Chronique

Les fées ont soif… d’équité

Trouvez-vous ça normal ? C’était en novembre 2016 et l’auteure et metteure en scène Marilyn Perreault n’en revenait pas. Elle venait tout juste de prendre connaissance des sélections pour le prix Michel-Tremblay. Non seulement aucune auteure ne figurait sur la liste, mais depuis la création du prix, en 2009, une seule femme avait été lauréate, et encore ! En 2010, Jennifer Tremblay a bel et bien remporté le prix pour sa pièce La liste, mais ex æquo avec Porc-épic de David Paquet. Comme si, même lorsqu’elles gagnent, les femmes de théâtre ne sont pas gagnantes à part entière.

Trouvez-vous ça normal ? a répété Marilyn Perreault à ses amies comédiennes, auteures et metteures en scène. Son cri du cœur en forme de question a soulevé une vague d’indignation parmi plusieurs d’entre elles qui commençaient à en avoir ras le bol, non pas du théâtre qui est leur passion, mais de sa pratique au sein d’un milieu où, comme dans tant d’autres, les femmes sont mises en attente et rarement préférées à leurs congénères masculins.

Trouvez-vous ça normal ? Non, ont répondu en chœur une cinquantaine de femmes de théâtre qui se sont réunies peu de temps après au Théâtre Aux Écuries pour discuter de leur situation. C’est l’auteure Isabelle Doré, digne fille de feu Charlotte Boisjoli, qui a organisé la séance de défoulement.

Assez rapidement, la question de l’équité est arrivée sur le tapis. Mais contre toute attente, la cinquantaine de femmes de théâtre présentes dans la pièce et réunissant quatre générations n’ont pas sauté à pieds joints dans l’arène de l’équité et encore moins dans le calcul froidement mathématique de la parité.

Comme l’écrit Isabelle Doré dans l’avant-propos du livre Femmes en scène, lancé lundi : « Chaque fois qu’on parle d’équité, disons depuis les années 70, je nous entends tergiverser : nous qui voulons être reconnues comme auteures pour la qualité de notre travail plutôt que par égard à notre sexe. »

Reste que ce soir-là, malgré le malaise partagé face à une équité imposée, la plupart des femmes avaient atteint les limites de leur patience, comme le note Isabelle Doré. Ainsi naquit le mouvement FET : Femmes pour l’équité en théâtre, un regroupement doucement revendicateur qui n’a pas nécessairement envie de descendre dans la rue le poing levé, mais qui penche pour un travail de sensibilisation auprès du milieu. Parce que même si nous sommes en 2018 et non pas en 1978, année de la création de la mythique pièce de Denise Boucher, les fées ont encore soif : soif d’équité.

DES CHIFFRES RÉVÉLATEURS 

Des démarches ont été faites auprès des institutions qui subventionnent la scène théâtrale afin que la parité devienne un critère d’évaluation lors de l’attribution de fonds publics aux théâtres, tant pour les productions maison que pour les œuvres diffusées.

Puis, pour donner du poids à leur demande, les filles du FET ont fait appel au discours toujours très parlant des statistiques. Elles ont examiné les programmations des saisons 2012-2013 à 2016-2017 dans les théâtres de Montréal et de Québec. Un rapide survol leur a permis de calculer le pourcentage de textes écrits ou mis en scène par des femmes dans 22 lieux de diffusion. Premier constat : les femmes sont en déficit dans les grands théâtres comme Duceppe (0 % de textes écrits par des femmes contre 36 % de mises en scène signées par des femmes) ou le TNM, pourtant dirigé par une femme, mais où, sur 29 productions, seulement 7 % des textes et 22 % des mises en scène étaient l’œuvre de femmes. Idem pour les 25 productions du Trident à Québec avec 24 % des textes et des mises en scène signés par des femmes.

L’Espace Go a fait nettement meilleure figure avec un pourcentage de 47 % de textes signés par des femmes sur 33 productions. Il y a toutefois un bémol : l’Espace Go est un théâtre consacré à la parole des femmes et les auteures et les metteures en scène (33 %) devraient, sinon y être majoritaires, à tout le moins dominer, ce qui n’est pas le cas.

CHAMP DE PRÉDILECTION

En revanche, ce qui ressort clairement des statistiques compilées par le FET, c’est que le champ de prédilection des femmes tant aux textes qu’à la mise en scène, c’est le théâtre jeunesse. Aux Gros Becs, haut lieu du théâtre jeunesse de la ville de Québec, sur les 62 productions des saisons sondées, 53 % des textes ont été écrits par des femmes et 51 % des mises en scène leur ont été confiées. Même phénomène à la Maison Théâtre à Montréal.

Hormis le théâtre jeunesse, point de salut, sauf dans les petites salles. Là encore, les auteures et metteures en scène y sont plus nombreuses. Pas majoritaires, plus nombreuses, mais invitées une fois de plus à travailler avec de petits budgets et à comprimer leurs ambitions en attendant le grand soir qui tarde à arriver.

La raison fondamentale de ces écarts serait-elle qu’il y a tout simplement moins d’auteures et de metteures en scène au théâtre que d’hommes ? Si on se fie aux 65 portraits de femmes dans le livre Femmes en scène, la réponse est non. Les femmes de théâtre ne manquent pas à l’appel. Elles manquent seulement de reconnaissance et de visibilité.

Mais tout n’est pas entièrement noir. Cette année, les pièces qui ont connu les plus beaux succès au théâtre étaient celles de Fanny Britt, Catherine-Anne Toupin et Catherine Vidal. Mieux encore : le prix Michel-Tremblay cette année a été remporté par Christine Beaulieu pour J’aime Hydro sans que cette dernière ait à le partager avec quiconque. Et cette fois, personne ne s’est levé pour demander si c’était normal. 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.