Richard Reed Parry

Descente de rivière… métaphysique

Entre deux cycles du supergroupe Arcade Fire dont il est le créateur le plus exploratoire, Richard Reed Parry a entrepris de s’exprimer « sans effort, sans projet précis, sans intention, sans réflexion ». En résulte le premier volet de l’enregistrement studio Quiet River of Dust, lancé en septembre chez Secret City Records pour le marché canadien.

En voici maintenant le prolongement audiovisuel.

L’inconscient du multi-instrumentiste, compositeur, parolier et chanteur à qui l’on doit les pièces instrumentales de l’opus Music for Heart and Breath, paru en 2014 chez Deutsche Grammophon, s’est clairement manifesté dans ce magnifique ouvrage cyber-psych-folk, traversé par ses origines familiales, aussi des séjours initiatiques au Japon ainsi que moult incursions contemplatives dans la nature planétaire.

Le village métaphysique

Résidants d’Ottawa et de Toronto, les parents de Richard Reed Parry étaient des artistes folk ; son père faisait partie du groupe Friends of Fiddler’s Green et sa mère enseignait la musique. Cet environnement semblait tout à fait normal pour fiston…

« De ma naissance jusqu’à ce que je quitte la maison familiale pour aller étudier l’électroacoustique à l’Université Concordia, relate-t-il, j’étais baigné de chants au quotidien, dans les réunions d’amis, dans les fêtes de famille. Puis mon père est mort prématurément, je n’avais que 17 ans. Ce ne fut plus jamais pareil. »

En fait, cette perception de normalité s’est transformée.

« Tel que je l’avais connu, mon environnement familial a disparu progressivement et est devenu une sorte de “village métaphysique”, j’ai réalisé à quel point ma vie familiale avait été spéciale. Dans le contexte de cet album solo, j’ai voulu me reconnecter avec ce passé, comme si les esprits familiaux me parlaient. »

— Richard Reed Parry

Ainsi, dans la chanson Farewell Ceremony qui clôt le premier volet du projet, on peut percevoir les chœurs de Friends of Fiddler’s Green évoquant ce « village métaphysique ».

Japon physique, Japon métaphysique

Le Japon est un pays très important pour Richard Reed Parry ; dans cet album solo, une large part de son inspiration résulte de périodes cruciales pendant lesquelles il s’est imprégné de l’environnement, de la culture, de la philosophie et de la pensée mystique japonaises.

« J’adore ce pays ! Ce fut pour moi un choc : tranquillité, contemplation, beauté, nature. Le Japon est rempli de zones rurales, jardins et forêts. L’étalement urbain y est limité, enfin il l’est beaucoup plus qu’en Occident. On y ressent un grand respect de l’environnement. »

Un jour, le musicien se baignait dans un cours d’eau au Japon. Sur une pancarte plantée aux abords de la rivière, il était écrit « Sai No Kawara »… River of Death… Rivière de la Mort.

« Wow… qu’est-ce que c’est ? ! ! m’étais-je exclamé. J’ai réalisé que ce cours d’eau représente un concept métaphysique ; il s’agit d’une zone de transition entre la vie et la mort d’enfants défunts. Leurs parents croient pouvoir se connecter avec leur esprit avant leur passage dans l’au-delà. »

Dans la même optique, le musicien s’est inspiré des « poèmes japonais de la mort », textes très courts et très beaux, écrits à la fin d’une vie et recueillis au fil des siècles.

L’angle organique de la transformation

Ces croyances et pratiques nippones ont aussi rappelé au musicien que l’humain finit immanquablement par se dissoudre dans la nature et dans l’univers. D’où le titre hybride de son projet, évoquant le cycle organique de la vie, de la mort, du renouveau éternel.

« C’est donc Quiet River of Dust plutôt que Death. Je préfère l’idée de transformation incessante à celle de la mort… un peu trop gothique ! [rires] »

— Richard Reed Parry

« Dans une des chansons, par exemple, un garçon va à la plage avec ses parents qui s’endorment. Le garçon disparaît alors dans l’eau et devient une part de l’océan. C’est donc cette idée que l’on perd des choses et que l’on en acquiert d’autres tout en conservant sa conscience. »

Enfin, selon notre interviewé, la métaphore d’un fleuve tranquille de poussières dépeint également le cours de la culture et de la tradition ; des éléments meurent au fil du temps, l’esprit originel demeure.

« D’un point de vue artistique, il en va de même :  je cherche à faire quelque chose de neuf sans nier le passé. »

La conception préliminaire

Ainsi Richard Reed Parry a laissé émerger ces musiques et ces mots enfouis dans son inconscient.

« J’essayais de répondre aux émotions que suscitaient des sons, des mélodies, des fragments d’œuvres qui ne sortaient pas de ma pensée rationnelle. Je devais creuser avec ces musiques préliminaires qui déclenchaient chez moi des émotions insoupçonnées. D’abord imperceptibles, les mots apparaissaient, prenaient forme. Le sens venait ensuite, la phrase n’était plus abstraite au final. »

Les fragments de textes et de musiques se sont assemblés, des chansons ont vu le jour, un univers s’est constitué. Vint le temps d’en faire une première présentation.

« Mes amis Bryce et Aaron Dessner [The National] sont venus me visiter, je leur ai présenté ce travail préliminaire. Ils se sont montrés très enthousiastes et nous avons travaillé ensemble aux premières versions. Je cherchais alors à aménager un contexte sonore à la fois spacieux, chaud, touffu, un peu déformé. Je ne suis pas contemporain à tout prix, il faut dire ; je ne souhaite pas la séparation entre passé et présent. »

Les premières versions de Quiet River of Dust furent interprétées en 2014, soit au festival All Tomorrow’s Parties en Angleterre près de Brighton, festival dont la programmation avait été mise en place par les frères Dessner. « Je n’avais plus le choix, j’avais une heure de tombée. Le produit de ce travail était alors très cru, sans emballage. » 

Produit fini… jamais fini

La réalisation, l’instrumentation et les arrangements de Quiet River of Death sont venus par la suite, mais l’esprit est resté le même qu’au départ.

« Petit à petit, le matériel s’est approché de sa version actuelle. J’ai greffé des sons enregistrés dans la nature et d’autres sons électroniques ou sons d’instruments traités à travers différents filtres. J’ai ajouté des chœurs à certaines chansons, des éléments électroacoustiques à d’autres, des finales plus explosives… Je ne cesse de changer des choses, d’ailleurs, je ne peux m’en empêcher ! »

Parallèlement aux sons et aux mots, des films ont été juxtaposés. De concert avec JF Lalonde, Richard Reed Parry a tourné des scènes contemplatives dans la nature, dans la forêt, souvent sous l’eau. Captées notamment au Vermont, à Cape Cod, sur les plages du Portugal, ces images sont devenues des contenus visuels dont l’objet est d’étoffer le corpus chansonnier.

L’expérience immersive sera vécue 10 soirs de novembre, puis le projet reprendra à l’équinoxe du printemps, lorsque le deuxième volet de Quiet River of Dust sera rendu public.

Sur la rivière métaphysique flotte un produit fini… jamais fini.

À la Satosphère de la Société des arts technologiques, le premier volet de Quiet River of Dust est présenté inclusivement du 13 au 17 novembre et du 20 au 24 novembre, à 19 h. Le contenu visuel immersif est réalisé par JF Lalonde et Richard Reed Parry. Les musiciens seront Richard Reed Parry, Laurel Sprengelmeyer, Jordy Walker, Corwin Fox, Stefan Schneider. Inspiré du même concept, un court film est aussi présenté aux abords de la Satosphère.

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