David Saint-Jacques

Prêt pour le pire

Une fuite de gaz toxique en pleine Station spatiale internationale. Une évacuation d’urgence à bord de la capsule Soyouz. Un retour vers la Terre marqué par de multiples pannes. L’astronaute québécois David Saint-Jacques a affronté une série de scénarios catastrophes, hier, lors d’un entraînement particulièrement éprouvant en Russie.

Cité des étoiles, — Russie — Dans la Station spatiale internationale, une alarme retentit. Des détecteurs ont décelé dans l’air la présence d’ammoniac, un gaz toxique. Dans l’espace, les astronautes ont une devise : prendre son temps permet souvent d’aller plus vite. Mais cette fois, il n’y a aucun moment pour la réflexion. David Saint-Jacques et ses collègues, le Russe Oleg Kononenko et l’Américaine Anne McClain, se jettent sur leurs masques à gaz.

Il est 9 h du matin et nous sommes dans un bâtiment de la Cité des étoiles, près de Moscou, une base d’entraînement pour les astronautes datant de l’époque soviétique et dont l’existence a longtemps été tenue secrète. Ici sont reproduits plusieurs modules de la Station spatiale internationale. Il suffit cependant de voir le regard des trois astronautes pour comprendre que pour eux, cette simulation n’est pas un jeu. Le 20 décembre prochain, le Canadien, le Russe et l’Américaine s’envoleront pour la Station spatiale internationale, où ils vivront pendant plus de six mois. Leur réaction devant un problème de cet ordre serait alors une question de vie ou de mort. Et ils le savent mieux que personne.

« Trois situations d’urgence peuvent survenir dans la Station spatiale internationale : un feu, une dépressurisation et une fuite de gaz toxique, explique Aleksey Darkin, instructeur des simulateurs des modules russes de la Station spatiale internationale à la Cité des étoiles. Nous préparons les astronautes à affronter les trois. »

Dans cette maison qui flotte à 400 kilomètres au-dessus de la Terre, l’ammoniac ne peut provenir que d’une source : le système de régulation de la température de la section américaine. Le premier réflexe de l’équipe est de trouver refuge dans la section russe, où il n’y a pas d’ammoniac, et de fermer le sas qui sépare les deux parties. Mais les détecteurs montrent que l’ammoniac a déjà gagné la section russe. Pour les astronautes, il ne reste qu’une option : évacuer la station.

David Saint-Jacques et ses collègues gagnent alors ce qui leur sert de radeau de sauvetage : la capsule Soyouz à bord de laquelle ils ont rejoint la Station spatiale et qui y est toujours stationnée. Mais ils sont loin d’être au bout de leurs peines.

« Là, on a vu que même l’air de la Soyouz était complètement pourri et impossible à nettoyer », a raconté David Saint-Jacques à La Presse une fois l’entraînement terminé. L’évacuation est encore possible, mais elle sera plus complexe.

De façon surprenante, on voit les trois astronautes rejoindre le module qui simule le centre de contrôle de la station plutôt que de se préparer à regagner la Terre. Toujours avec leurs masques à gaz sur le visage, ils consultent des procédures sur des feuilles plastifiées, appuient sur de nombreux boutons, branchent des fils. La tension est palpable.

« Il fallait fermer la station de manière propre. On a fermé une porte pour couper la station en deux et essayer de la sauver le plus possible », expliquera plus tard l’astronaute québécois.

« L’une des choses les plus stressantes est que l’équipage doit porter des masques à gaz en tout temps tout en s’assurant de bien communiquer et de bien s’entendre », commente Aidar Bikmuchev, instructeur pour les simulateurs de Soyouz, qui suit les manœuvres des astronautes avec attention. On entend ceux-ci se parler constamment d’une voix déformée par les masques afin de coordonner leurs actions.

Une évacuation difficile

David Saint-Jacques, Oleg Kononenko et Anne McClain enfilent ensuite leurs combinaisons Sokol – les scaphandres russes qu’ils portent dans la capsule Soyouz. Ils ne mettent cependant pas les casques et conservent leurs masques à gaz. À la Cité des étoiles, on les voit changer de bâtiment pour gagner celui qui contient des simulateurs de capsule Soyouz. Les pieds en premier, ils entrent tour à tour dans le minuscule habitacle en tout point semblable au vrai vaisseau spatial, où ils sont collés les uns sur les autres.

Dans une salle de contrôle un peu à l’écart, une équipe d’une demi-douzaine de spécialistes surveille attentivement l’exercice. Des caméras relaient les images des trois astronautes, maintenant couchés dans la capsule Soyouz, en train d’utiliser des tiges de métal pour mieux presser les nombreux boutons qui se trouvent devant eux. Les médecins de vol de David Saint-Jacques, les Canadiens Raffi Kuyumjian et Robert Riddell, se sont aussi déplacés à la Cité des étoiles pour assister à l’entraînement.

« C’est une rare occasion de voir ce type de simulation. Quand il y a de la pressurisation, comme dans cet exercice, les risques sont plus élevés et il faut un médecin sur place. Il y a évidemment des médecins à la Cité des étoiles, mais on connaît beaucoup mieux l’histoire médicale de David et s’il y a des problèmes, on est là pour soutenir les Russes », explique Raffi Kuyumjian.

S’ensuit une manœuvre critique : les astronautes retirent leurs masques à gaz, retiennent leur souffle et enfilent le casque de leur combinaison pressurisée. Ils évacuent l’air toxique de la capsule Soyouz, si bien qu’ils ne disposent d’aucune ventilation malgré leurs chaudes combinaisons.

« C’est comme être dans un sac en plastique », commentera David Saint-Jacques après l’entraînement. À gauche du commandant Oleg Kononenko, l’astronaute québécois remplit un rôle crucial : activer la capsule Soyouz et vérifier tous les paramètres avant le départ. Mais les instructeurs qui ont planifié l’exercice n’ont pas fini d’envoyer des surprises dans les pattes des astronautes. L’ordinateur de bord, le moteur principal et un système infrarouge de la Soyouz tomberont tour à tour en panne lors de la rentrée atmosphérique, obligeant l’équipage à redoubler d’ingéniosité.

« Ils cassent toujours tout, on ne sait juste pas quoi et dans quel ordre », lancera David Saint-Jacques au terme de l’exercice, en parlant de ceux qui conçoivent les entraînements.

Les trois collègues finiront par émerger de la fausse Soyouz les cheveux trempés et les traits tirés, ce qui fait bien voir à quel point l’entraînement a été éprouvant.

« On a réussi à regagner la Terre ! On n’est pas trop sûrs où exactement on a atterri, mais on dirait que les médias nous attendaient », lance à la blague David Saint-Jacques devant les journalistes canadiens qui assistent à la simulation.

« Une séance de sauna gratuite », lance-t-il ensuite, en nage. N’importe qui aurait conclu une telle journée par une bière et du repos. Mais David Saint-Jacques n’est pas n’importe qui. Après une douche bien méritée, c’est sur la piste de course extérieure de la Cité des étoiles que l’astronaute québécois poursuit les préparatifs d’un voyage dont il rêve depuis qu’il est gamin.

« Je veux être le plus en forme possible avant de partir, explique-t-il. Parce que je sais qu’en haut, je vais en reperdre. »

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