Google a 20 ans

Peut-on concurrencer Google ? |

En lui imposant cet été une amende record de plus de 6,5 milliards de dollars canadiens, l’Union européenne a de nouveau rappelé que le géant Google a atteint une telle taille qu’il occupe une position de grande force dans certains créneaux, notamment la recherche et la vente de publicité sur le web, au point où l’on peut se demander s’il est même possible d’espérer rivaliser avec lui. — Jean-François Codère, La Presse

Rien d’impossible

À eux deux, Google et Facebook accaparent 70 % des revenus de publicité numérique au pays, selon une étude publiée l’an dernier.

La situation financière très précaire de la presque totalité des médias écrits dans le monde témoigne de leur grande difficulté à rivaliser avec ces géants dans le domaine de la publicité. Pourtant, ce n’est pas impossible, estime le président de District M, Jean-François Côté.

Avec plus de 80 employés à Montréal, New York, Toronto et Los Angeles, la plateforme d’échanges publicitaires District M a réussi à se tailler une bonne place dans le marché nord-américain de la publicité en ligne. Son modèle d’affaires la place au milieu des relations entre les annonceurs et les éditeurs.

« Google est un super partenaire depuis le jour 1 pour nous, précise d’entrée de jeu M. Côté. Parfois, nous agissons comme fournisseur pour eux, parfois c’est l’inverse. »

Pour rivaliser avec eux, « il faut une solution innovante et unique », prévient-il, parce que « les meilleures personnes au monde travaillent pour Google ».

« Dans l’industrie où l’on est, tu ne peux pas arrêter d’innover », souligne-t-il.

« Si les éditeurs font l’intégration de la programmatique sur leurs plateformes, ils vont être capables de maximiser leurs revenus. Mais ils doivent passer à une autre vague de technologie. »

— Jean-François Côté

District M se spécialise dans la publicité programmatique, qui permet de mettre en lien, par le truchement d’un mécanisme d’enchères automatisées et en temps réel, des annonceurs avec des espaces publicitaires qui viennent d’être rendus disponibles sur des sites web d’éditeurs.

Mais elle offre aussi d’autres produits qui la distinguent davantage de Google ou qui la complémentent, notamment une aide à l’utilisation des plateformes du géant.

Selon M. Côté, le monde des annonceurs publicitaires n’est pas prêt à laisser Google prendre un trop grand contrôle du marché.

« Les gens aiment avoir des alternatives. En publicité numérique, les clients aiment utiliser plus d’une plateforme, que ce soit dans le cadre d’une stratégie ou pour les tester entre elles. »

« Ils s’imposent partout »

Les dictionnaires anglais Oxford et Merriam-Webster ont introduit le verbe « (to) Google » en 2006. Le Larousse, lui, a consacré « googliser » dans la langue française en 2014. Difficile, dans ce contexte, de dire que Google n’occupe pas une place prépondérante dans le domaine de la rechercher sur l’internet.

Selon la firme spécialisée StatCounter, la part de marché mondial du moteur de recherche de Google était de 90,3 % en juin dernier. La tendance a beau être légèrement à la baisse – elle était de 91,9 % en juillet 2017 –, la domination est bien assise, au point où, pour nombre d’internautes, il est difficile de nommer une option de rechange.

Ces options de rechange existent pourtant bel et bien. L’une d’elles est un moteur de recherche baptisé DuckDuckGo, qui se distingue principalement de Google en mettant en valeur son respect pour la vie privée de ses visiteurs.

« C’est un mythe de dire qu’on a besoin de tout savoir de l’utilisateur pour vendre de la publicité. »

— Gabriel Weinberg, président et fondateur de DuckDuckGo

La plupart des dollars encaissés par Google par l’entremise de son moteur de recherche passent par les mots-clés employés par l’utilisateur. L’entreprise peut alors afficher parmi les résultats de recherche des liens vers des sites web ayant payé leur place. Si l’opération s’arrête là, aucune donnée n’est liée à l’utilisateur. « C’est ce que nous faisons », a dit à La Presse M. Weinberg.

En croissance, mais…

Fondée en 2008, DuckDuckGo a célébré récemment l’atteinte du plateau des 20 milliards de recherches. « La moitié est survenue dans les deux dernières années, donc nous grossissons beaucoup », se réjouit M. Weinberg.

Ces données, élevées en apparence, restent de l’ordre de la goutte d’eau. La part de marché de DuckDuckGo « varie entre 0,5 % et 1,5 %, selon les pays et la plateforme », indique M. Weinberg.

« On pense que si les gens étaient au courant de notre proposition, notre part de marché serait beaucoup plus haute, peut-être de 5 % ou 10 %. »

— Gabriel Weinberg

Tout l’ennui est là. Face à l’hégémonie de Google, il est difficile pour des rivaux de se tailler une place au soleil. DuckDuckGo aurait beau réussir à développer un moteur de recherche aussi performant que celui de Google, voire meilleur, elle ne disposerait jamais de la visibilité de celui-ci, qui profite notamment d’une forte intégration dans le système d’exploitation mobile Android et le navigateur Chrome, tous deux numéro 1 dans leur marché respectif.

« Google est un adversaire formidable au point de vue technologique, mais je pense qu’on peut y arriver, dit M. Weinberg. Là où ça devient difficile, c’est quand ils s’imposent partout. »

C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que l’Union européenne a condamné Google à une amende de 4,3 milliards d’euros (6,5 milliards de dollars) à la mi-juillet.

« Google a utilisé des pratiques illégales pour cimenter sa position dominante dans la recherche sur l’internet », a alors expliqué la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, selon ce qu’avait rapporté l’Agence France-Presse.

« Le moteur de recherche de Google est son produit phare. Chaque année, Google génère plus de 95 milliards US de revenus grâce aux publicités montrées et cliquées par les utilisateurs de Google Search [c’est l’essentiel de ses revenus], et une grande partie de ses revenus est due à la montée en puissance des appareils mobiles comme les téléphones intelligents et les tablettes. »

La décision a évidemment réjoui DuckDuckGo.

« Nous accueillons avec joie la décision de l’Union européenne de s’en prendre au comportement anticoncurrentiel de Google dans le domaine de la recherche, a écrit l’entreprise sur Twitter. Nous en avons ressenti les effets directement depuis plusieurs années et cela a mené au fait que nous ayons une part de marché plus faible sur Android que sur iOS ou, de façon générale, sur les appareils mobiles par rapport aux ordinateurs. »

Outre scinder Google en de plus petites entreprises, l’une des solutions proposées par M. Weinberg est de l’empêcher légalement de fusionner des données recueillies sur ses différents verticaux.

« Cela ferait beaucoup pour ouvrir le marché », croit-il.

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