Groupe Capitales Médias

Desjardins se ravise, Fitzgibbon persiste et signe

Québec — Desjardins se ravise et reconsidère son refus de financer le projet de coopérative des employés de Groupe Capitales Médias (GCM) après avoir essuyé les critiques du gouvernement Legault.

Ces critiques ont soulevé une tempête : le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, refuse de s’excuser auprès d’une administratrice de Québecor et de Desjardins qui l’a mis en demeure pour avoir suggéré une apparence de conflit d’intérêts de sa part.

Dans un communiqué de presse diffusé mercredi, Desjardins justifie sa décision en disant que le plan d’affaires des six quotidiens « aurait été récemment bonifié » et que le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a soulevé mardi la possibilité d’une participation plus importante du gouvernement. Or, ce dernier avait déjà envoyé le même signal la semaine dernière.

Le dénouement le plus significatif dans ce dossier mardi, c’est que le ministre s’était dit publiquement « surpris » du refus de Desjardins de financer le projet des six quotidiens, une décision « paradoxale », à ses yeux, de la part de la plus grande coopérative du Québec. Il s’étonnait qu’à sa connaissance, Desjardins n’ait pas pris la peine de rencontrer les représentants de la coopérative. Surtout, il se demandait « s’il y avait des forces en présence qui auraient pu faire dérailler la décision ».

Il suggérait une apparence de conflit d’intérêts de la part de Sylvie Lalande, présidente du conseil d’administration du principal bras investisseur de Desjardins, Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD). Mme Lalande est également présidente du conseil d’administration de Groupe TVA et vice-présidente du conseil de Québecor.

Mercredi matin, le premier ministre François Legault en a remis une couche, qualifiant d’« inquiétant » le refus de Desjardins. « C’est surprenant et inquiétant de voir qu’un projet de coopérative pour sauver des journaux importants au Québec ne soit pas appuyé par Desjardins, a-t-il affirmé. C’est inquiétant parce que c’est une des formules qui est poussée par Desjardins capital de risque d’encourager des employés à prendre en charge leur entreprise. »

Le communiqué de Desjardins est tombé environ une heure plus tard. « Les différentes composantes concernées chez Desjardins procéderont dans les prochains jours, avec rigueur et ouverture, à l’évaluation du nouveau dossier, de concert avec les autres parties prenantes », a annoncé l’institution financière.

Desjardins ajoute que Sylvie Lalande « n’a jamais été en situation de conflit d’intérêts puisque le C.A. de CRCD n’a pas été associé à la décision de décliner la demande de contribution [de 2 millions de dollars] au motif que le plan d’affaires comportait un niveau de risque trop élevé. De plus, il n’y a eu aucune communication entre, d’une part, Mme Sylvie Lalande ou quelque autre administrateur de CRCD et, d’autre part, les gestionnaires de Desjardins Capital dans le cadre de l’analyse du montage financier ».

Mise en demeure

De son côté, Sylvie Lalande a envoyé une mise en demeure à Pierre Fitzgibbon. Son avocat reproche au ministre d’avoir suggéré « qu’elle pourrait être en conflit d’intérêts ». Il soutient que ses propos sont des « insinuations fausses et trompeuses » et causent « un tort inqualifiable à la réputation » de sa cliente. Il ajoute que si le ministre avait fait des vérifications sommaires, il aurait constaté que Mme Lalande ne s’est pas impliquée dans le dossier.

La mise en demeure demande à M. Fitzgibbon de présenter des excuses publiques. Sylvie Lalande lui donnait jusqu’à 17 h mercredi pour agir, à défaut de quoi elle pourrait intenter une poursuite contre lui.

Or, Pierre Fitzgibbon a répondu en après-midi qu’il ne présenterait pas d’excuses. Selon lui, il a indiqué « très clairement » mardi qu’il y avait apparence de conflit d’intérêts de la part de Mme Lalande en raison de ses fonctions chez Québecor, mais que cela ne signifiait pas nécessairement qu’il y avait eu conflit d’intérêts. « Ce que j’ai dit était approprié », a-t-il soutenu.

« J’ai lu Desjardins qui a mentionné qu’elle [Sylvie Lalande] n’a pas été partie prenante des décisions qui ont été prises. Auquel cas il n’y a pas eu conflit d’intérêts. »

— Le ministre Pierre Fitzgibbon

Et si Mme Lalande décide d’intenter une poursuite ? « On ira en cour », a-t-il répondu.

Pour le chef du Parti québécois, Pascal Bérubé, le ministre a été imprudent dans ce dossier. « M. Fitzgibbon s’est avancé beaucoup en identifiant des personnes qu’il présume avoir contribué à ne pas prendre de décision, qui étaient en conflit d’intérêts, a-t-il soutenu. C’était quand même fort, ce qu’il a dit. »

Le député de Québec solidaire Vincent Marissal a indiqué que Desjardins aurait tout intérêt à repenser sa structure décisionnelle au moment de réévaluer le dossier de GCM. « Elle serait assurément bien avisée, Desjardins, de se prémunir de toute forme de question sur sa structure interne », a-t-il dit.

Demande des retraités

Les trois partis de l’opposition ont appuyé la démarche des retraités du quotidien Le Soleil pour convaincre Power Corporation de prendre à sa charge les régimes de retraite de GCM.

Le Parti libéral et Québec solidaire ont appuyé une motion du député du Parti québécois Sylvain Roy qui demande au conglomérat de « prendre la responsabilité du déficit de solvabilité des régimes de retraite » de ses anciens employés.

Gesca, filiale de Power Corporation, a cédé Le Soleil, Le Droit, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Tribune et La Voix de l’Est à Martin Cauchon en 2015. La nouvelle entreprise, GCM, s’est placée à l’abri de ses créanciers plus tôt cette année, décision qui a provoqué le débat en cours sur l’avenir des six quotidiens.

Sylvain Roy estime que Power a la responsabilité morale de venir en aide aux employés de GCM. Il souligne que le conglomérat a lui-même montré l’exemple en prenant à sa charge les régimes de retraite qui existaient à La Presse au moment de céder ce quotidien à un OBNL en 2018.

Le gouvernement Legault a refusé d’intervenir auprès de Power Corporation au nom des travailleurs de GCM. Le ministre des Finances, Eric Girard, a expliqué que Power Corporation ne garantissait pas les régimes de retraite de sa filiale dont les quotidiens ont été transférés au sein de GCM. « Et là, c’est cette compagnie-là [GCM] qui fait défaut. La situation est tragique, je le reconnais, les régimes sont sous-capitalisés. Mais on ne peut pas blâmer Power Corp. pour cette situation », a-t-il affirmé. Il a rappelé qu’en vertu de la loi, une société n’a pas à se porter garante des régimes de retraite d’une filiale qui fait faillite.

Le patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, s’est exprimé sur les réseaux sociaux pour accuser le gouvernement de « protéger Power Corporation ».

Il a également relayé un texte sur la mise en demeure contre Pierre Fitzgibbon en ajoutant ce commentaire : « Le ministre tel un inconditionnel de Descartes pourrait se demander : Est-ce que moi comme entrepreneur et grand dirigeant combien j’investirais $$$ dans CGM ? C’est + facile avec l’argent des autres et particulièrement celui des citoyens ! » Rappelons que M. Péladeau avait tenté sans succès de mettre la main sur les six quotidiens de GCM au cours des derniers mois.

— Avec la collaboration de Martin Croteau et d’Hugo Pilon-Larose, La Presse

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