 750 personnes à la salmonelle en contaminant les comptoirs à salade de plusieurs restaurants locaux, dans le cadre d’un litige sur la création d’une administration municipale pour leur ville.

Osho et sa secrétaire Ma Anand Sheela sont arrêtés en 1985 pour répondre de diverses accusations. La secrétaire se retrouvera en prison, tandis que le maître sera expulsé des États-Unis. Il tentera de s’installer dans d’autres pays, avant de retourner à son ashram de Pune, en Inde.

Ces dérapages stoppent l’élan des sannyasins montréalais, qui venaient pourtant tout juste de recevoir leur accréditation des dirigeants internationaux du groupe, venus auparavant s’assurer que toutes les règles étaient respectées dans la commune.

La commune Grada Rajneesh se dissout peu de temps après. Mais de nombreux disciples continuent de se réclamer du gourou, encore aujourd’hui, ici et ailleurs, même si plusieurs le considèrent comme un charlatan.

Des adeptes toujours fidèles

Pour Ati Dion, les enseignements d’Osho sont toujours pertinents, malgré ses démêlés avec les autorités. Plusieurs anciens membres de la commune se réunissent encore de façon informelle pour des séances de méditation, dit-il.

« Quand j’ai été en présence d’Osho la première fois au ranch en 1983, j’ai braillé ma vie à la suite de cette première rencontre, raconte le disciple, dans un texte publié sur son blogue cette semaine. Comme si quelque chose avait craqué en moi, un barrage dont la digue a cédé pour laisser les larmes couler et purifier mon âme. »

« Ce que j’avais cherché dans la dope et l’aventure pendant les 22 premières années de ma vie, je venais de le trouver dans un p’tit homme en robe et en gougounes qui faisait Namasté à 10 000 personnes en ce matin dans un désert de l’Oregon. »

— Ati Dion

Plusieurs centres de méditation proposent régulièrement des ateliers basés sur les enseignements du gourou. La thérapeute Chandrakala, qui a vécu une dizaine d’années en Inde à l’Osho International Meditation Centre, où elle se trouvait d’ailleurs quand il est mort en 1990, anime régulièrement de telles retraites.

Qu’est-ce qui attire les adeptes ? « Osho incitait ses disciples à trouver leur propre vérité, sans avoir peur. Il n’imposait rien, mais nous demandait de trouver ce qui fonctionne pour nous », répond Chandrakala, qui a adopté son nom de disciple de façon permanente.

« Il était très contemporain, intégrait plusieurs courants spirituels dans ses enseignements, qui étaient basés sur la liberté et la responsabilité. Il abordait la spiritualité de différentes façons, que ce soit par l’art, la méditation ou les arts martiaux. »

La « méditation dynamique » mise au point par Osho, censée libérer les individus de tout ce qu’ils répriment en eux, se pratique par des exercices de respiration accélérée, des répétitions de mantras et de la danse.

« Alors Osho revient dans les news grâce à cette série sur Netflix. Il était wild comme un Jésus dans un temple, baveux, provocateur, dérangeant. Autant pour nous que pour la société, écrit Ati Dion sur son blogue, tentant de décrire le phénomène. Mais c’était tellement aussi beaucoup plus que ça, tellement qu’on ne peut même pas dire tout ce qu’il était. Et ça continue à fleurir, même presque 30 ans après sa mort. »

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