Jeunes migrants séparés de leurs parents

attente et confusion

Même si Donald Trump a signé un décret mercredi mettant un terme à la séparation des parents et des enfants immigrants qui sont interceptés à la frontière américaine, les quelque 2000 familles qui sont déjà dans cette situation ignorent quand et comment elles seront réunies. Notre envoyée spéciale au Texas raconte l’histoire d’un père guatémaltèque sans aucune nouvelle de son fils de 10 ans depuis qu’ils ont traversé ensemble le Rio Grande.

Jeunes migrants séparés de leurs parents

« Savez-vous combien de temps je serai ici ? »

LOS FRESNOS, — Texas — Le « centre de traitement de service » de Port Isabel a tout d’une prison : une guérite sous haute sécurité, des clôtures de barbelé, des édifices en béton armé. Les migrants qui s’y trouvent sont appelés des détenus. S’ils ont des visiteurs, ils doivent leur parler au téléphone, séparés par une vitre.

Originaire du Guatemala, Alfredo a atterri ici mercredi au terme d’un procès collectif. Comme les 47 autres migrants qui étaient jugés avec lui, il a plaidé coupable à l’accusation d’être entré illégalement aux États-Unis. Ce jour-là, il a aussi pu dire au juge américain qu’il était arrivé lundi au pays avec son fils cadet, âgé de 10 ans, et qu’il aimerait le retrouver le plus rapidement possible.

Depuis, l’homme, dont nous avons modifié le prénom pour des raisons de sécurité et de confidentialité, n’a plus de nouvelles. Visé par la politique de « tolérance zéro » du gouvernement Trump envers l’immigration illégale, il est du lot des 2206 parents qui ont été séparés de leurs enfants entre le 5 mai et le 20 juin après avoir été arrêtés par les autorités américaines.

Mercredi, dans un revirement spectaculaire, le président américain, qui a longtemps défendu cette pratique controversée, a signé un décret pour y mettre fin. La nouvelle règle, qui prévoit que les enfants seront dorénavant détenus avec leurs parents, s’applique aux migrants qui entreront aux États-Unis après la signature du décret.

La plupart de ceux qui sont arrivés avant, dont Alfredo, ne savent pas, pour leur part, ce qui les attend. Les avocats spécialisés en immigration qui tentent de leur venir en aide nagent eux aussi dans le noir.

Un petit groupe de citoyens de la région de Brownsville, qui ont assisté avec la représentante de La Presse au procès d’Alfredo et s’inquiétaient pour son sort, lui ont rendu visite hier au centre de détention pour en savoir plus sur son cas, représentatif de centaines d’autres.

Il a été impossible à La Presse de les accompagner pendant l’entrevue. Les visites des médias ne sont permises qu’une fois par semaine – le mercredi – par les agents de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), l’agence responsable d’appliquer les lois d’immigration en vigueur, de gérer les centres de rétention d’immigrants et de procéder aux expulsions.

Fuir la violence 

L’histoire d’Alfredo ressemble à celles racontées par plusieurs des 60 000 personnes – principalement originaires du Mexique, du Honduras, du Guatemala et du Salvador – qui ont été interceptées à la frontière au cours des deux derniers mois. L’homme dans la trentaine raconte avoir fui son pays d’Amérique centrale après que son frère a été tué par un gang criminel. « Ils m’ont dit que moi et ma famille étions les prochains sur la liste », a-t-il raconté hier.

Avec sa femme et leurs deux enfants, âgés de 10 et 11 ans, ils ont entrepris la traversée du Mexique vers les États-Unis. Munie de documents de voyage, la famille prévoyait de demander l’asile à un point d’entrée désigné des États-Unis, mais a été découragée de le faire par les passeurs. 

« Ils nous ont dit que les États-Unis ne laissaient pas entrer les gens et les renvoyaient dans leur pays d’origine. Nous avons décidé de traverser le Rio Grande. »

— Alfredo, pour expliquer sa décision d’entrer clandestinement aux États-Unis

Dans le brouhaha de ce voyage, il dit avoir été séparé de sa femme et de son fils aîné dont il est depuis sans nouvelle. Il était avec le plus jeune quand il a été pris au filet des autorités américaines lundi. Ils ont été séparés sur-le-champ.

Lors de son procès, mercredi, il a reçu un dépliant lui expliquant comment retrouver son fils. Il a tenté d’appeler le numéro de téléphone qui figurait sur le document, mais dit n’avoir jamais réussi à parler à quelqu’un. Il n’a pas d’avocat et ignore tout de ce qui l’attend. « Savez-vous combien de temps je serai ici ? », a-t-il demandé à ses visiteurs, tout aussi démunis d’information.

Déposera-t-il une demande d’asile à partir du centre de détention ? « Le plus important pour moi, c’est de retrouver mon fils », a-t-il dit.

