SANTÉ

A-T-ON SURESTIMÉ LES OMÉGA-3 ?

Les oméga-3 sont parmi les suppléments les plus consommés au Canada. Une industrie mondiale de 30 milliards s’est érigée autour de ces acides gras dans les deux dernières décennies. Mais alors qu’on ne cesse d’en vanter les mérites, de plus en plus d’études concluent à leur inefficacité. Devrait-on continuer à ingérer ces précieuses huiles en gélules ? Mise au point.

Les oméga-3 sont présumés efficaces pour prévenir les maladies cardiovasculaires. Ils auraient aussi un effet sur la dépression, l’arythmie cardiaque, la maladie d’Alzheimer, l’hypertension, l’arthrite, l’hypercholestérolémie et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Vous arrêtez de fumer ? Prenez des gélules. Même chose pour les douleurs menstruelles.

Ces gras, qu’on dit à juste raison « essentiels », participent au développement et au bon fonctionnement du corps humain. Puisque ce dernier n’en produit pas, c’est dans le poisson qu’on puise l’acide eicosapentaénoïque (AEP) et l’acide docosahexaénoïque (ADH), et dans les végétaux qu’on trouve l’acide alpha-linolénique (AAL).

On peut aussi, bien sûr, se procurer ces précieuses huiles sous forme de suppléments, dans toute pharmacie ou grande surface digne de ce nom. Les oméga-3 sont aujourd’hui un des suppléments les plus populaires dans le monde. Au Canada seulement, 11,8 % de la population en prenait en 2015, selon Statistique Canada, et le marché mondial est en expansion.

Mais voilà qu’une nouvelle publication importante dans le monde scientifique vient mettre en lumière une faille majeure. Le 18 juillet, le groupe de recherche Cochrane publiait les conclusions de sa méta-analyse visant à évaluer les effets des oméga-3 sur les maladies cardiovasculaires. Sa synthèse implique 79 études auprès de plus de 112 000 personnes.

Augmenter sa consommation d’AEP et de ADH peut contribuer à réduire légèrement les triglycérides qui, à un taux trop élevé, augmentent les risques de maladies cardiovasculaires, souligne le rapport. Leur consommation peut également augmenter légèrement le taux de cholestérol HDL, considéré comme « le bon cholestérol ».

Cochrane conclut toutefois que la prise de suppléments d’oméga-3 a peu ou pas d’effet dans la prévention des maladies cardiovasculaires.

Après l’espoir, la déception

Ce constat s’ajoute à celui de plusieurs études qui, ces dernières années, ont mis en doute les bienfaits de ces acides gras.

« On y a cru pendant longtemps, mais à l’évidence, c’était peut-être un peu simpliste de penser qu’on pouvait régler certains problèmes avec une gélule », indique le directeur de la prévention à l’Institut de cardiologie de Montréal, Martin Juneau, qui suit le dossier des oméga-3 depuis plusieurs années.

« Si vous regardez les 20 dernières années en médecine, toutes les études épidémiologiques où on a pensé que quelque chose était bon ont été un échec lorsqu’on les a mis en suppléments, que ce soit la vitamine E ou le bêta-carotène, par exemple. Comme quoi il ne faut pas essayer de contourner la nature », relève le cardiologue.

Car il y a une distinction à faire entre la consommation d’oméga-3 dans l’alimentation et la prise de suppléments, précise-t-il, en évoquant la célèbre étude de Lyon sur la diète méditerranéenne, qui a contribué à l’essor des oméga-3 dans les années 90.

« Maintenant, la plupart des chercheurs pensent que les bénéfices de l’alimentation méditerranéenne sont liés à un ensemble de facteurs, comme le fait qu’elle contient beaucoup de fruits, de légumes et des grains entiers. Le problème, c’est qu’il y a toujours des gens qui veulent rendre ça plus facile et accessible. Et plutôt que de changer leur diète, pourquoi ne pas leur donner des suppléments ? »

Les suppléments d’oméga-3, un leurre ?

Les oméga-3 agissent sur notre corps, et sûrement de façon importante. Mais sans le contexte plus large des organismes marins, ils se perdent dans le bruit du métabolisme humain et du marketing moderne, commentait Paul Greenberg, auteur du livre The Omega Principal, en juillet dernier, dans le journal The Guardian.

« C’est possible qu’il y ait une synergie entre les nutriments présents dans les aliments. Mais en nutrition, on cherche souvent à isoler des nutriments. Il est important de se rappeler qu’on ne mange pas des nutriments : on mange des aliments. »

— Karine Gravel, docteure en nutrition

Les effets des oméga-3 sur la santé ne sont pas à balayer du revers de la main, précise toutefois Mme Gravel. Ils ne sont peut-être pas aussi miraculeux qu’on le croyait, mais leur action sur les triglycérides et l’inflammation est toujours d’actualité, l’augmentation du bon cholestérol aussi, tout comme la prévention des caillots sanguins. Ils sont également essentiels pour une croissance normale, la vision et le cerveau, fait valoir la nutritionniste.

