Livre Leadership et militantisme au Parti québécois

Un avenir incertain

Le déclin du Parti québécois n'est pas étranger à l'érosion du rêve qu'il a su incarner auprès de la génération du baby-boom. Il découle aussi d'une certaine incapacité de renouveler son discours, de s'adapter à une société québécoise qui a profondément changé.

Le PQ traverse le moment le plus critique de son histoire. L’échec électoral du 1er octobre 2018 remet non seulement en question son leadership actuel, mais son avenir au sein du système partisan québécois. Certains prévoient même sa disparition. Pour ce parti fondé le 11 octobre 1968, cette nouvelle phase survient presque jour pour jour à la date de son cinquantième anniversaire. Comment a-t-il fait pour en arriver là ? Quels sont les facteurs qui permettent d’expliquer ce déclin ?

En effectuant cette étude, j’ai constaté deux phénomènes qui se sont déroulés en parallèle et contribuent à expliquer le déclin du Parti québécois comme organisation.

En ne cherchant plus à modifier son environnement, mais plutôt à s’y adapter, il s’est d’abord éloigné du mouvement social qui l’a vu naître.

Deuxièmement, en vivant un processus de « dédémocratisation » et de centralisation vers le chef, il est devenu un parti comme tant d’autres.

Ces phénomènes ont bien sûr évolué lentement et sur une longue période. Ils ne sont pas étrangers à l’évolution de la société québécoise. Ils découlent également des échecs référendaires de 1980 et de 1995. Bien peu de sociétés ont eu l’occasion de dire Non à leur indépendance à deux reprises lors de référendums. Cela a inévitablement des conséquences sur le parti qui aura porté ces projets et vécu ces échecs.

Un champ de ruines ?

Quelques mois avant son décès, Jacques Parizeau comparaît d’ailleurs le PQ à « un vaste champ de ruines ». Lors d’une entrevue accordée à Michel Lacombe de Radio-Canada, il jugeait sévèrement l’évolution du PQ depuis son départ.

« On a démoli graduellement ce parti-là, et surtout, on lui a fait perdre son âme, estime-t-il. On l’a égaré dans des discussions byzantines. Les péquistes n’ont pas l’air de croire en eux. Comment voulez-vous que les autres croient en eux ? »1

Ce faisant, il remettait en question le travail de ses successeurs, mais aussi l’abandon de la priorisation d’objectifs partisans plus idéologiques au profit d’approches pragmatiques.

Sur le plan électoral, le PQ aura connu son âge d’or entre 1976 et 1998. En 1981, près d’un électeur sur deux l’appuyait. À partir de 2003, un lent déclin s’amorce avec un léger soubresaut en 2008. S’il parvient à reprendre le pouvoir en 2012, il ne dispose alors que du soutien de moins d’un électeur sur trois. En 2014, il retrouve un pourcentage d’appuis comparable à celui qu'il avait obtenu en 1970.

Ce lent déclin électoral se manifeste de plusieurs façons. C’est le cas sur le plan générationnel en lien avec l’érosion de ses assises auprès des jeunes. C’est aussi le cas sur le plan géographique où il est carrément menacé de disparaître dans plusieurs régions. L’érosion du clivage Oui-Non remet également en question la coalition d’électeurs qu’il parvenait à réunir depuis 1968.

Au moment de son retrait de la vie politique en 2018, le doyen de l’Assemblée nationale du Québec, François Gendron, critiquait sévèrement sa formation politique. 

Élu en 1976 et dernier ministre de René Lévesque à avoir siégé, il constate que le mouvement souverainiste est « trop éparpillé et miné par des querelles internes »2.

La déconfiture que vit aujourd’hui le Parti québécois ne peut être attribuée qu’à un seul individu. Depuis Jacques Parizeau, tous les chefs qui se sont succédé doivent assumer une part de responsabilité.

1995 fut cependant une année de double traumatisme pour le PQ. D’une part, le projet d’indépendance du Québec fut rejeté par une faible majorité de Québécois. Loin de rassembler, le discours de défaite de Jacques Parizeau est venu jeter de l’huile sur le feu. D’un côté, son discours attribuait la défaite à « l’argent et aux votes ethniques ». De l’autre, il exhortait la population francophone dont l’origine remonte à la Nouvelle-France à se rappeler que « les trois cinquièmes de ce que nous sommes » avaient voté Oui3.

Le reste du Canada pouvait alors se dédouaner de l’obligation de répondre aux demandes légitimes du Québec en matière d’autonomie. Sans faire d’examen de conscience, cela lui permettait de se réconforter en reléguant le projet indépendantiste québécois à une forme de nationalisme ethnique. Après avoir frôlé l’éclatement du Canada et la fin abrupte de sa carrière politique, Jean Chrétien n’allait surtout pas s’en empêcher.

Sur le plan partisan, le 30 octobre 1995 marque donc pour le PQ un véritable drame qui porte en lui le germe de son déclin.

Une seule soirée est venue anéantir tous les efforts déployés auparavant pour rassurer les Québécois issus des communautés culturelles et de la minorité anglophone quant à l’ouverture du projet souverainiste. Le PQ était maintenant condamné à jouer défensivement.

Au lendemain de l’élection de 2018, le Parti québécois fait face à deux grands problèmes structurels. D’un côté, un nouveau joueur, la Coalition avenir Québec, est parvenu à le remplacer comme principal véhicule du nationalisme québécois. De l’autre, la trajectoire institutionnelle suivie par le Parti québécois a fait en sorte que le chef est évalué davantage en fonction de ses résultats électoraux, aussi bien réels qu’appréhendés, qu’en fonction de son programme souverainiste. En conséquence, c’est l’ensemble de la direction de ce parti qui est maintenant remise en cause.

Le choc électoral est tel qu’une reconfiguration organisationnelle majeure risque de se produire. De nouveaux points d’équilibre internes s’établiront, cette fois dans un contexte de risque de désinstitutionnalisation. Pour tenter de remobiliser une base militante et assurer sa reconstruction, il ne faudrait pas se surprendre que le parti tente de revenir à l’esprit de sa fondation. Cela implique toutefois qu’il abandonne à plus ou moins long terme les objectifs plus pragmatiques qui ont caractérisé les règnes de Lucien Bouchard, de Bernard Landry, de Pauline Marois et de Jean-François Lisée.

Pour un avenir prévisible, cela implique aussi qu’il accepte son nouveau statut de parti mineur. Cela signifie également qu’il doit faire face à la réelle possibilité de disparaître à son tour. Il connaîtrait alors le même sort qu’il a fait subir à l’Union nationale.

2. Idem 

3. Jacques Parizeau, 2018, « Discours du 30 octobre 1995 », dans Paul Therrien (dir.), Les grands discours de l’histoire du Québec, 2e édition, Québec, PUL, p.607-610

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