Témoignage

Au revoir, Luc !

En tant que résidant du Plateau Mont-Royal, j’ai vu mon quartier se transformer comme jamais depuis que Luc Ferrandez a été élu maire de l’arrondissement.

Les rues sont devenues plus vertes, la circulation automobile s’est apaisée, la vie de quartier s’est épanouie grâce à de jolies places et des parcs plus conviviaux. Les déplacements à vélo sont grandement facilités.

Certains lieux qu’on croyait irrémédiablement laids, comme ce qui entoure l’édicule nord du métro Laurier, ou la rue Clark, ont été transformés par des aménagements judicieux, fleuris, agréables. À plusieurs endroits, notre quartier est carrément méconnaissable.

Mais voilà, Ferrandez a démissionné. Et les raisons de son départ devraient lancer un véritable débat sur ce que devrait être l’urgence climatique. La lettre qu’il a adressée a ses « amis citoyens et citoyennes » montre à quel point il avait en tête un plan précis et élaboré pour y répondre : taxation systématique du stationnement, taxes sur la viande, les déchets, les investissements étrangers, agrandissement des parcs, plantation de 500 000 arbres, ceinture verte, élimination de grands projets comme le Royalmount ou le stade de baseball, densification à échelle humaine du territoire, et j’en passe.

L’urgence des réformes nécessitées par les changements climatiques se heurte au pragmatisme de la politique en général et à la tâche insurmontable de représenter le plus grand nombre d’électeurs et d’électrices possible, aux intérêts trop souvent étroits. Selon Ferrandez, même une mairesse résolument progressiste comme Valérie Plante ne parvient pas à faire les avancées qui s’imposent, devant sans cesse ménager la chèvre et le chou.

Ferrandez a toujours préféré les gants de boxe aux gants blancs qu’on impose habituellement aux politiciens. Dans une entrevue à Radio-Canada, il parle d’un « progressisme autoritaire » nécessaire pour faire avancer ses idées. Une formule qui a semblé bien fonctionner pour lui.

Peu d’élus se sont fait aussi franchement détester. Pourtant, d’une élection à l’autre, il a gagné avec une majorité toujours plus grande.

Ce qui a peut-être bien fonctionné au niveau d’un arrondissement est manifestement plus difficile à appliquer à un niveau plus élevé. Et Ferrandez, qui a bataillé ferme pour y parvenir, vient de jeter l’éponge.

Sa démission ressemble vaguement à celle de Nicolas Hulot, ministre de l’Écologie en France : dans les deux cas, on constate qu’obtenir un poste important dans un gouvernement ne suffit pas pour entreprendre des changements nécessaires en ce qui concerne l’environnement. On ne sait pas trop encore si leur décision encouragera le cynisme ou aura l’effet d’un coup de pied dans le derrière. Mais il semble, hélas, que c’est la transition écologique, au sens large, qui écope pour le moment.

L’annonce de Ferrandez correspond ironiquement à celle de la ministre de l’Environnement du Canada, Catherine McKenna, qui veut décréter un « état d’urgence climatique ». D’un côté, nous avons un politicien avec un plan précis et nécessaire qui quitte son poste. De l’autre, la représentante d’un parti spécialiste des formules creuses qui choisit un slogan vide pour se gagner des votes, alors que ses actions vont en sens contraire.

Voilà peut-être où se trouve notre plus grand défi concernant l’urgence climatique : aller bien au-delà des mots, appliquer des mesures parfois dures, qui vont déplaire, qui transformeront de vieilles habitudes, qui imposeront des changements radicaux.

Et cela, alors que ni la politique ni les individus n’aiment être bousculés.

Il est difficile de savoir si le « progressisme autoritaire » défendu par Ferrandez est le meilleur moyen d’y arriver. Trop de gens se méfient, à juste titre, de toute forme d’autorité. Mais il faut sans aucun doute écouter les jeunes qui manifestent pour le climat, les Greta Thunberg de ce monde, et se joindre à elles, à eux, pour que les politiciens avec de véritables plans pour transformer notre environnement cessent de démissionner et mettent leurs projets en marche.

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