Nuée d’avocats à la rescousse

Hier, une nuée d’avocats spécialisés en immigration – venus tantôt de la ville voisine, tantôt de New York ou de Washington – se sont rendus au centre de Port Isabel pour rencontrer des détenus dans la même situation qu’Alfredo et leur offrir leur aide pro bono. « Lorsque je parle avec les parents, ils ont le regard fixé dans le vide parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas comprendre, ils ne peuvent accepter, ils ne peuvent croire qu’ils ignorent où se trouvent leurs enfants et que le gouvernement américain les leur a retirés », a dit à l’AFP Jodi Goodwin, une avocate qui œuvre auprès des migrants dans cette région du Texas depuis 1995. « C’est incroyablement poignant et un mépris épouvantable des procédures », s’indigne-t-elle, promettant de continuer à talonner les autorités.

— Avec l’Agence France-Presse

États-Unis

Visite surprise de Melania Trump à la frontière mexicaine

McALLEN — Dans un nouveau coup de théâtre, Melania Trump s’est rendue hier à la frontière avec le Mexique pour rencontrer des enfants sans papiers, une visite préparée dans le plus grand secret tandis que son mari fait face à un barrage mondial de critiques pour avoir séparé plus de 2000 mineurs clandestins.

« Depuis combien de temps êtes-vous là ? D’où venez-vous ? » Souriante, la première dame est passée de classe en classe pendant un peu plus d’une heure dans un refuge de McAllen, grande ville texane, où les enfants lui avaient écrit « Bienvenue » sur un drapeau américain.

Une scène inimaginable la veille, avant que Donald Trump ne signe, dans un revirement fracassant, un décret mettant fin aux séparations qu’il avait lui-même encouragées avec sa politique de « tolérance zéro » face aux clandestins.

De l’aveu même du milliardaire, la discrète Melania Trump a joué un rôle dans cette décision, qui ne règle toutefois pas la question des plus de 2300 mineurs arrachés à leurs parents depuis la mise en œuvre de sa politique, début mai.

Quand retrouveront-ils leurs familles, s’interrogent depuis mercredi ONG et opposition démocrate.

Comment puis-je « aider à réunir ces enfants avec leurs familles aussi vite que possible ? », a demandé, comme en écho, Melania Trump au personnel du refuge, dans un rebondissement quasi surréaliste de cette controverse.

« Bouleversés »

Le centre Upbringing New Hope Children’s Shelter accueille une soixantaine de mineurs âgés de 5 à 17 ans, originaires du Honduras et du Salvador. La plupart sont des adolescents qui ont fait le voyage seuls depuis ces pays rongés par la violence. Six ont été séparés de leurs parents.

« Quand ils arrivent ici, ils sont souvent très bouleversés », a confié un responsable.

L’idée du voyage est venue « à 100 % » de Melania Trump, a précisé sa porte-parole, Stephanie Grisham, affirmant que son époux l’« a soutenue ».

Si l’opération préparée dans le plus grand secret a réussi son effet-choc, elle a été perturbée par les images de la première dame vêtue d’une veste marquée dans le dos des mots : « Je m’en fiche complètement, et vous ? » Une faute de goût, vu le contexte, qui a immédiatement enflammé les réseaux sociaux. Cela ne l’a cependant pas empêchée de porter la même veste à la sortie de l’avion, à son retour à Washington.

Sa porte-parole a assuré qu’« il n’y avait pas de message caché » derrière cette inscription.

« Bienvenue en Amérique »

Pleurs déchirants, images poignantes d’enfants dévastés, la politique fermement revendiquée dans un premier temps par la Maison-Blanche n’a pas tenu face à la tempête dans l’opinion publique, dénoncée par l’ONU, le pape, des pays européens et jusqu’au cœur même de ses rangs républicains.

Alors qu’il a souvent vanté par le passé ses nombreuses apparitions en une du Time, Donald Trump ne devrait pas afficher celle du prochain numéro, révélée hier et qui le montre dominant une fillette en larmes, dont la photo a largement contribué à alerter l’opinion, avec le simple titre : « Bienvenue en Amérique ».

Malgré son décret mettant fin aux séparations des familles, les critiques ne s’apaisaient pas, associations de défense des droits de l’homme et opposition démocrate dénonçant la solution apportée : les maintenir désormais en centre de rétention avec leurs parents pendant la durée des poursuites pénales.

Le ministère de la Santé (HHS) a lui annoncé avoir demandé au Pentagone de se préparer à héberger sur des bases militaires 20 000 enfants migrants entrés sur le territoire américain non accompagnés par des adultes.

Report d’un vote clé

Tentant d’agir de son côté sur ce sujet brûlant, le Congrès a une nouvelle fois buté sur l’immigration, avec le report d’un vote clé sur une réforme censée mettre un terme définitif aux séparations et réformant plus largement le système.

Majoritaires au Congrès, les républicains avaient soumis deux textes au vote hier.

Le premier, reflétant les positions les plus dures du parti, a été rejeté, comme attendu.

Dans un dernier effort pour évaluer ses chances de passage, les chefs républicains ont préféré attendre jusqu’à aujourd'hui pour soumettre le deuxième texte, tentant de réconcilier ailes dure et modérée républicaines profondément divisées sur le sujet.

Pas de suspense du côté des démocrates, qui ont promis de voter contre la loi républicaine à la Chambre. « Les républicains continuent d’être complices des atrocités de » Donald Trump, a asséné leur cheffe à la Chambre, Nancy Pelosi.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.