Boulangerie

La main à la pâte pour relaxer

Un Québécois sur quatre dit éprouver un stress intense dans sa vie. Faire son pain peut-il aider à chasser le stress quotidien ? Beaucoup en sont convaincus, selon la tendance qui se dessine. Ils enfilent le tablier et mettent la main à la pâte – littéralement ! – afin de prendre un temps d’arrêt salutaire.

Effet de groupe

Dans l’arrière-boutique de la boulangerie artisanale La mie bretonne, à Cowansville, sept personnes sont rassemblées, les mains dans la pâte, autour d’un plan de travail. Le boulanger Jean-Sébastien Béraud anime un atelier de boulangerie. L’ambiance est bon enfant malgré l’ardeur mise à la tâche. « Ça fait combien de temps qu’on pétrit ? Je suis plus détendu quand je bûche du bois », lance Francesco. Plus de 300 personnes sont inscrites sur la liste d’attente. « Il y a une grande demande pour les cours. De plus en plus, les gens veulent faire leur pain », souligne Annie Huard-Langlois, copropriétaire.

Faire du pain en groupe peut être bénéfique. « L’effet de soutien social s’avère positif dans les cas de troubles anxieux. C’est aussi une arme contre le stress », indique Marie-Claude Marin, chercheuse à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Mais pas pour tous et pas tout le temps, précise-t-elle. « Pour les introvertis, ça peut être [épuisant]. »

L’instant présent

« Une des vertus de faire du pain, c’est de permettre à l’attention d’être complètement à ce qu’on est en train de faire. On porte attention aux ingrédients choisis, aux gestes, aux sens sollicités. Ça nous permet d’oublier le hamster qui court dans notre tête », indique le Dr Serge Marquis, conférencier et auteur de livres sur le stress.

L’Américaine Julie Ohana, travailleuse sociale, offre des séances d’art culinaire thérapeutique. « Quand une personne se concentre sur une tâche plaisante et enrichissante, elle en oublie ses tracas, elle peut prendre une pause de l’anxiété. »

À Londres, Alison Skeat pousse le principe plus loin et offre depuis 2016 des ateliers combinant méditation et boulangerie (Breaditation).

Des résultats concrets

Jean-Sébastien Béraud, boulanger depuis 25 ans, admet que le métier n’est pas facile ni lucratif, mais il est toujours passionnant. « Ma principale satisfaction est de partir d’une matière première, de jouer avec les textures de farines et les différentes fermentations pour en arriver à un résultat original. C’est infini, ce qu’on peut faire avec du pain. » Il a mis près de deux ans de travail pour arriver à produire les croissants qui font sa renommée dans la région. « Quand je réussis après tant d’efforts, c’est euphorisant. »

« Un des plus grands plaisirs de l’être humain est d’être capable de développer ses capacités, explique le Dr Marquis. En faisant du pain, on se découvre des compétences insoupçonnées, on utilise sa créativité. C’est bon pour l’estime de soi. »

« On est dans une société où on utilise beaucoup notre tête. Nos ancêtres labouraient les champs, coupaient du bois. C’est aujourd’hui difficile de trouver une dimension concrète au travail dans notre monde de plus en plus virtuel. Or, c’est un besoin très profond chez l’être humain, poursuit-il. Faire du pain permet d’éprouver ce contentement et d’apaiser l’esprit. »

Aliment réconfort

« Jusqu’à récemment, un repas sans pain était très mal vu. Malgré l’aversion actuelle pour le gluten, le pain a toujours sa place sur la table québécoise. On le voit par le nombre grandissant de petites boulangeries, la vente de machines à pain et la grande variété de farines sur le marché », explique Nathalie Lachance, sociologue de l’alimentation et chercheuse au GastronomiQc Lab de l’Université Laval.

« Le pain est un aliment qui nous rapproche de nos racines, qui nous replonge dans notre enfance, précise-t-elle. Dans les supermarchés, on l’a compris. Quand on fait cuire du pain sur place, on sait que les clients, sensibles à l’odeur, seront plus enclins à remplir leur panier. »

Mme Lachance fait son pain. Elle a la recette de sa grand-mère, transmise par sa mère. « Je pousse l’audace jusqu’à faire mon levain, ça me donne une grande satisfaction. Le geste de pétrir le pain apporte une grande détente, tout le processus est quasi cérémonial. J’ai une pensée pour ma grand-mère, j’aime cette idée de transmission de connaissances, de valeurs. »

Un don de soi

Cuisiner le pain, c’est bien. Mais le partager, c’est mieux. « Je fais du pain pour le plaisir de le donner à mes proches, c’est ma façon de leur dire que je les aime », dit Johanne, rencontrée à La mie bretonne. « Offrir le pain qu’on fait permet de se sentir utile, valorisé, lié aux autres, dit le Dr Marquis. C’est un plaisir, ça a un impact sur le stress. »

Pas pour tous

« Faire du pain peut aider à réduire les effets du stress à court terme », confirme Marie-Claude Marin, chercheuse à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. On peut néanmoins obtenir le même effet en apprenant l’espagnol ou en faisant du spinning. « Il faut trouver une activité qu’on aime, qui n’est pas automatique. Sinon, ça ne marchera pas. »

Elle précise : « On ne doit pas faire de la boulangerie une échappatoire, sinon les symptômes vont revenir. Ça reste une solution rapide. Il faut voir à la source d’où vient le stress pour agir à long terme. »

« J’ai commencé à faire du pain lors d’un arrêt de travail pour épuisement. Je voulais me changer les idées. Quand tu mesures les ingrédients, que tu mélanges la farine, tu ne penses à rien d’autre. Quand on sort le pain du four, c’est un plaisir d’entendre le petit craquement. »

Katia Perreault, 46 ans, enseignante, Varennes (8 pains par mois)

« Prendre le temps de panifier, pétrir et cuire le pain me permet de m’obliger à m’arrêter durant la fin de semaine. De plus, j’adore l’odeur de la cuisson du pain. Quoi de mieux que de manger un morceau de pain chaud que l’on vient de préparer ! »

Pierre-Alexandre Martel 44 ans, informaticien, Longueuil (5 ou 6 pains par mois)

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