Géologues
Les premières traces des fosses hydrothermales ont été déduites, à partir d’anomalies de température, par cinq expéditions américaines dans les années 60 et 70. « En 1972, l’expédition South Tow a enregistré une différence de deux degrés près des Galapagos », explique James Childress, biologiste à la retraite de l’Université de Californie à Santa Barbara. « En 1976, les géologues sont retournés avec un appareil photo et ils ont été surpris de constater qu’il existait de la vie, des moules et des vers, à 2600 m de profondeur. Ils ont demandé à des biologistes de retourner avec eux l’année suivante. J’étais de l’expédition : on a vu qu’il y avait un écosystème entier près des fosses hydrothermales. En 1979, on est retournés, et a pu trouver une manière de remonter les vers et de les garder en vie. » Depuis, biologistes et géologues ont découvert que ces écosystèmes sont beaucoup plus répandus que l’on ne le croyait.
Vers et bactéries
Quand James Childress a commencé à travailler sur les vers des fosses hydrothermales, une question fondamentale se posait : sans bouche, ni intestin, ni anus, comment se nourrissaient-ils ? « On a fini par détecter des bactéries vivant en symbiose à l’intérieur de ces vers et on a constaté qu’ils avaient la capacité d’oxyder le sulfure d’hydrogène, H2S, émis par les fosses hydrothermales, ce qui relâche de l’énergie. Avec cette énergie, les bactéries fabriquent des enzymes, un peu comme les plantes se servent de l’énergie du Soleil pour la photosynthèse. » Les bactéries sont situées dans un organe distinct à l’intérieur du ver.
Crabes et bivalves
Une foule de mollusques et crustacés vivent dans les fosses hydrothermales. « Les bivalves comme les moules et les palourdes, ainsi que les crevettes se nourrissent des larves des vers et ont eux aussi des bactéries chimiosynthétiques, mais dans leurs branchies, explique James Childress. Quand une fosse hydrothermale disparaît, ils peuvent vivre quelques semaines ou quelques mois sans l’apport de ces bactéries chimiosynthétiques, puis ils meurent à leur tour. Les écosystèmes sont recréés parce que les larves des vers peuvent migrer d’une fosse hydrothermale à une autre. » Le crabe yéti (Kiwa hirsuta) a pour sa part des bactéries filamenteuses accrochées à ses pattes qu’il mange. D’énormes escargots de 5 cm, aussi partiellement dépendants de bactéries chimiosynthétiques, existent dans certaines fosses. « On ne trouve pas les mêmes animaux partout, même les espèces de vers sont différentes d’une région à l’autre », ajoute M. Childress. Ces animaux ne peuvent pas être conservés très longtemps en captivité, même en reproduisant les milieux hydrothermaux : six mois pour les moules et les palourdes, un an et demi pour les crabes.
Mangroves et baleines
L’existence de bactéries chimiosynthétiques a poussé les biologistes à examiner de nouveau des milieux jugés inhospitaliers pour la vie. « On a été voir dans les mangroves, par exemple, où il y a beaucoup de matériel organique en décomposition et très peu d’oxygène, dit James Childress. Dans ces conditions, il y a production de sulfure d’hydrogène, H2S, par une première bactérie. Ensuite le H2S est utilisé par les bactéries chimiosynthétiques présentes dans des vers comme ceux qu’on retrouve près des fosses hydrothermales. » Le même phénomène survient sous les carcasses de baleines si elles coulent suffisamment profond, ce qui a résolu le mystère de la disparition plus rapide que prévu de leurs os, qui sans microorganismes auraient duré des décennies et formé des récifs coralliens. Des écosystèmes basés sur la chimiosynthèse existent également à bord d'épaves chargés de matière organique, par exemple des céréaliers.
Fuites d’hydrocarbures
La vie chimiosynthétique, basée sur le soufre, existe aussi dans les environs des fuites d’hydrocarbures, pétrole, méthane et asphalte. La moitié du pétrole qui se retrouve dans les mers est issu de ces fuites naturelles, l’autre moitié provenant des déversements. « C’est un peu comme dans les marais, il y a beaucoup de carbone, des hydrocarbones, en fait, et peu d’oxygène à cause du méthane », explique Ian MacDonald de l’Université d’État de la Floride, qui en 2003 a découvert le premier « volcan d’asphalte » au fond du golfe du Mexique. Ces langues d’asphalte mettent probablement des décennies à se dégrader sous l’action de l’eau salée, étant trop denses pour être digérées par les bactéries des écosystèmes chimiosynthétiques suscités par les émissions d’hydrocarbures plus légers.
