Livre Ainsi parlent les Français

Vie publique, vie privée

Un portrait drôle et réaliste des Français, pour qui la conversation est érigée en art et devient parfois un sport de combat dont il faut connaître les codes et les règles.

À bien des égards, les Français sont plus faciles à cerner que les Nord-Américains pour la simple raison qu’ils n’ont aucun mal à ignorer quelqu’un avec qui ils n’ont rien à faire.

Prenez le cas du métro à l’heure de pointe. Pressés les uns contre les autres dans une promiscuité forcée, les Français établissent la distance en ne disant rien. C’est zéro communication – pas même un sourire (les Français diraient : « Surtout pas ! »). Les Nord-Américains font tout pour éviter ce genre de situation, en partie parce que leur protocole manque de clarté. Un Nord-Américain dans le même cas va parler et même sourire, voire plaisanter : afin de signaler que cette proximité physique n’a rien de personnel. En d’autres termes, il parle et interagit pour marquer une distance, ce qui n’a pas de sens dans l’esprit français.

C’est pourquoi, à bien des égards, interagir avec les Français est, selon nous, beaucoup plus simple qu’avec les Nord-Américains. Tout passe par la parole. Quand un Français ne veut pas vous parler, il ne fait pas de simagrées : il ne vous parle pas, tout simplement. C’est très clair. Et c’est par la parole, accompagnée de gestes, qu’une personne vous signale jusqu’où elle est prête à parler.

Bien que ce livre porte sur la parole, le non-verbal a une fonction primordiale dans la définition des bulles qui nous entourent, et qui suit sa logique propre dans chaque culture.

Le simple geste de frapper à une porte exprime des idées très différentes sur la vie privée. Quand un Nord-Américain frappe à une porte, c’est pour demander la permission d’entrer et il ne bougera pas tant qu’il n’aura pas eu le feu vert. S’il frappe à la porte d’un collègue français, celui-ci va trouver étrange qu’il n’entre pas. Parce qu’un Français va frapper à une porte pour annoncer qu’il entre. C’est vrai au bureau ou à la maison. Ce n’est pas que les Français vont ainsi entrer chez n’importe qui. Bien au contraire : entrer chez quelqu’un est le privilège accordé à celui qui est autorisé à frapper.

Mais pour en revenir à la dimension verbale, on peut très aisément accéder aux cercles restreints des Français si on comprend de quoi on peut parler à chaque niveau.

Si un Français vous contredit ou cherche la discussion, parfois sur un ton querelleur ou coléreux, cela veut simplement dire qu’il reconnaît que vous êtes là. C’est sa manière de communiquer avec vous – vous êtes nettement plus avancé que s’il vous ignorait.

En France, il est parfaitement acceptable d’exprimer une opinion négative à l’endroit d’un parfait étranger, et vous ne devez jamais le prendre comme une attaque personnelle.

Et si vous osez faire comme eux, cela ne suscitera pas de rancune. De même, il est possible de faire des remarques à un inconnu sur sa manière de parler ou même sur son apparence. Les Français le font plutôt librement, et parfois même à tout propos, surtout quand il s’agit du langage. Ce n’est pas gentil, mais ce n’est pas impoli non plus. Simplement, ils ne réservent pas ce comportement à des gens qu’ils connaissent bien. Au contraire, ils vont même avoir tendance à reprendre plus vertement une personne qu’ils ne connaissent pas !

Nous avons mis un certain temps à comprendre que l’expression d’un désaccord dans le couple n’a rien de choquant. C’est attendu, comme le signe d’une relation normale et solide. De fait, les couples français ne font pas trop de cas d’une prise de bec en public. En France, ce n’est pas une maladresse, comme ça l’est chez nous. Jusqu’à un certain point, les Français trouvent même cela amusant. Les couples se disputent de bon cœur sur la politique, l’art, les droits des femmes ou la dernière histoire de cœur du Président. Ils font à table ce qu’ils feraient chez eux, peut-être même en mieux.

Les Français se méfient d’un couple trop harmonieux : pour eux, cela cache quelque chose. Ils s’attendent à des accrochages de bon aloi entre conjoints, et on peut même se demander si les couples français ne le font pas exprès.

Mais comment, au juste, avance-t-on d’une sphère à l’autre ? Si tout commence par une engueulade, comment passe-t-on du public au social, puis au personnel voire à l’intime ?

Chez les Français, cette progression vers l’amitié est assez simple quand on sait par où l’on doit passer. Quand les Français sont prêts à s’engager dans une relation et à passer du niveau social à un niveau plus personnel, voire intime, ils envoient des signaux aussi clairs que de l’eau de roche – beaucoup plus clairs que ceux qu’envoie un Nord-Américain dans les mêmes circonstances. Ils vont se mettre à vous parler de sujets privés, comme la famille, l’argent, le travail. La façon de rire même, va changer : ils vont se mettre à faire de l’humour plutôt que de l’esprit.

Une fois qu’on a bien compris ce qui appartient à la vie publique et ce qui relève de la vie privée, il devient très aisé de savoir où l’on se trouve et ce qu’il convient de faire, ou non, dans chaque situation. C’est même très reposant en fait. C’est ce qui vous permet d’oser, aussi.

Quand les Français ne veulent pas approfondir une relation au-delà d’un certain point, ils ne vous rendent tout simplement pas la pareille. Si vous faites de l’humour et qu’ils ne vous répondent pas, vous n’y êtes pas, et c’est tout. Si vous leur parlez de votre famille ou du boulot et qu’ils n’offrent rien en retour, c’est qu’ils ne sont pas prêts. Mais c’est aussi vrai pour vous : si vous refusez de vous engager dans cette direction alors qu’ils vous ouvrent la porte, ils vont comprendre que vous voulez préserver une distance. Pas besoin d’explication.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.