Tuerie de Québec

Alexandre Bissonnette s’intéressait à Marc Lépine et à Dylann Roof

Québec — Alexandre Bissonnette avait un intérêt marqué pour le suprémaciste blanc Dylann Roof, qui a abattu neuf Noirs dans un temple d’une Église américaine en 2015. Juste avant de tuer six musulmans à Québec, Bissonnette a consulté à 201 reprises, en l’espace d’un mois, des sites contenant une référence à Roof.

L’auteur de la tuerie de la Grande Mosquée de Québec a aussi consulté sur YouTube, quelques jours avant de passer à l’acte, un montage du film Polytechnique. L’extrait regroupe les scènes où l’on voit Marc Lépine abattre des étudiantes. Il s’est aussi intéressé à la fusillade de Columbine, indique la preuve informatique qui n’a pas encore été déposée devant la cour.

Ces révélations ont été faites hier par le procureur de la Couronne devant la Cour supérieure. Me Thomas Jacques tente d’empêcher la diffusion des vidéos de la tuerie du 29 janvier 2017 à la Grande Mosquée.

Deux experts de la Couronne entendus hier disent craindre que si ces vidéos sont diffusées, elles n’alimentent la violence, comme les vidéos de Polytechnique, Charleston et Columbine semblent avoir alimenté Bissonnette. Une experte croit aussi que ces images pourraient donner naissance à des imitateurs (copycats) d’Alexandre Bissonnette et créer un traumatisme chez les survivants de l’attentat.

En juin 2015, Dylann Roof est entré dans un temple méthodiste de Caroline du Sud. Il a tué neuf Afro-Américains dans l’espoir avoué de déclencher une guerre raciale. Rappelons que Bissonnette avait clamé la semaine dernière devant la cour qu’il n’était pas islamophobe.

« Que M. Bissonnette se soit nourri d’images de tueries confirme l’impact d’images comme celles-là pour des jeunes vulnérables. »

— Cécile Rousseau, psychiatre experte en radicalisation qui a témoigné pour la Couronne

« Ne nourrissons pas l’imaginaire avec des images qui font dire : “On va faire comme lui”, ou “Ça devient notre héros” », a fait valoir Cécile Rousseau.

La spécialiste croit que pour les jeunes ici, la vidéo de Bissonnette pourrait avoir encore plus de résonance que les autres. « Des figures identificatoires québécoises, il y en a eu quelques-unes, comme Marc Lépine ou Martin Couture-Rouleau, qui ont un impact différent d’une figure étrangère. Oui, les vidéos étrangères sont consommées par les jeunes ici, mais les vidéos d’ici ont un impact différent. »

Débat sur les images

Plusieurs caméras à l’intérieur et à l’extérieur de la mosquée ont capté la tuerie du 29 janvier 2017. Un consortium de médias tente de convaincre le tribunal que leur diffusion, à certaines conditions, est d’intérêt public.

Le procureur de la Couronne veut déposer en preuve ces images pour les observations sur la peine à imposer, la semaine prochaine. Alexandre Bissonnette a plaidé coupable à six chefs de meurtre au premier degré et à six chefs de tentative de meurtre. Il est passible de la prison à vie sans possibilité de libération avant 150 ans.

Normalement, un élément soumis en preuve peut être repris dans les médias. Mais la Couronne estime que les images de la tuerie sont trop sensibles pour être diffusées. Elle a fait témoigner deux experts et un témoin hier.

« Jusqu’au tiers des tueries de masse seraient liées à un effet d’entraînement », selon le criminologue de l’Université Laval Stéphane Leman-Langlois.

« Les tireurs s’informent sur le nombre de morts, le mode opératoire. Certains veulent savoir si les meurtriers sont devenus célèbres, d’autres vont tenter de battre le record du nombre de victimes. Ça les inspire beaucoup. »

— Stéphane Leman-Langlois

« Comme une deuxième mort »

Les familles des victimes s’opposent aussi fermement à la diffusion de ces images, a dit au tribunal le président du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), Boufeldja Benabdallah.

« Quand on a appris que les médias voulaient diffuser les images, c’était la consternation. Les épouses pleuraient et nous-mêmes aussi, a raconté M. Benabdallah. On s’est dit : “Nous allons revivre les atrocités du 29 janvier 2017.” C’est comme une deuxième mort. »

Le consortium des médias demande le droit de diffuser certaines images. Il va présenter sa cause mardi. Ce jour-là, Cécile Rousseau va terminer son témoignage.

Hier, la psychiatre a affirmé au tribunal ne pas avoir visionné les images de la Grande Mosquée avant de se prononcer sur les conséquences de leur possible diffusion. Elle avait préféré ne pas le faire, a-t-elle expliqué, même si le procureur de la Couronne le lui avait offert avant de témoigner.

« En tant que clinicienne de la torture, j’entends énormément d’horreurs et j’ai peu d’illusions sur l’humanité, a-t-elle expliqué. Pour travailler avec l’horreur, ne rien ressentir est un problème, mais trop ressentir nous empêche de travailler. J’enseigne aux cliniciens et aux chercheurs à se protéger. »

À la demande du juge François Huot, elle va visionner les enregistrements et retournera devant la cour mardi, jour où le juge pourrait rendre sa décision sur la diffusion des vidéos.

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