COVID-19

Et le silence fut

Le confinement a réduit la pollution auditive et atmosphérique causée par l’utilisation de l’automobile et de l’avion, et a rendu les rues plus sécuritaires pour les usagers les plus vulnérables, dont les enfants.

Habituellement, des avions bourdonnent sans cesse au-dessus de la maison de Chantal Simard, qui habite près de la montagne, à Saint-Bruno-de-Montarville.

« Dès qu’un bruit de moteur disparaît au loin, un nouveau arrive, dit-elle. C’est comme ça toute la journée. C’est devenu invivable. »

Depuis le confinement, les avions utilisés par les écoles de pilotage qui décollent à l’aéroport Montréal–Saint-Hubert–Longueuil, communément appelé aéroport de Saint-Hubert, ont largement cessé leurs activités. « On apprécie le calme, même si c’est une situation qui n’est pas souhaitable, dit Mme Simard. On appréhende le retour des avions dans les prochaines semaines. »

Selon bien des citoyens, la diminution sans précédent du nombre de déplacements en voiture et en avion est l’un des rares éléments positifs à émerger de la crise sanitaire de la COVID-19. Avec cette « pause » décrétée par le gouvernement, ils découvrent que leur quartier peut être plus agréable, moins pollué et plus sécuritaire pour les personnes les plus vulnérables, dont les enfants.

« On entend des commentaires positifs sur l’apaisement, sur le calme, explique Claudine Sauvadet, cofondatrice de l’Association des piétons et cyclistes du Plateau-Mont-Royal et de la Coalition Vélo Montréal. Mais il y a aussi une certaine réserve chez les gens, car on n’est pas censé aller dehors pour en profiter, à part pour prendre l’air un peu. »

Richard Martin, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), remarque que le confinement est un peu comme une grande expérience non planifiée et non désirée en réduction de bruit. Chaque année au Québec, c’est plus d’un demi-million de Québécois qui sont exposés à des niveaux de bruit nuisibles à leur santé, ce qui peut provoquer du manque de sommeil, des troubles cardiovasculaires et d’autres conséquences graves, selon l’INSPQ.

« Des gens marchent et remarquent qu’ils peuvent entendre les oiseaux, même dans des endroits fortement urbanisés. C’est une situation non voulue, mais qui nous permet de remarquer l’impact du bruit des transports sur des sons agréables, des sons désirés dans notre milieu, mais qu’on n’avait plus le potentiel d’entendre. »

— Richard Martin, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec

Une récente étude réalisée à Paris et ses environs a révélé des baisses allant jusqu’à 80 % du bruit depuis le début du confinement, des diminutions surtout liées à la baisse radicale de la circulation automobile.

« C’est énorme »

L’enjeu de la dangerosité des artères et des rues est complètement bouleversé par la crise. Des dizaines de grandes villes dans le monde, de Berlin à Vancouver, ont fermé des rues à la circulation automobile ou réduit la place accordée à l’auto de manière à permettre aux piétons et cyclistes de se déplacer sans être confinés aux trottoirs, trop étroits pour respecter les normes de distanciation physique. À Montréal, le Plateau-Mont-Royal a annoncé une initiative en ce sens, et a déjà aménagé un corridor sanitaire sur l’avenue du Mont-Royal. D’autres initiatives devraient bientôt voir le jour.

Selon Claudine Sauvadet, la crise a braqué un projecteur sur la place « immense » consacrée à l’auto en ville, notamment dans les quartiers les plus densément peuplés, où chaque mètre carré d’espace public est prisé.

« Il y a une ou deux voies de circulation pour les voitures, et toujours deux voies de stationnement de chaque côté de la rue. C’est énorme. »

Mme Sauvadet note que la distanciation devra durer après la fin du confinement, d’où l’importance d’agir pour donner plus de place aux piétons et aux cyclistes à long terme.

« Pour protéger les gens les plus vulnérables, les corridors sanitaires devront rester plusieurs mois, c’est certain. »

— Claudine Sauvadet, cofondatrice de l’Association des piétons et cyclistes du Plateau-Mont-Royal et de la Coalition Vélo Montréal

Marie-Soleil Cloutier, professeure agrégée et directrice du Laboratoire piéton et espace urbain (LAPS) de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), se demande si le fait que les familles sont plus nombreuses à faire des marches de santé et à faire des sorties en vélo dans des rues plus sécuritaires aura un impact sur les choix de déplacement après la crise.

« Plein de gens se réapproprient des espaces qui étaient voués à la voiture. Est-ce que ça aura un effet à long terme ? Est-ce que des parents qui ne laissaient pas leur enfant aller à l’école à pied parce qu’ils avaient peur seront plus familiers avec le trajet et laisseront leur enfant y aller à pied ou à vélo ? On sait que les enfants, c’est ça qu’ils veulent. Je viens tout juste de déposer un projet de recherche là-dessus. »

Mme Cloutier se demande aussi si ces gens auront tendance à demander davantage de sécurité pour les usagers les plus vulnérables. « Après la crise, est-ce que les gens vont aller à leur conseil de ville pour demander de meilleurs aménagements ou un apaisement de la circulation motorisée ? »

Ciel bleu dans Saint-Laurent

Françoise Chesnay, résidante de l’arrondissement de Saint-Laurent, remarque que la qualité de l’air s’est améliorée dans son quartier depuis que les activités tournent au ralenti à l’aéroport Trudeau, où décollent et atterrissent près de 650 avions par jour en moyenne en temps normal.

« On dirait que le ciel est plus bleu que d’habitude. Ça fait une différence, c’est visible… On n’est pas contre les déplacements en avion, mais avoir un aéroport en ville, ce n’est quand même pas idéal. »

— Françoise Chesnay, résidante de l’arrondissement de Saint-Laurent

Mme Chesnay souhaite que la pandémie puisse provoquer une remise en question sur la nécessité des voyages en avion.

« Il y aura toujours des vols en avion qui seront nécessaires. Mais si le virus s’est propagé aussi vite, c’est à cause des avions. On vit une crise sanitaire et une crise écologique. S’il pouvait y avoir une prise de conscience… Il y a des choses à repenser sur ce plan-là. »

Maria, résidante de Saint-Bruno-de-Montarville, apprécie le fait que les petits avions sont moins présents dans le ciel, mais déplore que les avions qui décollent de Saint-Hubert continuent d’aller et venir à basse altitude, à toute heure du jour ou de la nuit. « Même avec des bouchons, ça me réveille chaque fois, dit-elle. Il faut que notre point de vue soit pris en compte, car c’est nous qui vivons avec les conséquences. »

Selon Richard Martin, la question sera de retrouver un équilibre une fois la crise sanitaire derrière nous. « Ultimement, quand l’économie va se mettre à fonctionner à un rythme plus normal, je pense que l’impact par rapport au bruit pourra être mieux jugé du fait que bien des gens vont avoir expérimenté comment on vit dans son quotidien avec le silence. »

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