Médicaments
Les organismes exotiques qui vivent sur les flancs des fosses hydrothermales pourraient servir d’inspiration pour l’industrie pharmaceutique, selon Kim Juniper de l’Université de Victoria, qui a travaillé sur les premières fosses hydrothermales canadiennes dans les années 80. « Certaines enzymes de ces organismes font des copies très précises de l’ADN, qui peuvent être utilisées dans les hôpitaux pour analyser l’ADN des tumeurs, dit M. Juniper. Il y a aussi d’autres recherches sur le potentiel anticancer des bactéries symbiotiques. Le cas le plus intéressant est d’exploiter la capacité des vers géants de transporter l’oxygène dans leur sang. Des collègues en France travaillent depuis les années 80 sur la possibilité de partir de ces vers pour développer un sang artificiel et éviter la transmission de maladies. » D’autres sociétés planchent sur une enzyme trouvée dans ces organismes hydrothermaux qui enlève l’eau des molécules, et qui pourrait aider à stabiliser les aliments réchauffés au micro-ondes. Une dernière enzyme est utilisée dans les usines de production d’éthanol maïs et a maintenant des ventes de 150 millions US, selon la revue Marine Environmental Research.
Grèce
La fosse hydrothermale la moins profonde au monde, une centaine de mètres, se trouve dans les Cyclades, mais elle abrite très peu d’organismes basés sur la chimiosynthèse. « Il y a surtout des bactéries, parce que les animaux qui en dépendent sont victimes des prédateurs des eaux de surface », dit Kim Juniper, qui est aussi responsable de l’observatoire sous-marin Neptune en Colombie-Britannique. En deuxième place viennent des fosses hydrothermales à 400 m de profondeur près des Açores, sur une montagne sous-marine, où un écosystème basé sur la chimiosynthèse en bonne et due forme existe.
Mines
La possibilité que des sociétés minières trouvent une manière rentable d’exploiter les gisements de minerais entourant les sources hydrothermales inquiète les biologistes. Une entreprise de Colombie-Britannique, Nautilus, est la plus avancée dans ce domaine, testant en ce moment d’énormes foreuses sous-marines en Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Nautilus a fait beaucoup d’efforts pour quantifier les écosystèmes et ne pas trop les perturber, mais il n’est pas clair que d’autres entreprises vont prendre autant de précautions, dit Kim Juniper. D’un autre côté, avec des mines sous-marines, on ne laisse pas en place des infrastructures comme des routes quand le filon est épuisé. »
407 °C
Température à la bouche de la fosse hydrothermale la plus chaude, au milieu de l’Atlantique entre le Brésil et l’Afrique de l’Ouest ; la seconde, à 405 °C, se trouve près de l’île de Pâques dans le Pacifique
10 à 30 m
Taille des cheminées de la « Ville perdue », champ de fosses hydrothermales découvert en 2000 à 800 m de profondeur entre les Bermudes et les Açores
5000 m
Profondeur de la fosse hydrothermale la plus profonde, sur une montagne dans la fosse des Caïmans, dans les Caraïbes, découverte en 2010 et nommée en l’honneur de Jacques Piccard, inventeur français du bathyscaphe Le Trieste
50 km2
Superficie totale occupée par tous les écosystèmes de fosses hydrothermales identifiés pour le moment au fond des océans de la planète
50 °C
Température maximale que peut supporter le ver de Pompéi, qui vit sur les fosses hydrothermales du Pacifique à 2500 m de profondeur
300
Nombre d’espèces animales vivant dans les écosystèmes basés sur la chimiosynthèse identifiées en 2000
1300
Nombre d’espèces animales vivant dans les écosystèmes basés sur la chimiosynthèse identifiées aujourd’hui
Sources : Woods Hole, Université de Victoria