Critique 

Ludique Candide

Candide ou l’optimisme
De Pierre-Yves Lemieux, d’après le roman de Voltaire 
Mise en scène : Alice Ronfard 
Avec Emmanuel Schwartz, Benoît Drouin-Germain, Patrice Coquereau, Valérie Blais et Larissa Corriveau. 
Au TNM jusqu’au 6 octobre
Trois étoiles

Face aux atrocités du monde, il faut cultiver son cœur. Tel peut être le message de Candide ou l’optimisme, la nouvelle pièce de Pierre-Yves Lemieux d’après le roman de Voltaire, qui a pris l’affiche du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) la semaine dernière.

Lemieux a l’habitude de s’inspirer de la littérature classique (Dumas, Tchékhov, Faulkner) pour signer des pièces érudites, mais surtout divertissantes. Ici, l’auteur a fait appel à Alice Ronfard pour créer un spectacle rempli d’invention et de folie, mais trop touffu, plus ludique que dramatique.

La scène se passe en 1758 à Ferney, une commune près de Genève, où Voltaire s’est exilé. Banni de Paris par la Cour de France pour ses écrits pamphlétaires, l’auteur s’est refait une autre cour de fidèles. On voit Voltaire (Emmanuel Schwartz) pendant l’écriture de son célèbre conte philosophique. Durant la représentation, Voltaire va « tester » son roman avec ses amis de Ferney. Dans un procédé pirandellien (le théâtre dans le théâtre), ces derniers jouent tous les personnages du conte, cabotinent ou contestent un passage. Et bien sûr, celui de Candide (Benoît Drouin-Germain) deviendra ici comme le double du philosophe, dans un chassé-croisé amusant.

Beauté baroque

À chaque étape du voyage initiatique de Candide dans le monde, le récit est à la fois terrifiant et comique, absurde et loufoque. Et la production du TNM hésite entre plusieurs propositions artistiques pour illustrer les péripéties du héros. On passe d’une scène fantaisiste digne de La Roulotte de Paul Buissonneau à un déchirant monologue voltairien. Par moments, Emmanuel Schwartz se tortille comme dans une chorégraphie contemporaine, et tantôt la troupe s’amuse à jouer de manière burlesque. 

Les « grivoiseries » du carnaval de Venise se transforment en un « rave » lascif et extatique. Bref, Alice Ronfard s’en donne à cœur joie dans le télescopage et la mise en abyme.

Dans le rôle de Candide, cet homme au « jugement assez droit et à l’esprit simple », Benoît Drouin-Germain brille de tout son feu. En Cunégonde et autres demoiselles volages, Larissa Corriveau est grivoise et pétillante. Elle force un peu le jeu, toutefois : on la croit davantage chez Ducharme que chez Voltaire. Patrice Coquereau (irrésistible Pangloss) et Valérie Blais incarnent plusieurs personnages. Leur immense talent comique fait mouche ici. Finalement, Emmanuel Schwartz nous montre à nouveau qu’il a l’étoffe des grands rôles du répertoire, avec sa prestance naturelle, son aisance sur scène.

Alice Ronfard s’est entourée d’une solide équipe de concepteurs. La scénographie de Danièle Lévesque met de l’avant un immense chandelier qui scintille sous la magnifique lumière de Cédric Bouchard-Delorme. Les costumes soyeux et colorés de Marie Chantale Vaillancourt ainsi que la musique de Tomas Furey apportent une touche lumineuse à la production.

Proposition paradoxale

Tout ça est bien beau, mais au bout du compte, la proposition de Lemieux et de Ronfard ne nous fait pas réfléchir. Ce qui est paradoxal avec un sujet philosophique…

Qui suis-je ? Où vais-je ? Pourquoi j’existe ? s’interroge Voltaire au début et à la fin de la pièce. Or, ce Candide répond peu à ces questions. Et le spectacle fait triompher la joie et le rire, plus que la raison et la lucidité.

Golgotha Picnic

Transcendance

La pièce de Rodrigo García Golgotha Picnic a créé des remous chez les cathos en France lors de sa création en 2011. Angela Konrad l’adapte et la présente ici. Elle affirme qu’au-delà du brûlot, la pièce est un appel à la transcendance. Pour Rodrigo García, cette quête part de l’intime.

Jésus a un accident d’auto. Il agonise. Trois anges veillent. S’il y a un Ponce Pilate dans cette histoire, c’est l’humanité tout entière qui a perdu le sens de l’amour du prochain, de l’humilité et du partage. Tel est le point de vue assumé par Angela Konrad dans sa mise en scène de Golgotha Picnic. Son théâtre existe pour faire réfléchir, pour dépasser le visible. 

