Témoignage

La fièvre printanière du p’tit con

P’tit con, c’est à toi que je m’adresse ! Tu m’as croisée sur l’autoroute 15 en direction de Laval la semaine dernière.

C’était le début de l’après-midi, il faisait très beau et pour une des rares fois depuis longtemps, nous pouvions presque croire que la belle saison était arrivée. Une sorte de frénésie du printemps qui donne des ailes ! L’hibernation imposée et l’engourdissement qui m’ont habitée tout l’hiver ont soudainement laissé place à une énergie folle, une renaissance que seuls les habitants des pays nordiques peuvent comprendre. 

J’avais troqué ma radio parlée contre de la musique pop et entraînante. Celle d’Angèle, cette artiste belge que j’ai découverte il n’y a pas si longtemps, tu connais ? Je fredonnais sa chanson Tout oublier dont les paroles me donnent une pêche d’enfer : « Le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être heureux. C’est simple, si tu voulais tu le s’rais… » ! 

C’est vrai, parfois un simple rayon de soleil printanier, plus chaud et lumineux, peut rendre heureux ! Pas plus compliqué que ça ! Je me sentais légère et de bonne humeur ! Quelques jours plus tard, je recommencerais un tournage, j’avais comme on dit le sourire étampé dans le visage ! Tu as failli tout gâcher et faire basculer mon précieux bonheur… Pas seulement le mien, d’ailleurs. 

Je te voyais dans mon rétroviseur arriver à la vitesse grand V. Tu zigzaguais, de droite à gauche. Puis de gauche à droite, en coupant tout le monde sur ton passage. Visiblement, tu ne contrôlais pas ta fougue et cela t’amusait, puisque tu recommençais, mais est-ce que tes copains-copines dans la voiture avaient autant de fun que toi ? 

Il s’en est fallu de peu que tu percutes ma bagnole ! Heureusement, mes réflexes aiguisés ont donné le coup de volant nécessaire pour t’éviter de justesse.

Je ne sais vraiment pas ce qui se passait dans ta tête à ce moment-là, mais je peux te dire précisément ce qui se passait dans la mienne.

J’ai gueulé de toutes mes forces, je t’ai maudit, petit con, avant de me mettre à pleurer de peur et de nervosité. J’ai pensé à mes enfants que j’aime tant. Parce que je suis maman de deux ados et comme tous les enfants, ils ont besoin de leur maman. J’ai pensé à mon mari, mes parents, mes amis, à tous ces gens qui n’avaient pas demandé à croiser la route d’un inconscient comme toi et qui, le temps d’une seconde, en ont eu le souffle coupé. Le bonheur est si fragile et ne tient finalement qu’à peu de choses. Il faut le préserver, car il peut se volatiliser si vite. 

Depuis une semaine, je repense à cet incident qui n’est pas anodin. Je suis même allée lire quelques articles et statistiques sur les accidents de la route causés par la vitesse. Que de destins tragiques et de mises en danger qui auraient pu être évités ! Je n’ai pas été étonnée de constater que ta tranche d’âge (16-34 ans) était la plus touchée. Te croyais-tu dans une game de jeu vidéo, invulnérable, où même si tu crashes, tu peux recommencer sans conséquences ? Voulais-tu impressionner la fille à tes côtés ? Je te le dis d’emblée, tu fais fausse route… 

Je ne suis pas très âgée, mais j’ai certainement plus d’expérience et de recul que toi.

« Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait... » Je n’aimais pas non plus qu’on me rebatte les oreilles avec ce dicton. Et pourtant, il est tellement évident. Ta vie, tu en fais ce que tu veux, mais la mienne et celle des autres, tu n’y touches pas ! 

Est-ce qu’il n’y a pas mille et une façons plus intelligentes de ressentir la fièvre du printemps que de risquer ton avenir sur une banale autoroute ?

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