Pour obtenir sa ration, le Guide alimentaire canadien suggère de consommer au moins deux portions de 75 g de poisson chaque semaine et de privilégier les poissons gras comme le hareng, le maquereau, l’omble, la sardine, le saumon ou la truite. « C’est facile à atteindre. Avec ça, on n’aurait pas besoin d’ajouter des suppléments. »

En gélule ou dans l’assiette

Le poisson, ce mal-aimé, est toutefois absent de l’assiette de plusieurs ménages québécois. Vaut-il mieux, dans ce cas, espérer avoir sa dose d’oméga-3 à travers des suppléments ?

Les études sont de plus en plus nombreuses à souligner l’importance des AAL, les oméga-3 de source végétale, présents entre autres dans l’huile et les graines de lin, le chanvre, le canola, le soya ou les noix, dont la noix de Grenoble. Selon le rapport Cochrane, augmenter les AAL pourrait avoir un léger effet protecteur pour certaines conditions cardiovasculaires.

« On a longtemps dit que les oméga-3 provenant des poissons étaient meilleurs que ceux d’origine végétale parce qu’ils sont à longue chaîne et donc plus facilement assimilables. Cette croyance est terminée », pense Martin Juneau.

Tout en reconnaissant l’importance de commencer par changer l’alimentation, Frédéric Calon, professeur à la faculté de pharmacie de l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec, ne balaye pas les suppléments pour autant. « Ils sont faits pour ceux qui voudraient atteindre des doses plus élevées. Si ça peut faire une différence pour 10 % des gens, c’est mieux que rien. »

Il n’y a aucune certitude par rapport à la prise d’oméga-3, convient-il cependant. « C’est une question de rapport entre les bénéfices et les risques. Dans le cas des oméga-3, les risques de surdose sont faibles. Le principal danger est leur prix. »

Le prix et l’environnement, pense pour sa part l’environnementaliste Paul Greenberg. « L’industrie qui s’est érigée autour de l’extraction des huiles de poisson consomme des millions de tonnes de la faune marine chaque année. Autant de ressources qui ne mettent pas plus de protéines dans notre assiette », souligne-t-il.

Dans le doute, et à travers cette confusion, continuer à prendre des suppléments est un choix onéreux, mais personnel, conclut Karine Gravel. Sans écarter cette option, elle appelle toutefois à la réflexion :  peut-être y a-t-il lieu d’investir cet argent pour faire une meilleure épicerie.

La naissance d’une industrie

Le terme oméga-3 est apparu dans la culture populaire assez récemment, mais les chercheurs s’y intéressent depuis longtemps déjà.

Révolution industrielle

La prise régulière d’huile de foie de morue, riche en vitamine D, est suggérée pour combattre le rachitisme. Dans les foyers, les enfants font désormais la grimace en prenant leur ration quotidienne.

1950 et 1974

Deux chercheurs danois, Niels Kromann et Anders Green, mènent une étude épidémiologique sur la santé des communautés inuites du Groenland. Ils constatent que l’indice de maladies cardiovasculaires y est faible. C’est le cas également pour le diabète, le psoriasis, les maladies de la thyroïde, l’asthme et le cancer de la prostate.

De 1971 à 1980

Jorn Dyerberg et Hans Bang s’intéressent à ces résultats et décident d’analyser l’alimentation des Esquimaux de la côte ouest du Groenland. Constat :  leur alimentation contient beaucoup de poisson. Ce facteur expliquerait, selon eux, la faible incidence des maladies cardiovasculaires dans ces populations.

Années 80

L’archipel d’Okinawa, situé dans le sud du Japon, attire l’attention de la communauté scientifique en raison de la longévité de sa population. On compte à Okinawa quatre fois plus de centenaires que chez les Occidentaux. Les deux chercheurs, Takashi Terano et Akira Hirai, observent que la consommation de poisson y est importante – 250 g par jour, en moyenne –  alors que les maladies cardiovasculaires y sont rares. Et à l’instar des Inuits, les habitants d’Okinawa ont par ailleurs des concentrations élevées d’oméga-3 dans le sang.

Années 90

Le cardiologue français Michel de Lorgeril démontre avec son Étude de Lyon que la diète des Méditerranéens – plus faible en lipides, en graisses saturées et en cholestérol, mais riche en acide gras oméga 3 –  diminue leurs risques de faire des infarctus et d’avoir des problèmes cardiovasculaires.

Années 2000

Le psychiatre David Servan-Schreiber s’intéresse aux effets des médecines douces et des oméga-3 sur la santé mentale. Selon lui, ces derniers seraient efficaces pour traiter la dépression, ce qu’il explique dans son livre Guérir, traduit en 28 langues et vendu à 1,3 million d’exemplaires.

— Isabelle Morin, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.