« On est dans des questions très actuelles pour un tant soit peu qu’on veut freiner le cataclysme qui s’opère sous nos yeux, dit-elle. Dans ce monde couvert de plastique, où Dieu est peut-être absent, on ne peut pas dire que la transcendance ou la spiritualité n’ont pas leur place. » 

« C’est ce qui m’intéresse au théâtre, ajoute-t-elle, nous amener à réfléchir en partageant des œuvres qui ne fournissent pas des réponses toutes faites, qui ne cherchent pas à nous amortir en nous émouvant, mais qui nous élèvent. »

Avec un humour noir exacerbé, le dramaturge français d’origine argentine semble s’en prendre à la religion, mais dans le fond, c’est toute pensée sectaire et primaire qu’il attaque.

« Son propos est universel, estime Angela Konrad. La question de la liberté de la création artistique et de la philosophie. Dans le texte, il cite l’Écclésiaste à propos des ténèbres. C’est un livre très étonnant de sagesse presque païenne, de liberté extraordinaire. Je crois que García s’est tenu très près de l’Écclésiaste. »

Répondant à nos questions par courriel, celui-ci explique : « C’est l’intérieur qui m’importe. Mon intérieur. Mes sentiments et ma pensée. Et par-dessus tout ma liberté. Si je m’impose une autocensure, qui pourrait être inconsciente, si je ne pouvais pas faire ce qui m’intéresse en art, ce qui est toute ma vie, alors je devrais changer de travail. »

Jeu et musique 

Angela Konrad travaille ici pour la première fois avec Sylvie Drapeau et ses actrices fétiches Dominique Quesnel et Lise Roy. Le Christ est joué par Samuel Côté. 

« Le texte est extraordinaire, mais il n’est pas attribué à aucun personnage, dit la metteure en scène. Rodrigo García éclaire ce monde à travers son émotion et sa sensibilité. » 

« Le point de départ est un accident de voiture qui l’amène à réfléchir sur l’iconographie de la culture chrétienne, sur la violence des images. Est-ce que la violence des images médiatiques nous amène à produire des actes néfastes ? »

— Angela Konrad

Selon le dramaturge, le mensonge est inhérent à la chose humaine. Le mensonge et l’égoïsme. Ce qui n’empêche pas l’humour de se dégager de ce texte mystérieux.

« Les médias mentent dans un objectif économique, croit-il. L’artiste ment pour divertir, pour faire la guerre à la réalité. L’artiste est un ennemi de la réalité. L’humanité a toujours mal été parce que l’humain est fait de 100 % d’égoïsme. Mais l’humour, oui, quand on parle de choses douloureuses, vaut mieux le faire avec humour. » 

Défi scénique

Ce texte, qui s’interroge sur la vie, l’amour et la mort, représente un défi particulier pour les acteurs. Aussi, Angela Konrad a choisi d’enrober le jeu de musique avec l’interprétation des Sept dernières paroles du Christ en croix de Joseph Haydn en direct par le pianiste David Jalbert.

« Le cynisme ne m’intéresse pas. La musique occupe une part égale au texte. García convoque un pianiste sur scène parce qu’il y a le discours et, de l’autre côté, nous console et nous donne accès à la transcendance. » 

Une invitation, donc, à se connaître soi-même. Même si Dieu est mort ou n’a jamais existé, selon notre best of philosophique personnel, les valeurs véhiculées par Jésus peuvent avoir un sens encore aujourd’hui. 

« La pièce est une invitation au recueillement, affirme Angela Konrad. Il y a deux écarts dans le texte : entre la parole de Jésus et la doctrine de l’Église catholique, puis entre la parole de Jésus et l’état du monde aujourd’hui. Ça pose la question de l’imperfection de l’homme, c’est la posture intime d’un artiste face au monde. »

« Ça ne ressemble à rien de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant, conclut-elle. C’est un grand plaisir et un défi de réunir la peinture, la musique et le théâtre dans un dispositif scénique. » 

Golgotha Picnic est présentée à l’Usine C du 18 au 29 septembre.

EXTRAIT DE LA PIÈCE

« Il [Jésus] fut aussi le premier démagogue. »

« Avouer ses joies est aussi stupide que mettre ses peines à nu. »

« Bientôt […] nous serons enfin esclaves. »

« La pensée de l’avare est plus profonde que celle du moine. »

« Je ne dis pas : sautez par la fenêtre. Je vous dis : sautez à l’intérieur de vous-mêmes. »

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